Chapitre 1

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Les rayons du soleil perçaient à travers les rideaux déchirés de la chambre. Ils se déposaient doucement sur le parquet abîmé et poussiéreux avant de se déployer sur le lit. Un homme était allongé dessus, le torse nu, le visage écrasé contre son oreiller, il voyait toujours et encore la même scène d’horreur défiler sous ses yeux ; l’homme, une arme, une détonation et la mort.

C’était d’ailleurs l’un de ces coups de feu qui le réveilla en sursaut. Son cœur battait à tout rompre dans sa poitrine. Sa respiration se faisait courte et haletante. Mais très rapidement, ses tensions se calmèrent.

D’un coup d’œil, il observa autour de lui. Ses draps jonchaient le sol ce qui lui fit comprendre qu’il n’avait pas passé la nuit seul. Il glissa une main dans ses cheveux emmêlés avant de lever les yeux vers la fenêtre. Malgré les rideaux fermés, la lumière du jour lui agressa les pupilles. Il quitta son lit d’un bond et tira un coup sec sur ces derniers pour ne plus faire entrer les rayons matinaux dans sa chambre. Il poussa un profond soupir avant de tourner la tête vers son réveil qui affichait midi trente. Il était en retard au travail, il le savait, mais ce n’était pas sa préoccupation, loin de là. Il prit le temps de se doucher et de se brosser les dents, afin d’enlever l’odeur d’alcool qui émanait de son haleine. Il s’habilla rapidement avant d’attraper sa veste en cuir, son casque et sa besace.

Il salua les quelques voisins qu’il croisa dans l’escalier et se pressa de sortir de son immeuble. La façade était crade et fissurée. Dans les marches, un groupe de femmes très peu habillé lui souriait. Sans leur prêter attention, il enfourcha sa Ducati rouge et fit vrombir le moteur jusqu’au Denver Report.

Autour de lui tout était blanc. La neige était bien tombée depuis le début de l’année et cela n’allait pas s’arrêter avant plusieurs semaines. Il roula à vive allure sur les routes déneigées jusqu’à arriver à destination. Il gara sa bécane entre deux voitures et retira son casque tout en entrant dans l’immeuble. C’était un grand bâtiment haut de plusieurs étages qui renfermait les meilleurs journalistes de l’État de Denver. Le jeune homme, salua d’un sourire la standardiste avant de monter deux par deux les marches jusqu’au premier niveau.

Dès qu’il pénétra sur le palier, l’odeur de café chaud et de cigarette venait à lui. Il en eut des haut-le-cœur, encore anesthésié par les effets de ses boissons alcoolisées pris la veille. Tous les bruits qui l’entouraient résonnaient dans ses oreilles. Que ce soit les sonneries de téléphones, ou l’écho des touches de claviers que ses collègues frappaient avec enthousiaste. Maladroitement, il se fraya un chemin jusqu’à son bureau, bousculant quelques pigistes sur son passage. Il apercevait également les regards haineux et agacés de ses compagnons de jeu. Tous se demandaient pourquoi il était encore ici, et Nick se le demandait aussi.

La tête baissée, les yeux entourés de cernes violacés, il parvint à rejoindre son bureau qui se trouvait au fond de la pièce, près d’une fenêtre. Il l’occupait depuis quatre ans et il n’avait pas grimpé les échelons contrairement à ses autres collègues. Pour tout dire, le journaliste n’en avait rien à faire de son travail, il le faisait pour rassurer ses proches, histoire de dire « tout va bien, ne vous inquiétez pas », et ils le croyaient. Mais lui ne croyait plus en ses propres mensonges.

Autour de lui, ce n’était que du brouhaha, des voix fortes, des rires rauques, et des remarques cyniques qui lui étaient adressées. Tout comme les regards froids et haineux qui le suivaient comme son ombre. Nick n’était pas très aimé ici, mais il ne s’en préoccupait pas.

