Malchance existentielle

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Sorj avait perdu la notion du temps. Depuis combien d’heures cette machine lui labourait-elle le côlon ? Ce robot sociopathe l’avait laissé là, nu et à plat ventre, entravé comme l’esclave qu’il était devenu face à un pilon motorisé. Pour avoir activement fréquenté les bordels sur les spatioports, Sorj avait reconnu la chignole instantanément : il s’agissait d’une fuck machine, un dispositif automatisé chargé de la double tâche de dresser les jeunes putes artificielles tout en excitant leurs clients. En visite au bordel lors de ses perms, Sorj s’était astiqué le manche devant bien des fois… sauf que cette fois, c’était lui qui se trouvait attaché dessus.

Brüder l’y avait fixé sur le dos, les pattes en l’air et le fondement ouvert. Ses poignets étaient entravés directement sur la table, au niveau de ses fesses qui tressaillaient à chaque nouveau contact du métal froid. Ses muscles étaient contractés à se rompre, son corps ruisselant d’une suée grasse et musquée. Toutes les cinq respirations, un pilon d’acier lisse aussi long et large qu’une tuyère venait lui empaler l’anus, inexorable, alors que des capteurs fixés sur son ventre enregistraient la moindre de ses réactions. Au début, Sorj avait tenté de résister. Il avait tout fait pour garder sa dignité, malgré la position dégradante et la barre de titanium massif qu’on lui avait calée derrière la langue. À chaque fois que l’embout fuselé du pilon s’enfilait dans ses chairs, il se crispait contre le mors à se briser les dents. Puis il s’était mis à geindre comme une bête malade. ll avait l’impression que le pal s’enfonçait de plus en plus loin, de plus en plus vite. Il le sentait pousser ses organes, se frayer un chemin à l'intérieur de lui. Combien de temps allait-il tenir comme ça sans hurler… de plus en plus loin, de plus en plus vite…

— Alors ? On s’y fait ?

La voix enjouée de Brüder arracha Sorj à sa concentration extrême. L’androïde l'examina d’un air satisfait, laissant son regard bleu glacier trainer sur les muscles tendus et luisants de sueur de l’humain. Cet esclave était puissant, comme un taureau de sacrifice.

— Impressionnant, fit-il, appréciateur. C’est parfait. Le Maître a un petit faible pour les proies fortes et viriles, qui savent résister et prendre avec stoïcisme. Je pense qu’il vous appréciera beaucoup.

Le regard de Sorj roula sur Brüder comme celui d’un bovin à l’abattoir. Il savait que le robot tirait une grande satisfaction de leur déchéance. Il s’en était rendu compte assez vite : cette IA était tordue, fêlée. Elle haïssait les humains et ne souhaitait que leur souffrance.

— Je… assez, réussit-il à murmurer à travers le mors glissant de salive. Peux plus…

Le rire de Brüder rebondit contre les parois métalliques de la salle d’entrainement comme une salve. Il frappa des mains.

— Voyons, vous devez vous habituer ! Dites-vous bien que c’est une faveur que je vous fais là ! Sans ma prévenance, le Maître vous aurait pris tel quel. J’aurais eu bien du mal à vous rattraper, après. D’autant plus que la vue du sang le rend fou…

Sorj tenta à la fois d’assimiler cette nouvelle information et de se préparer pour le prochain assaut du pilon.

— Je… suis prêt, articula-t-il dans un souffle. Prêt à...

Le pal le prit sur la fin de sa phrase, et il ne put contrôler son râle. Le gémissement rauque qui s’échappa de sa gorge lui parut grotesque, plus humiliant encore que tout ce qu’il avait subi jusqu’ici. Au-dessus de lui, Brüder affichait un sourire presque tendre.

— Là, vous voyez ? Ce n’est que le premier niveau, et pourtant, vous éructez comme une truie en couches. Vous n’êtes pas encore prêt pour le Maître, Sorj, croyez-moi.

Sorj aurait voulu détourner le visage de celui du robot, mais la barre du mors l’en empêchait. En réalité, il n’avait pas la moindre marge de mouvement.

