17 - Carte postale

15 minutes de lecture

 (Le récit qui suit prend place dans un environnement anglophone, cependant, par considération pour mon lecteur qui préfère sans doute lire du français, j'ai décidé d'employer cette langue exclusivement - sauf exceptions nécessaires. Dans certains cas, une évidente discordance apparaîtra, mais j'espère et je crois que le désagrément n'en sera pas trop dommageable.)

 Cette histoire a commencé il y a trois semaines, au milieu de l'automne.

 Ce jour-là, j'avais passé ma soirée avec des amis à un pub. À première vue ça n'a pas grand chose à voir avec ce qui a suivi, mais j'ai pourtant l'intuition qu'il y a comme un lien, qu'il faut commencer le récit par là. Ce soir-là, donc, rassemblés à une table autour de bières, nous avions parlé de tout et de rien. Je me souviens seulement que la conversation avait beaucoup tourné autour de la fantasy, de la mythologie, de Tolkien... Whilhelm avait souligné qu'un point intéressant dans ce genre d'oeuvres, c'était que chacun avait sa place, son rôle. Dans la Communauté, ou dans n'importe quelle bande autour du héros, il y a un mage, un elfe, un héros, etc., et c'est ensemble qu'ils arrivent au bout de leur quête. Ils sont connectés entre eux tout comme leur monde est connecté au nôtre.

 Un des garçons s'est levé pour aller fumer dehors. Je ne me souviens pas de son nom. C'est un garçon timide. J'ai l'impression qu'il a du mal à s'intégrer dans le groupe. Ce soir-là, il avait très peu parlé, et paraissait intimidé, en retrait. Alors j'ai fait mine partir aussi fumer, pour le retrouver dehors. C'était une soirée très fraîche, et la buée de son souffle s'ajoutait à la fumée qu'il expirait. Il avait les yeux un peu rougis. On est restés immobile quelques longues minutes sans parler. Je le regardais, lui regardait nulle part, ou peut-être le ciel. Il y avait sur son visage une espèce de hargne lasse. Je ne sais pas si les autres nous considéraient à travers la vitre ou s'ils ignoraient notre absence momentanée. Après un long moment de silence, il a simplement dit : "Je t'offre un verre ?".

 On a parlé devant le comptoir. Comme j'avais pris assez de bière, et lui aussi, on a pris une Bulmers. Comme par curiosité. Je prends rarement du cidre. Il m'a parlé de ses études. Il est en histoire, et il se spécialise dans les civilisations celte et scandinave. En fait, plus spécifiquement, il travaille sur une thèse autour de (j'ai mémorisé par coeur) l'influence de la culture celtique dans le folklore islandais. J'ai soupiré d'admiration et d'ignorance, et lui ai confessé ne rien connaître à cette histoire et ne même pas pouvoir situer l'Islande sur une carte.

  • Non, tu déconnes.
  • Je t'assure. La géographie européenne, j'y connais rien.

 Il m'a regardée un moment, puis m'a expliqué que c'était justement ça qui le perturbait. Il se demandait à quoi ça servait ce qu'il apprenait, pourquoi il faisait ça, au fond. À force d'étudier des témoignages anciens, il a l'impression de parler davantage à des hommes du passé qu'à ceux du présent. D'avoir des spectres pour compagnie. Moi, j'avais un peu du mal à lui répondre. Mais j'ai fait en sorte en tout cas de lui remonter un peu le moral, et puis, un peu espiègle, j'ai interrompu le reste du groupe et l'ai poussé à leur parler de ce sur quoi il travaillait. Ça l'a beaucoup intimidé, et ça a aussi surpris les autres, mais ils l'ont écouté avec considération, avec intérêt, même. J'ai senti que j'avais fait ce que j'avais à faire.

 C'est en rentrant chez moi que je l'ai trouvée. Ma boîte aux lettres était entrouverte, j'ai donc pioché dedans en pensant avoir du courrier. J'ai seulement trouvé une...carte postale. Je crois. Il y avait une photo de paysage sur une face, et sur l'autre un texte incompréhensible, avec des accents partout. Peut-être du français, ai-je pensé. Je ne suis pas très douée en langues.