À peine avait-il posé son casque sur son bureau qu’une porte s’ouvrit d’un coup sec. Tous les journalistes présents s’arrêtèrent de travailler à ce moment précis. L’étage était comme mis sur pause. Tous les regards étaient rivés sur l’homme qui venait d’en sortir. Il était grand, portant un costume marron, des cheveux courts et des yeux froids et autoritaires. Il se dirigeait d’un pied ferme vers le nouvel arrivant qui continuait de vaquer à ses occupations, comme si de rien n’était.

Lorsque le journaliste l’entendit s'approcher, il se redressa et lui fit face.

— Dehors ! hurla l’homme.

— Quoi ? soupira le pigiste, incrédule

— Tu m’as très bien entendu, Gray ! Tu dégages !

Un duel de regard commença entre les deux individus. L’un soutenait son regard ferme et tranchant, tandis que l’autre cherchait à comprendre ce qu’il se passait. Et cette scène se déroulaient sous les regards de ses collègues, tous aussi curieux, les uns que les autres, mais également satisfait de voir le grand et magnifique Nick Gray être remis à sa place. Pour une fois que cela arrivait, il ne fallait pas louper cette scène historique !

— Je ne veux plus te voir ici, insista l’homme, prends tes affaires et va-t’en !

Sur ces mots, il fit demi-tour laissant Gray seul comme un imbécile près de son bureau. Il ne pouvait pas à croire ce qu’il venait d’entendre. Très rapidement, les rires et les murmures fusèrent une nouvelle fois, mais il ne s’en occupa pas. Non, il était trop préoccupé par ce que son rédacteur en chef venait de dire.

— Dan, attends ! soupira-t-il en s’avançant vers lui.

— Quoi ?

Le dénommé Dan s’était retourné vers Gray, agacé et les yeux rouges, il semblait à bout de nerfs.

— Tu ne peux pas me faire ça, je…

— Il fallait y penser avant Nick ! grogna Dan. Écoute, j’ai été patient avec toi. Ça va faire quatre ans que je supporte tes retards, tes articles pas très glorieux, tes appels à trois heures du matin parce que tu es totalement torché, mais là je n’en peux plus !

Dan se retourna pour faire rejoindre son bureau, laissant Nick seul avec ses pensées. Il restait immobile face aux révélations de cette personne qu’il pensait être son ami.

— Rentre chez toi et réfléchit à ce que tu veux vraiment Nick, et demain tu me dis si tu veux continuer à travailler ici ou si tu démissionnes, ajouta-t-il en l’observant par-dessus son épaule.

La porte du bureau se referma derrière le rédacteur en chef, et soudainement la vie semblait reprendre son cours au premier étage. Les collègues de Nick qui avaient assisté à la scène l’observaient en souriant bêtement, certainement satisfaits de voir que le rédacteur en chef s’occupait enfin du cas Gray, mais Nick lui se sentait seul. Daniel était son ami depuis tellement longtemps, qu’à cet instant il se sentait délaissé. Les pieds traînants, Nick rejoignit son bureau et reprit ses affaires avant de quitter la grande pièce sous le regard de ses collègues. Tandis qu'il s'apprêtait à déserter le premier étage, les murmures de ses confrères le suivirent. Il descendit les escaliers lentement, écoutant alors les paroles de Dan résonner dans sa tête. Nick savait qu’il n’avait pas été très professionnel toutes ces années, et que Daniel avait laissé passer beaucoup de choses, mais là, la coupe semblait pleine pour son ami.

Nick décida alors de prendre sa moto une seconde fois et de rouler sans vraiment avoir de destination précise. Il laissa sa bécane le conduire à un bar. Il était treize heures trente et ce n’était pas trop tôt pour se mettre à boire. Du moins pour Nick. Il s’installa au comptoir et commanda un whisky à la barmaid qui essuyait ses verres entre deux clients. La salle n’était pas comble, mais la musique faisait croire le contraire. Deux hommes — des routiers — jouaient à une table de billard et ils devaient avoir dépassé la dose légale d’alcool. Ils ne parlaient plus entre eux, mais se hurlaient dessus, et riaient si fort que les murs pouvaient en trembler. Mais cela n’empêcha pas Nick de s’enfermer dans ses pensées. Il jaugeait pendant de longues minutes le fond de son verre avant de le vider cul sec. Il fit claquer le verre sur le comptoir puis en réclamer un second à la barmaid.

