Demain

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Auprès d'une scintillante et elliptique naine brune, un léger éclat sur le fond des tenebres parfaits de l’univers. Une étoile perdue et lointaine, voilà l'héritage de l'humanité. Une seule trappe blanche placée sur un monolithe noir. Savoir où poser mon regard dans tout ce vide est maintenant mon seul réconfort. Peut-être qu’un poète saurait en faire une grande métaphore. Eux seuls peuvent nous mentir avec suffisamment d'habileté pour tout transformer en puissance.

Il reste trois minutes.

Il n’y a plus aucun poète. En vérité, il n’y avait plus personne à qui parler dans l’univers. L’Histoire était belle, elle était grande, tout est là : mon vaisseau n'est qu’une immense bibliothèque. L’humanité s’est transformée en livres - en million de livres. Mais les flammes se meurent, et si toutes joies veulent l’éternité, le corps lui, finit toujours par mourir.

Malgrès tout, l'Histoire était belle !

Il y avait eux les passionnés pour créer les révoltés, puis les consommants pour se battre auprès des névrosés. Et les grands idéalistes pour crier, puis les pessimistes pour les contredire. Et « les naturalistes l'ont emporté ! » disions-nous dans les grandes universités galactiques !

Et tant d’artistes contre les guerres, tant d’histoires d’amours contre les affres éternelles ! Tant de beautés naturelles admirées pour autant de splendeurs humaines ! Tant de vies, tout ce temps, tant de grandeurs et de rêves à l'arrivée du printemps : tous se sont succédés pour venir chanter en chœur au grand opéra de notre Histoire : pour venir encombrer de papier le dernier vaisseau de l’humanité.

Il reste deux minutes.

L’humanité est cet éclat blanc. Une planète où demeurent quelques vestiges de l’architecture parfaite d’un artisanat abouti dans toutes ses dimensions. Les bâtiments sont autant d’oeuvres magistrales élancées bien au-delà du ciel. Elles côtoyaient une forêt dense et naturelle : faune et flore merveilleuses, rappelant celles des légendes terriennes - où a débuté notre histoire.

Toujours les cercueils imitent les berceaux - c’est leurs désespoirs hystériques qui le veulent ainsi.

Il reste une minute et trente secondes.

Je l’ai vu : même les grands hommes ne savaient donner sens à tout cela. Ils étaient sages, ils étaient braves, alors ils l'ont découvert : ce qu’ils n’ont jamais su éviter, ce qu’ils ont toujours craint. Tous les ancêtres avaient vécu par l’ignorance de cet instant, en dépit de son inévitable avènement.

D’étoiles en étoiles, de chaleur en chaleur, ils s’étaient parsemés là où le brasier les maintenaient en vie. Mais le temps est une illusion. On ferme les yeux une seconde, puis il suffit de les ouvrire pour observer l’univers mort - et moi j’étais cet oeil ouvert qu’une espèce entière avait maintenu clos pendant des milliards d'années.

Il reste une minute.

Dès lors, il n’y a plus d’héritage, hormis ce savoir inerte autour de moi. En réalité, il n’y en a jamais eu. Toute action s'inscrit dans cet instant, à travers mes yeux et mon âme - et mon esprit le répète : « Tout cela est absurde ».

Je suis l’un des grands hommes des derniers temps, immortel, détenteur du savoir absolu et ultime survivant. J’ai vu les royaumes s'effondrer, les peuples fuir pour disparaître à jamais dans l'ombre. J’ai senti ce rappel au réel, cette inévitable damnation sans Dieu, ce simple et logique effacement qui est venu souiller, puis ronger toutes les âmes des Hommes les plus courageux et instruits de tous les temps.

Il reste trente secondes.

J’ai dû partir - ils avaient presque tout détruit. J’ai sauvé l’Histoire dans le dernier vaisseau. Eux sont restés en bas, devenant rapidement fous, illuminés puis brutaux, violents et instinctifs. La religion est revenue s'installer dans leurs âmes malades, dans leurs âmes désépérantes.

Leurs enfants n’ont jamais oublié - alors ils se sont brisés. Je suis resté en haut, tout seul. Là-bas, il ne restait rien - leurs guerres aussi, étaient « parfaites ». Des millions d’années encore à lire ces livres, rien qu’un clignement de paupière, et me voilà ici.

Il reste vingt secondes.

Quelle science pour venir me sauver de tout cela ?

Quelle philosophie peut admettre que tout se soit simplement éteint ?

L’humanité est seule, je suis seul, il n’y a rien d’autre.

Il n’y a donc ni noblesse, ni beauté, sans l’éternel.

Il reste dix secondes.

Je suis l’horreur de l'humanité, ce qu’elle a toujours fui.

Je suis ce qui l'a portée durant toute son histoire.

Leurs éclats, leurs passions, leurs amours je les revois, je les ressens, perdu là, sur mon Olympe, sur mon arche : toutes les grandeurs ne sont plus qu'une flamme.

Je le sais : je suis leur Némésis, l’origine de tout, leur peur la plus profonde !

Aurore beta entre en hyper-inflation.

Autour de la dernière étoile mourante de l’univers, le dernier vaisseau abrite le premier homme. Bientôt, tout sera au néant et je vois dans ces ténèbres approchants ce qui est venu justifier l’humanité même !

Que s'offre à moi l’ultime flamme, la pure lumière !

Que les ombres emportent tout !

Je suis l'éternel retour - rien ne sera jamais brisé !

Voici le dernier message de l’humanité !

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