 Je ne saurais pas dire exactement pourquoi, mais cette carte m'intriguait beaucoup. Le paysage était celui d'une baie. Il était étonnamment triste, véhiculant beaucoup de mélancolie. Il me serrait le coeur rien qu'à le regarder. Quant à l'écriture du texte, elle était très jolie, pas très soignée mais très vivante. Il y avait un petit bout que je pouvais comprendre, tout à la fin. Elle était en effet signée : "Doã ammah, Harbour of tears". Ce devait être le nom du lieu d'où la personne envoyait cette carte (peut-être après son nom). C'était un toponyme très étrange, très mystérieux. Très sombre, aussi.

 Si c'était bien les coordonnées de l'expéditeur, en revanche il n'y en avait apparemment aucune quant au destinataire. C'était manifestement une erreur, mais je ne voyais pas comment la rectifier, sinon peut-être en me rendant au bureau de poste le plus proche. À vrai dire, je ne savais même pas où il était, je n'ai jamais envoyé de lettre. Quoi qu'il en soit, je pouvais attendre un peu avant d'y aller, il était tard.

 J'en ai parlé le lendemain avec Isabelle, une camarade de classe. Comme son nom le suggère, elle est française, enfin je veux dire qu'elle a des origines. Je me suis dit qu'elle pourrait m'aider à éclaircir cette histoire, et qu'elle pourrait me faire une traduction, si c'était bien du français. On s'est retrouvées à la cafétéria de la fac. Je lui ai tendu la carte, et lui ai demandé si elle pouvait traduire.

  • Ben non, pourquoi ?
  • Comment ça ? T'as pas envie ?
  • Mais pourquoi je pourrais traduire ? Je sais pas ce qu'est cette langue mais je la connais pas.
  • Ah, zut... Je pensais que c'était peut-être du français...
  • Haha, tu plaisantes ? Tu trouves que ça ressemble à du français ?
  • Il y a des accents partout...
  • Si ton objectif c'est de traduire la carte, tu n'as qu'à demander à James, il travaille comme linguiste. Tu le connais ?
  • Oui, on s'est déjà rencontrés... Tu as raison, merci. Au fait, tu crois qu'après je devrais faire quoi avec cette carte ? L'amener au bureau de poste ?
  • Hum... Je ne vois rien qui ressemble à des coordonnées du destinataire. Celui ou celle qui a envoyé cette carte est quelqu'un de bizarre, si tu veux mon avis. Enfin bref, je vois pas ce qu'ils pourraient en faire, sinon la jeter. Fais ta propre enquête, et tu pourras aviser ensuite.
  • Oui ok, tu as raison.

 Comme j'avais cours, je suis restée assise, à boire un café, à côté d'Isabelle. J'ai contemplé l'image de la carte. Elle est vraiment belle, et vraiment triste à la fois. C'est une peinture, mais tellement bien faite qu'on pourrait croire à une photographie. Bizarrement, l'artiste a choisi de représenter le lieu sous un ciel gris, chargé de nuages, de brume et de pluie. Mais ça participe à l'atmosphère. Au centre de la carte, il y a une mer apparemment agitée, et plus bas sur la droite, une baie de rochers, au relief aride, peu accueillant. On croit discerner quelques silhouettes agitant leurs bras comme au départ d'un train. C'est une image qui me parle. Qui me touche.

 Avec James, deux jours plus tard, j'ai fait comme avec Isabelle, je lui ai tendu la carte, lui demandant s'il pouvait traduire, et ajoutant, pour le tester, que ça m'évoquait du français. Il a à peine jeté un coup d'oeil qu'il a réagi :

  • Mais non, certainement pas. Enfin, euh...pardon, mais non, ce n'est pas du français. Par contre, linguiste, ça ne veut pas dire que je parle toutes les langues du monde, d'ailleurs je n'en parle pas beaucoup.
  • Ah bon ?
  • ...Le but c'est pas de parler les langues, c'est de connaître leurs structures, les familles de langue, comment elles évoluent... Ce genre de chose... Enfin bref. Là, comme ça, je ne saurais pas te dire de quelle langue il s'agit.
  • Ah zut. Tu n'as aucune idée ?
  • Ben, évidemment c'est de l'indo-européen.
  • Ben...?!
  • Non attends attends, c'est pas une langue, c'est une famille de langues, c'est un peu comme si je disais que cette carte venait d'Europe.
  • Je crois que je vois... Il y a quoi comme langues indo-européennes ?
  • Beaucoup, en fait la plupart des principales langues, donc ça ne t'avance pas beaucoup en fait. Cela dit, c'est probablement, plus spécifiquement, une langue celtique. Mais il y a pourtant des mots qui me chiffonnent, comme par exemple "ammah", à la toute fin, qui serait plutôt du germanique, peut-être... Alors je n'ai pas de certitude.
  • Ah ça veut dire quoi d'ailleurs "Do amma" ou je ne sais quoi, tout à la fin ?
  • Probablement "ta mère" ou "ta grand-mère".
  • Oh... D'accord.
  • Ça te va ? Ou bien, si tu veux, je peux faire un peu plus de recherches. J'ai un ami dont les grands-parents sont irlandais, peut-être qu'ils pourront nous aider - ce n'est pas dit. Je t'emprunte ta carte ?