— Dure journée ? demanda-t-elle en lui tendant le verre.

— Dure vie ! répondit Nick en buvant sans attendre.

Elle le servit une nouvelle fois sans le quitter des yeux. Elle regardait son visage clair, ses cheveux châtains et ses yeux noisette avec curiosité. Il avait quelque chose d’attirant d’un côté, de brisé de l’autre, et surtout elle voyait en lui ce que les autres ne semblaient pas distinguer ; sa souffrance. Lorsqu’elle lui tendit le troisième verre, il redressa la tête vers elle, croisant alors le regard bleu de la serveuse. Elle lui sourit avant de retourner à son travail.

Nick se perdit une nouvelle fois dans ses pensées. Il songea à ses cauchemars, à Daniel et à ce qu’il avait fait de sa vie depuis son retour chez lui. Ce n’était pas très joli tout ça. Si son père le voyait, il aurait sûrement honte de lui.

L’un des routiers s’approcha du comptoir et réclama deux autres boissons. La barmaid les prépara et lorsqu’elle les posa sur le meuble, celui-ci attrapa la femme par le poignet et la tira violemment vers lui. Le bruit attira le regard de Nick, qui vit l’homme sourire de toutes ses dents. Il avait dans ses yeux quelque chose de mauvais et de malsain. Il ne connaissait que trop bien ce regard.

— Ça va ma jolie ? demanda-t-il sur un ton rocailleux.

— Lâchez-moi ! grogna la serveuse la voix remplie de peur.

Nick resta immobile quelques secondes, observant l’homme qui retenait la femme contre son gré et celui qui était derrière lui, un sourire froid et inhumain durcissait ses traits. Il s’empressa de finir son verre et le fit claquer contre le comptoir du bar, attirant le regard de l’homme.

— Tu as entendu la demoiselle, murmura-t-il, lâches là !

L’homme observa Nick de la tête au pied avant d’exploser d’un rire angoissant.

— Barre-toi gamin ! souffla-t-il.

— Bien, soupira Nick, vous ne me laissez pas vraiment le choix !

Très rapidement, Nick attrapa la queue d’un billard qui se trouvait derrière lui. Puis il frappa l’homme qui retenait la serveuse, dans l’estomac. Il tituba en arrière, relâchant ainsi la femme qui s’empressa de se cacher sous son comptoir.

— Tu vas le regretter ! cracha-t-il, agacé.

Il se jeta avec rapidité sur Nick qui esquiva vivement ses poings. Il se servit de la queue du billard pour le frapper dans le ventre avant de la lâcher. Il attrapa la tête de l’homme entre ses mains et lui donna un coup de genou dans le visage. Un cri de douleur résonna alors entre les murs du bâtiment. Le visage en sang, l’homme tituba une nouvelle fois. Il reprit ses esprits, tandis que l’autre routier s’attaquait à Nick. Le journaliste n’eut pas le temps de voir le coup venir et se retrouva avec un crochet dans la joue. Il se mit à saigner au niveau de l’arcade droite, mais ce n’était pas ce qui allait l’arrêter. Des étoiles dansaient brièvement sous ses yeux. Il vacilla quelques secondes, voyant le poing de son adversaire venir droit sur lui. Il l'attrapa au vol et lui retourna le bras pour le lui plaquer dans le dos. L’homme laissa échapper des gémissements de douleur avant que Nick ne l’assomme en le frappant contre le mur. Il relâcha sa prise et le routier s’écrasa au sol.

— Attention !