Le niveau 1… la torture pouvait donc empirer. C’était fort possible : Brüder l’avait soumis à tout un tas d’expériences, depuis le début de l’entrainement. Il l’avait doigté, fisté, lui avait enfoncé un bras entier dans le rectum. Lui avait torturé les bourses jusqu’à ce qu’il s’évanouisse, avait introduit tout un tas d’objets dans son méat urinaire… il lui avait également percé les tétons et le gland, ainsi que la langue.

— Je vois que vous ne ressentez aucun plaisir, observa Brüder en se tournant vers le moniteur. C’est fort fâcheux.

D’une poigne ferme, l’androïde saisit le pénis flasque de Sorj. Ce dernier se figea, ressentant l’attouchement comme une véritable menace.

Mais le robot entreprit un mouvement coulissant sur sa hampe, libérant le gland. L’attention toujours fixée sur le moniteur, il effectua un lent cercle du pouce, l’air de rien.

Sorj se sentit durcir.

— Ah, je vois qu’on réagit ! exulta Brüder. Parfait.

Les yeux fixés sur le plafond, Sorj tenta à nouveau de lutter. C’était inutile. Son sexe gonflait sous les caresses du robot, qui venait en outre de l’humidifier à grands renforts d’une matière qui évoquait la cyprine synthétique et parfumée des plus onéreux droïdes de plaisir.

Et pendant ce temps-là, le pal continuait ses impitoyables va-et-vient dans son anus. Cela restait douloureux, mais de moins en moins désagréable. Cette sensation lorsque l’embout lisse et arrondi venait cogner contre le coude de son rectum… c’était presque bon. Sorj sentait la sève monter, la tension s’accumuler dans ses bourses. Cette sensation à la fois si familière et lointaine, depuis quand ne l’avait-il pas ressentie ? Ça montait, montait… si ça continuait, il allait...

— Ça suffit pour aujourd’hui, décida Brüder en lâchant brutalement la queue de l’intendant.

La machine ralentit, jusqu’à stopper ses intrusions. Le mors remonta, emportant avec lui un filet d’écume. Libéré, Sorj laissa retomber sa tête sur le côté. Il était exténué.

— Votre prostate est énorme, lâcha Brüder de son ton badin. Il faudra songer à vidanger tout ça ! Mais pas aujourd’hui.

Brüder lui jeta un regard honteux. Ce n’était qu’un androïde, et pourtant, à chaque fois, il avait l’impression d’être un moins que rien face à lui, pire qu’un animal.

Sorj, qui subissait ces séances à intervalles régulières, pensait que Andei les subissait également, dans une autre pièce. Tous les jours – l’ex-militaire tenait un calendrier scrupuleux de leur captivité en se basant sur son implant cybernétique – Brüder venait les séparer. Chacun portait sa croix en silence. Andei avait cessé de s’ouvrir à lui, revenant à chaque fois plus mutique. Pour Sorj qui semblait mieux tenir le coup, c’était l’effacement de son identité d’homme qui lui faisait tant de mal. Brüder voulait faire de lui un ventre, une reproductrice. Il lui avait rasé la tête – tous les deux arboraient la même "coiffure", désormais – mais le bourrait d’hormones pour faire de lui une femelle apte à porter de futurs esclaves. Sorj redoutait le jour où Brüder les forcerait à avoir un rapport sexuel. Parfois, il se disait qu’il valait mieux être livré à l’ældien tout de suite : ils souffriraient moins longtemps ainsi.

Pourtant, le jour où Brüder lui ramena un Andei adorné comme une prostituée sacrée, il sentit l’angoisse revenir. Maquillé de noir et recouvert de poudre d’or, le malheureux sanglotait bruyamment, ses petits tétons – qui avaient bien grossi sous l’effet des hormones – percés par un bijou précieux qui se balançait au rythme de ses convulsions. Brüder ne l’avait pas encore castré, mais il en parlait tous les jours. « Le Maître devait en décider ». En attendant, son petit pénis avait été emprisonné dans une cruelle mâchoire de métal brillant et ornementé, qui tenait plus de l’instrument de torture que du bijou.