 En entendant cette question, j'ai senti en moi comme un réflexe défensif. Je sentais que je ne devais pas donner ou même prêter la carte. Bien sûr, elle n'était pas à moi, mais c'était pourtant dans ma boîte aux lettres qu'elle s'était retrouvée. Pour l'instant, je devais la garder.

 J'ai donc dit à James que je recopierais la carte et lui enverrais le texte. Il m'a dit que je n'avais qu'à prendre une photo, c'était plus simple, mais j'ai insisté, ça me plairait de recopier la carte, avec soin.

  • Bon ok, mais fais bien attention à tous les graphèmes et signes diacritiques !
  • Aux quoi ?
  • Euh...je suis bête... Recopie scrupuleusement toutes les lettres, mêmes celles que tu trouves étranges, et les accents, et les autres signes, la ponctuation, euh...enfin bref, recopie tout exactement comme c'est !
  • T'inquiète !

 J'ai recopié la carte le lendemain matin. C'était assez fastidieux, mais j'en profitais pour apprécier la langue, l'écriture... J'aimais beaucoup ce mystère, cet ésotérisme autour de la carte. Comme si elle me transportait ailleurs. "Ta grand-mère"... Et si c'était vraiment ma grand-mère ? Si c'était elle qui m'écrivait, depuis une île, quelque part en Europe ? En Irlande, peut-être ? Je crois qu'il y a beaucoup d'immigrants irlandais qui ont traversé l'Atlantique pour rejoindre le nouveau continent. Mais si c'était vraiment ma grand-mère, comment m'aurait-elle retrouvée ? Pourquoi me contacter si mystérieusement ? Et puis pourquoi ne pas avoir écrit en anglais ? Est-ce qu'elle ne parle pas cette langue ? Ils ne parlent pas anglais, en Irlande ?...

 En songeant à toutes ces questions, je me distrayais de ma tâche, et restais, le stylo à la main, le regard dans le vide. Et c'est à ce moment que ma coloc est arrivée, et devant mon air un peu curieux, m'a demandé si j'allais bien. En ajoutant que j'étais souvent dehors ces jours-ci. Et me demandant donc malicieusement si j'avais un flirt. Je lui ai répondu "En quelque sorte... Mais je crois pas que ce soit un homme..." Devant son air interrogatif, je lui ai expliqué l'histoire, et lui ai montré la carte.

  • Et du coup tu comprends rien... C'est vrai que c'est bizarre cette langue. Ah attends, si, il y a un tout petit bout en anglais. "Harbour of tears".
  • Oui, c'est la seule exception. Mais je ne vois pas trop de quoi il s'agit. J'ai supposé que c'était le lieu d'où la carte a été envoyée.
  • Attends, ça me dit quelque chose... Une minute...

 Elle est partie fouiller parmi ses disques. C'est une fan de musique, elle s'intéresse à beaucoup de groupes et de genres de musique, que je ne connais pas pour la plupart (ou seulement vaguement). De temps en temps elle me fait écouter.

  • Le voilà ! Ouii, c'est ça ! Harbour of tears ! C'est un album de Camel !
  • Hein ? un album ? Mais pourquoi elle citerait un album à la fin ? Attends, c'est de quelle année ?
  • ...1996.
  • Ah ! alors la carte est plutôt récente en fin de compte !
  • Non mais attends, je ne pense pas qu'elle cite l'album. Si ma mémoire est bonne, c'est le nom d'un lieu, dont Latimer s'est inspiré.
  • Qui ça ?
  • Le chanteur. Attends... Voilà, c'est ça... Harbour of tears, c'est ce que voyaient les immigrés irlandais qui partaient pour le nouveau continent, leur dernière vue. La rade de Cóbh. Les visages fermés de leurs proches, les mains agitées inutilement dans les airs... Comme pour rattraper un oiseau qui prend sa liberté. Un oiseau qu'on ne peut pas attraper. Les larmes qui leur coulent sur le visage. C'est sans doute ça qui est représenté sur l'image au dos de la carte...