La voix de la femme le fit revenir à la réalité. Il se retourna avant de sentir quelque chose s’enfoncer dans son estomac. Son adversaire s’était muni d’une queue de billard et s’en servait comme poignard. Nick laissa échapper un râle de douleur et se retrouva plier en deux. Ses bras entouraient son ventre tandis qu’il tombait au sol. Le routier en profita alors pour lui donner de violents coups de pied dans le visage, dans le dos. Et toute la violence qu’il déversait sur le journaliste le fit rire aux éclats.

Nick encaissait les coups comme personne. Ce n’était pas sa première bagarre et certainement pas sa dernière. Il fermait les yeux, et essayait de trouver une solution pour sortir du merdier dans lequel il s’était encore fourré. Il sentait un liquide chaud couler sur son visage, ses paupières gonflées, et certains os se briser. Mais il savait qu’il allait s’en sortir. Dans un élan de courage, le journaliste ouvrit les yeux et se redressa avant de saisir le pied de l’homme. Il l’attrapa avec ses deux mains et refermait sa prise avec force autour de sa cheville. La seconde suivante, il s’écrasa au sol. Sa tête se cogna bruyamment sur le parquet du bar.

Nick poussa un profond soupir en se relevant. Son regard dansait entre les deux hommes qui gisaient inconscients.

— Oh mon Dieu ! soupira la barmaid. Vous allez bien ?

Il tourna la tête vers elle et afficha un petit sourire rempli de douleur. Dire qu’il allait bien était un euphémisme. Il pensait avoir au moins deux côtes fêlées, et certainement des dents cassées, du moins c’est l’impression que lui donnait le goût métallique qui résidait sur son palais.

— Si je peux vous donner un conseil, commença-t-il en tournant la tête vers elle, ce serait de ne plus servir des hommes comme eux.

— Je ne choisis pas mes clients, rétorqua-t-elle en souriant nerveusement.

Il retourna près du bar et attrapa la bouteille de whisky qui était restée posée là avant de s’en prendre un verre. Cela allait certainement atténuer les douleurs que son corps lui faisait subir.

— Heureusement pour moi alors, soupira Nick en la regardant dans les yeux.

Et à l’instant où la serveuse croisa une nouvelle fois le regard de Nick, il comprit ce qui allait se passer ensuite. Ils se voyaient déjà collés l’un à l’autre, les corps brûlants de désir, le cœur battant. Tout ça ne signifiait rien pour lui, mais c’était comme des pulsions qui depuis quelque temps faisaient partie de lui. C’était un de ses boutons d’autodestruction qu’il actionnait lorsqu’il broyait du noir, et depuis peu ce bouton lui collait à la peau.

Son téléphone continuait de vibrer sur le parquet. Des vêtements jonchaient le sol et étaient semés jusque dans la salle du bar. Il émergeait lentement, réveillant alors les douleurs que son corps lui infligeait, et ressentant les effets des quelques verres qu’il avait bu plus tôt dans la journée. Du coin de l’œil, il observa la jeune barmaid qui était endormie à côté de lui. Il aurait pu être pris de remords d’avoir profité de cette femme, comme il l’avait fait tant de fois fait auparavant. Mais Nick n’éprouvait rien à ce moment précis. Et ce depuis longtemps.

Le jeune homme poussa un profond soupir, las, avant de passer une main dans ses cheveux tout en cherchant son téléphone. Lorsqu’il l’eut entre ses doigts, il décrocha sans regarder qui était son interlocuteur.

— Allô ? grogna-t-il en observant le plafond.

— Bordel tu es où ?

— Difficile à dire, soupira Nick en se redressant. Qu’est-ce qu’il y a ?

— Tu étais censé nous retrouver au salon il y a une demi-heure !

— Pour quoi faire ?

— Oh bah je n’en sais rien moi, peut-être parce que Jared nous l'a demandé !

— Ouais bah, je ne dois pas trop lui manquer !

— Nick, tu as intérêt de rappliquer dans les trente minutes qui suivent ou je te promets que je te tue !