— Arrête de pleurer, murmura Sorj dès que Brüder eut disparu. Ne lui fais pas ce plaisir.

— C’est la dernière fois qu’on se voit, Sorj, sanglota le pauvre garçon en relevant ses yeux fardés sur le militaire. Brüder va m’amener au Maître. Il a renoncé à faire de moi une pondeuse, finalement.

Sorj avala difficilement sa salive. On y était enfin… pour la première fois, il osa toucher son compagnon d’infortune.

— Ça vaut peut-être mieux, le rassura-t-il. Ça ne durera pas longtemps… et tes souffrances seront finies pour toujours.

Andei renifla. Sorj n’avait aucune idée de ce qu’il subissait dans sa tour de douleur quotidienne, mais s’il se basait sur sa propre expérience, il ne pouvait qu’en souhaiter la fin. Brüder s’était révélé un bourreau sadique, qui prenait plaisir à les torturer. Le supplier ne servait strictement à rien : la seule chose éventuellement efficace, c’était de ne laisser passer aucune émotion.

— Tu sais, tenta-t-il à nouveau, je n’en suis pas certain, bien sûr, mais… je crois que les ældiens opèrent comme les grands carnassiers de l’ancienne Terre. Ceux qu’on voit dans les archives, avec des crocs démesurés… je pense qu’il commencera par attaquer ta gorge. C’est comme ça qu’il te mettra à mort. Tu auras la nuque brisée, tu ne sentiras rien.

Les épaules frêles d’Andei furent prises de tremblements. Sorj se sentait désolé de ne pas pouvoir l’aider. Son sort était si injuste… les dés avaient été pipés depuis le début.

Pendant ces longues semaines à bord du Charon, Andei s’était confié à lui. Il lui avait raconté la vie qu’il menait là-bas, sur Terre. Une planète moribonde, que Sorj n’avait jamais vue, et qu’il ne verrait jamais. Lui, il avait été militaire toute sa vie. Il n’avait jamais vraiment participé aux combats, étant un opérateur sur des navires de transport. Son existence n’avait eu aucun sens, mais elle avait été plus agréable que celle de ce malheureux né au mauvais endroit au mauvais moment. Le mauvais endroit et le mauvais moment… c’était ça. La vie pouvait se résumer à cette équation : pourquoi certains êtres naissaient puissants et beaux, dans un monde riche et en paix, alors que d’autres ouvraient les yeux dans la fange des abattoirs ? Un jour, dans un bar, Sorj avait posé cette question à un prêcheur d’une secte ancienne et étrange, qui portait le crâne rasé sans être militaire et un curieux uniforme jaune. L’homme lui avait répondu que ces coups de malchance existentielle étaient conditionnés par les actes accomplis dans une autre vie… un bon ramassis de foutaises.

— Je… un type m’a dit une fois qu’on pouvait renaître à une vie meilleure, dit-il pour rassurer Andei. Il y a des gens qui y croient. Beaucoup, même.

Andei lui jeta un regard sombre, mais une ébauche de sourire apparut sur ses lèvres dorées. La mise en beauté de Brüder les faisait paraître plus pulpeuses. C’était étonnant qu’on apprête la nourriture de cette façon, mais qui sait si ce taré de robot n’avait pas pris certaines libertés… les IA défectueuses étaient connues pour développer ce genre de lubies.

— J’espère que dans cette nouvelle vie, on se retrouvera, répondit Andei. Et qu’on sera sur Sirius tous les deux.

Sorj hocha la tête. Sirius. Le paradis qui n’existait pas.

Les pas de Brüder résonnèrent, annonçant son arrivée. Le temps était compté. Sans réfléchir, Sorj attrapa l’épaule d’Andei et le serra dans ses bras.

— On se reverra sur Sirius, souffla-t-il dans son oreille. Quand tu ouvriras les yeux… ce sera Sirius.

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