 Je l'écoutais sans intervenir, captivée. Elle a continué encore un peu, puis elle s'est interrompue, et m'a demandé si j'avais cours aujourd'hui. Comme je lui ai dit que j'avais cours dans trois heures, elle m'a proposé d'écouter l'album.

 C'était de belles chansons. Pas le genre que j'écoute d'habitude, enfin je n'écoute pas beaucoup de musique d'ailleurs... Mais c'était très beau. En particulier, "Watching the bobbins" était assez poignant, et j'aimais bien "Irish air", qui était courte mais vive et puissante, surtout au moment où la guitare intervient. C'est vibrant.

 On se disait quelques mots tout en écoutant, mais on est restées silencieuses pendant l'essentiel du temps. À la fin, je suis restée rêveuse encore quelques instants, puis je me suis remise à recopier la carte. Très soigneusement, comme me l'avait recommandé James.

 Après avoir remis à James la feuille où j'avais recopié le texte, je suis partie à la bibliothèque. Je ne savais pas trop où et comment chercher, alors après avoir serpenté entre les rayons, je suis allée voir le bureau d'une bibliothécaire. Elle avait l'air aimable, je pensais pouvoir l'aborder. Je lui ai expliqué sur quoi je cherchais des informations.

  • Cóbh... Oui, je vois... En fait, vous avez de la chance, j'ai des origines irlandaises, et vers cette région, alors je connais bien.

 Elle m'a raconté (en chuchotant bien sûr) tout ce qu'elle savait sur l'Irlande, sur le Cork, sur les difficultés du peuple irlandais, la colonisation anglaise tout au long du deuxième millénaire, les différentes vagues, les rébellions, les famines, l'intolérance religieuse, les vagues de migrations vers l'Amérique... Malheureusement, elle m'a beaucoup raconté et je n'ai pas beaucoup retenu. "Les paroles s'envolent, les écrits restent". Cela dit, elle m'a proposé quelques livres sur le sujet. Les examens sont passés, alors j'aurai le temps de les lire.

 J'ai contacté James pour lui raconter ce que j'avais découvert. Il en a profité pour me donner l'état des lieux de ses propres recherches. Il m'a dit que la langue était suffisamment proche de l'irlandais moderne (j'ignorais que c'était une langue), pour que les grands-parents de son ami, avec sa propre aide, parviennent à déchiffrer le gros du texte. Celle qui a envoyé cette carte écrit à sa petite-fille, partie par la mer vers un autre pays, lui souhaite bon voyage et bon courage, de se marier et de fonder une famille, et lui donne des nouvelles de la maison. Les détails quant à eux sont noyés dans le contexte historico-culturel qu'il est difficile à cerner avec précision. En fait, au point où ils en sont, les détails divergent, ils indiquent différentes époques, différents lieux. Par exemple, la présence de vocabulaire germanique suggèrerait que l'autrice est une esclave irlandaise en Islande, mais le seul fait qu'elle ait écrit cette carte rend déjà cette hypothèse très suspecte (je ne comprends pas très bien les détails, mais James paraît savoir de quoi il parle). Et il n'est même pas certain que ce harbour of tears soit le même que celui de

 Pour conclure, il me dit qu'il est plus probable que ce soit une simple erreur, mais que je pourrais néanmoins faire des recherches généalogiques...pour voir... L'idée m'interpelle, mais je ne vois pas trop comment m'y prendre. Depuis une semaine, je découvre beaucoup de choses, d'univers, de milieux... Je suis un peu perdue dans tout ça...

 J'en parle le soir même avec ma coloc'.