Il raccrocha et se leva en observant autour de lui. Il attrapa ses vêtements et les enfila en faisant attention de ne pas réveiller celle qui dormait encore. Il mit ses chaussures et saisit son casque avant de disparaître hors du bar. Sa moto était toujours au même endroit, couverte d’un peu de neige. Il la retira d’un geste et enfourcha sa Ducati.

Autour de lui la nuit commençait déjà à tomber les lampadaires s’allumèrent sous son passage. Il n’avait pas hâte de se retrouver dans la même pièce que son frère ainé, Jared, et de sa jumelle April. Ils étaient tous les deux trop différents de Nick, et ne le comprenaient pas. Jared lui reprochait tout ce qu’il pouvait, et April ne cessait de le traiter comme un enfant. Quant à leur mère, elle avait toujours préféré Jared à Nick et April était sa fierté. Nick se sentait comme le vilain petit canard dans sa propre famille. Même son père, de son vivant, lui avait fait comprendre qu’il ne valait même pas la peine de dépenser un centime pour ses études.

C’était le cœur lourd de souvenirs que Nick gara sa moto devant le salon. Le salon était l’endroit où ils se retrouvaient tous les quatre de temps en temps. Le lieu appartenait à sa mère qui depuis le décès de son mari ne vivait que pour ses cupcakes et ses enfants. Elle tenait à ce lieu plus qu’à la prunelle de ses yeux ! Nick les observait tous les trois, immobile. Il les voyait rire et sourire. Encore cette fois il n’avait pas l’impression d’être le bienvenu. Mais April l’avait appelé alors il devait y aller.

Avant de pousser la porte, il retira son casque et grimaça de douleur lorsque le froid se posa sur ses coupures encore fraîches. Il fit tinter la clochette du salon, attirant ainsi le regard des occupants. Leurs sourires s’effacèrent aussitôt. April observa son jumeau soudainement inquiète, même si elle avait l’habitude de le voir blessé de la sorte.

— Qu’est-ce qu’il t’est arrivé ? soupira sa sœur, soucieuse.

— Rien, murmura Nick en posant son casque.

— Tu sens déjà l’alcool ! reprocha son aîné.

— Je suis content de te voir aussi ! répliqua Nick.

Seule sa mère restait silencieuse. Elle se contenta de s’approcher de son fils et de le prendre dans ses bras. Les accolades de sa mère étaient l'unique chose qui pouvaient donner à Nick un peu de réconfort. Il se demandait, de temps en temps, si elle voyait à quel point il souffrait. Les mères savent tout, c’est bien connu, mais Madame Gray ne connaissait pas son fils comme elle le laissait entendre. Il était pour elle un parfait inconnu depuis plusieurs années.

Ils s’installèrent ensuite à la table, sur laquelle se trouvaient trois tasses de café et une tisane, ainsi que des petits gâteaux. Nick observa la table, avant de redresser la tête vers son frère qui le jugeait d’une étrange manière. Leurs regards se croisèrent pendant de courtes secondes, mais Nick eut le temps de lire tout le mépris que Jared avait à son égard. Il faut dire que depuis son retour, Nick ne lui avait pas facilité la vie, mais ce n’était pas pour cette raison que Jared regardait son frère de cette façon — du moins, ce soir-là.

Nick tourna la tête vers sa sœur qui souriait de toutes ses dents et sautillait sur sa chaise telle une enfant qui attendait ses cadeaux de Noël. Une lueur enfantine, et impatiente brillait dans ses iris verts, Nick ne se souvenait pas l’avoir vue comme ça depuis plusieurs années. À aucun moment, le regard des jumeaux ne se croisa. Alors, il abandonna sa jumelle et tourna une nouvelle fois les yeux vers son frère qui continuait de le juger intérieurement. Seulement, Nick avait l’impression d’entendre les paroles de Jared dans sa tête. Elles étaient cassantes, méchantes même. Il baissa finalement les yeux, ne supportant pas ses réprimandes.

— Alors ? s’impatienta April. Qu’est-ce que tu voulais nous dire ?

