05 - Eyleen

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Elle se réveilla dans la nuit noire, tremblante de froid. La première chose qu'elle remarqua fut l'absence de ses vêtements. Pourquoi était-elle nue au milieu de la rue et... sur le toit de son taxi ? Qu'avait-elle fait de ses vêtements ? Elle descendit de la voiture tâchée de sang et mit les mains sur son corps pour cacher ses parties intimes, observant la rue autour d'elle. Tout était beaucoup trop calme. Les seules voitures qu'elle voyait étaient soit garées, soit laissées à l'abandon au milieu de la route, soit accidentées. Elle ouvrit son coffre et en sortit une couverture qu'elle utilisait parfois pour faire la sieste entre deux clients. Elle se couvrit et son regard tomba sur le cadavre de son client du matin. Elle détourna les yeux, un tel manque de contrôle, c'en était gênant. Elle remarqua à ce moment seulement les statues trônant un peu partout sur la route et sur les trottoirs. Elle s'approcha de l'une d'elles. Qui avait habillé toutes ces statues ? Celle-ci avait carrément une alliance et son téléphone dans la main. C'était très réaliste. Tellement qu'Eyleen eut un doute et recula d'un pas. Ce n'était pas une statue, mais une vraie personne, changée en pierre ! Eyleen, frappée par cette découverte, s'approcha d'une autre statue et la renifla d'un geste rappelant la lionne qu'elle était quelques instants plus tôt. Pierre froide mais odeur humaine, mais pas seulement. Un relent nauséabond s'y accrochait, qu'elle ne savait identifier tout en sachant qu'elle l'avait déjà senti bien des fois. Elle recula à nouveau. Le silence, l'odeur de fumée et l'absence de circulation ne collaient pas avec ce quartier d'ordinaire si mouvementé.

Elle chercha un repère, quelque chose de familier à quoi se raccrocher et son regard tomba sur deux hommes plutôt jeunes, œuvrant manifestement en cachette. Que les dealers et les drogués restent fidèle au poste indiquait que le monde, finalement, continuait de tourner, et ça c'était rassurant. Elle replaça la couverture sur ses épaules et se glissa dans la voiture jaune. Ici, au calme, comme protégée, elle mit ses idées au clair. L'odeur familière de cuir neuf l'aida à se concentrer sur ses souvenirs, ses sensations. Pour commencer, elle sentait une présence en elle, pas une autre entité, mais comme une autre facette d'elle-même qui avait vu le jour. Cette facette, elle la connaissait car elle était maintenant autant lionne qu'humaine. Alors que sa journée lui revenait vaguement en tête, elle commença à comprendre la désertion des rues. Ses souvenirs étaient teintés de sang, et ils en avaient aussi le goût. Les cris des innocents et des moins innocents résonnaient encore dans ses oreilles. Maintenant qu'elle y pensait, ses sens étaient plus aiguisés. Elle sentait l'odeur du muffin de ce matin. Elle entendait des chuchotements, au loin, d'enfants qui se cachaient, terrorisés. C'était saisissant, tout de même, de se rendre compte que dans ce paysage de mort, elle se sentait plus vivante, plus vibrante que jamais. Au milieu de toute cette violence, elle avait, elle le savait, trouvé une nouvelle famille qui comptait sur elle.

Eyleen avait perdu ses parents il y a six ans dans un accident de voiture. Elle se rappelait le coup de téléphone fatidique. Elle était partie se défouler à son cours de karaté, après s'être, encore une fois, disputée avec eux. Ils voulaient qu'elle continue ses études, qu'elle ait un solide bagage, mais la jeune rebelle n'avait jamais voulu les écouter. Ce genre de dispute était assez régulière, c'est pourquoi elle était rapidement devenue ceinture noire de karaté, chose dont elle était assez fière au fond d'elle. C'était peut-être le seul domaine dans lequel elle excellait, le seul dans lequel elle était meilleure que sa sœur, de trois ans plus jeune qu'elle. Elles se ressemblaient comme des jumelles, avec les mêmes yeux verts, les mêmes cheveux blonds, la même peau pâle. Mais leur caractère était diamétralement opposé, Charlotte étant douce et obéissante, et Eyleen en perpétuelle révolte. Jusqu'à ce jour-là, elles avaient été plutôt complices, mais le décès de ses parents avait tellement choqué la jeune femme qu'elle avait tout juste prononcé que les mots nécessaires à l'organisation de l'enterrement. Elle garderait toujours en elle l'écho des pleurs de sa cadette, la laissant impuissante, comme paralysée, incapable de la consoler. Elle s'était contentée de l'ignorer,faute de mieux, sa petite sœur, la seule famille qu'il lui restait. Par la suite, elle avait déménagé et ne l'avait même plus recontactée. En apparence, Eyleen avait totalement délaissé sa sœur. En réalité, elle avait rapidement trouvé son travail de chauffeuse de taxi dans le seul but de payer les études de Charlotte. Peut-être était-elle devenue médecin ou vétérinaire, étant donné son amour pour les animaux. Elle l'aurait peut-être su, si elle avait pris la peine de prendre des nouvelles.

Cette fois-ci, avec la modeste meute qu'elle venait de rassembler, elle n'avait pas le choix de se défiler, il faudrait qu'elle assume. Une seconde chance lui était offerte, elle en était persuadée. Au fond d'elle, elle sentait le lien ténu qui la reliait avec chacun d'eux. Elle ne les connaissais pas encore, elle en avait sauvé certains, d'autres s'étaient ralliés à elle naturellement, et les plus courageux l'avaient même défiée. La fierté d'avoir gagné ces combats fit gonfler un léger grondement dans sa poitrine, alors qu'elle cherchait les clés sur sa voiture. Par miracle, elles étaient encore là, attendant sagement que quelqu'un démarre le véhicule. Dans la panique, personne n'avait pensé à lui voler son outil de travail, si tant est qu'elle ait encore un travail, d'ailleurs. Elle mit ce sujet de côté, elle y penserait plus tard. Elle tourna les clés et le moteur se mit immédiatement à ronronner. Elle passa devant les deux toxico qui lui jetèrent des regards noirs et rentra chez elle. 

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