  • Houlà, c'est compliqué ces histoires de généalogie... Enfin, le mieux c'est d'en parler avec tes parents.
  • Oui, tu as raison...
  • Au fait, tu connais ces trucs où tu mets un doigt...ou...enfin je sais pas trop, mais après ils t'indiquent tes origines géographiques, d'où tes ancêtres venaient, sur la carte. C'est vraiment super !
  • T'as déjà essayé ?
  • Non... C'est un peu cher... Et puis c'est surtout un gadget. Mais ça permet de découvrir d'où on vient, de voir que nos origines sont mélangées... Evidemment, pour nous ce n'est pas très étonnant, mais en Europe, et ailleurs, ça peut surprendre les gens. Il y a plein de vidéos de réactions.
  • Je vois...
  • Ah, autre chose, ce soir on reprend l'écoute. Maintenant on va écouter de la folk irlandaise. Tiens regarde, voilà, j'ai un album de Planxty, Words and music. L'une des chansons, Thousands are sailing, parle des migrants irlandais, on est dans le thème. Tu vas voir, c'est pas la même ambiance que Camel, mais c'est très intéressant aussi, on reste dans le côté lyrique...limite déchirant à certains passages.
  • Ok...

 Cette histoire a pris un tournant inédit avant-hier. Je ne sais pas si on peut dire qu'elle s'est terminée ce jour-là, mais en tout cas c'est là que mon récit doit s'achever.

 Dans la journée, un garçon que j'avais rencontré au cours de ces dernières semaines (au même moment que les autres évènements, mais c'est une autre histoire) m'a invitée à sortir se promener. C'est assez rare qu'on me propose ça. Pourquoi pas, me suis-je dit. J'ai longuement regardé ma mystérieuse carte postale, l'ai posée sur la table, me suis mis une écharpe, et suis sortie.

 À côté de la plage de Laughempyre, il y a une crique, peu connue et difficilement accessible, et de ce fait le plus souvent déserte. Il m'y a guidée en me faisant signe de faire attention aux endroits délicats, et quand nous sommes arrivés, j'ai découvert un lieu...onirique, chargé de beauté et de mystère, et qui n'était pas sans m'évoquer un peu le paysage de ma carte. La vue était émouvante, une partie sur la mer, une partie sur la terre. Les parois faisaient résonner le son de nos voix.

 Je dois reconnaître que mon coeur battait un petit peu fort, que d'être ici...m'emplissait d'émotions. Je ne saurais dire lesquels. C'est comme si, peu à peu, au cours de ces quelques semaines, on avait gratté sur la voûte de mon univers, pour y révéler de nouvelles étoiles.

 Le garçon m'a parlé de ses propres origines néerlandaises, de l'histoire de son ancêtre corsaire Piet Hein... De son rapport à la mer. Et m'a expliqué énigmatiquement que j'étais désormais une compatriote du peuple de la mer. De ceux qui viennent à cette crique contempler l'azur en songeant à ces ailleurs dont ils viennent et à ceux où ils iront. Qu'il suffit d'attendre que souffle le bon vent.

 Une fois rentrée, j'ai voulu regarder la carte, pour comparer avec la crique. Mais je ne l'ai pas trouvée. J'étais pourtant sûre de l'avoir laissé sur la table de la pièce commune, mais elle n'y était pas. Ma colloc' était censée être absente toute la journée, et je ne voyais pas qui d'autre aurait pu entrer. Et ce n'était certainement pas un cambriolage, tout le reste paraissait en ordre.

 J'ai fouillé dans tout l'appartement, je l'ai retournée de fond en comble - en fin de compte, c'était moi la cambrioleuse - mais rien à faire, je ne l'ai pas retrouvée. La carte s'est évaporée.

 J'avais fini par comprendre qu'il resterait en elle une irréductible part inaccessible, résistant aux assaults linguistiques de James (qui finissait par croire que malgré sa proximité avec l'irlandais et le celtique en général, c'était une langue inventée) et à mes propres recherches. Et voilà qu'elle m'échappait ainsi. Comme un point d'orgue à toute cette aventure.

 Ce soir-là, après avoir abandonné et admis que la carte était perdue, j'ai ouvert la fenêtre, et suis restée à regarder la ville. Il y a comme de la féérie dans une ville plongée dans l'obscurité de la nuit, et qui envoie, pour lutter éternellement, ses escadrilles de lucioles, occuper tous les périmètres. Leurs lueurs se mêlent, brillent comme des étoiles d'en bas, sans vraiment vaincre les ténèbres. Plutôt en jouant avec elles. Et à les regarder ainsi, on se dit que même après tous les siècles de découvertes, il suffit d'allumer une lanterne, d'ouvrir un oeil, et tout est différent.

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