Nick soudainement intéressé se redressa et fit mine d’écouter son ainé. Un sourire curieux s’afficha sur son visage. Nick ne l’avait pas vu sourire comme ça depuis qu’il avait demandé Dona en mariage huit ans plus tôt. C’était toujours une sensation étrange de le voir ainsi.

— Dona et moi, nous allons avoir un enfant, confessa-t-il le sourire aux lèvres.

Alors que sa sœur et sa mère se ruèrent sur lui pour le féliciter, Nick resta assis à sa chaise le regard dans le vide, le cœur tout à coup lourd. Il se perdit dans ses pensées, tout en essayant de se raccrocher à la réalité. Au fond de lui, il savait qu’il devait réagir. Il luttait contre lui-même pour sortir de ses songes. Et lorsqu’il y arriva, il redressa la tête vers son frère et le complimenta à son tour, mais la joie en moins.

Combien de temps s’écoula après cette annonce ? Dix, vingt ou peut-être trente minutes ? Les aiguilles de l'horloge semblaient s’être figées pour Nick lorsque son frère avait annoncé cette merveilleuse nouvelle. Sa mère parlait déjà des prénoms, sa sœur savait pertinemment qu’elle serait la marraine de ce petit et Nick lui était conscient que son frère allait le décrire comme l’oncle à éviter.

Les voix de sa mère et sa sœur se mêlèrent l’une à l’autre et Jared répondait joyeusement à toutes leurs questions. Seul Nick restait en retrait, à l’écart. Comment pouvait-il leur en vouloir ? Le regard perdu dans sa tasse de café, il songeait pendant de courts instants à son propre passé, au bonheur qu’il avait jadis connu. Où était-il passé ce fichu bonheur ? Il avait été balayé de sa vie comme un ouragan balaie une ville ! Et Nick souffrait. En silence. Ce soir-là, peut-être plus que les autres. Mais il le cachait.

En fixant sa tasse de café, il jurait intérieurement de ne pas avoir apporté sa flasque de whisky, mais qu’allait dire son frère s’il le voyait boire juste sous ses yeux. Parce qu’à la différence de Nick, Jared ne buvait pas une goutte d’alcool ! Il était l’exemple même, de l’homme parfait.

Il écoutait attentivement, quoique légèrement désabusé, son aîné parler avec sa sœur et sa mère. Pendant toute la durée de ses retrouvailles, aucun d’eux n’adressa la parole à Nick. Au bout d’une demi-heure, il comprit que sa place n’était pas ici. Alors, il termina sa tasse de café, désormais froide, et se leva de sa chaise sous les regards de ses proches.

Il vit bien, le regard réprobateur de son aîné, le coup d’œil inquiet — mais tout de même agacé — de sa jumelle, et le visage fatigué de sa mère. Mais c’était devenu son quotidien ses dernières années.

Maladroitement, il félicita Jared une nouvelle fois, puis embrassa sa sœur avant de prendre sa mère dans ses bras. Il sentit son cœur le pincer lorsqu’il se défit de son étreinte. Mais, une fois la porte du salon fermée, sa famille s’était déjà remise à parler biberon et prénom.

Alors, dans la nuit, Nick rejoignit sa moto. Le froid saisissait son visage blessé. Il prit son casque entre ses mains, et l’enfila tout en observant sa famille. Son frère souriait. Jared souriait. Cette vision était de plus en plus étrange. En présence de Nick, il ne riait jamais. Mais là, qu’il était seul avec sa cadette, et sa mère, il pouvait sourire. L’épine qu’il avait dans le pied s’était — temporairement — éloignée.

Il fit vrombir sa moto, tout en sentant son cœur saigner douloureusement. Ses yeux dansèrent sur le visage amusé et heureux de sa sœur. Sa jumelle qui plus est. Identique et pourtant si différent. Nick baissa la tête et retira la béquille de sa bécane, avant de quitter le parking, le cœur de plus en plus serré.

Il en était sûr désormais, il ne faisait plus partie de cette famille depuis bien longtemps.

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