POUSSABOUT (suite 4)... L'apothéose !

4 minutes de lecture

Le lendemain soir, elle consulta la liste des appels sur son site. Trois enfants avaient envoyé la photo de leur prof de Math, et un autre de sa voisine qui, d'après le texte joint, lui faisait des réflexions méchantes quand il passait devant sa porte. Ils donnaient tous leur adresse et leur numéro de téléphone ou celui de leurs parents. Poussabout se mit aussitôt à l'ouvrage. Elle se concentra sur le prof de math, qui était à ne pas en douter le plus néfaste des deux. Ça lui rappelait des tristes souvenirs de classe. Des interros sur des leçons qu'elle n'avait pas comprises. Des "X" et des "Y" qui s'ajoutaient, se multipliaient, se cachaient derrière une parenthèse, pour en définitive être égal à zéro. On se demande bien pourquoi ? Et comment. Le plus étonnant, c'est que dans la classe d'Amélie, il y en a qui jouait avec ça. Ils les semaient sur la page blanche comme le petit Poucet ses cailloux le long du chemin. Et ils se retrouvaient à la fin, dans le château de ceux qui avaient vingt sur vingt. Amélie, elle avait des notes égales aux "X" et aux "Y" du devoir, c'est à dire zéro. Elle ne savait pas si tous les profs de math étaient issus du même œuf, ou si c'était les maths qui les transformaient en sadiques, toujours est-il qu'ils avaient tous le même comportement, et que ça ne pouvait pas durer. Il était temps de faire cesser ce scandale. Elle en tenait un, il paierait pour tous les autres. Avec de la chance, et elle en avait, tous les autres le sauraient et se tiendraient à carreau. Sur la photo, il trônait au milieu de ses élèves alignés sur trois rangs.

Les petits devant, ensuite les moyens, et les grands derrière. Lui sur une chaise, se voulait majestueux comme Louis XIV. Amélie le trouvait ridicule, avec sa barbiche napoléonienne, ses lunettes en fer doré, son costume comme personne n'en portait plus depuis…Depuis…Tellement longtemps, qu'elle ne se souvenait pas en avoir vu dans le catalogue que ses parents recevaient quand elle était enfant. Elle se demanda quels pauvres petits lui avaient envoyé le mail, mais les visages sur la photo ne laissaient rien paraître de leur détresse. Au dernier rang, il y en avait même qui rigolait, les inconscients ! Elle revint sur le tortionnaire. Qu'est-ce qui pourrait bien lui arriver ? Qu'est-ce qui lui servirait de leçon ? Et s'il perdait ses bouquins ? Non, il en achèterait d'autres. Si son ordinateur se déglinguait et qu'il soit obligé de refaire tous ses cours, de rechercher toutes les notes des élèves ? Non, il se ferait aider par des collègues mal intentionnés. Il fallait frapper fort. Être sans pitié. Le rendre inoffensif une bonne fois pour toutes. Euréka ! Elle avait trouvé ! Il allait glisser sur une crotte de chien, banal me direz vous, mais attendez la suite. Sa tête heurterait le trottoir, et il perdrait sa mémoire, d'un coup. Mais seulement celle des maths. Un peu comme si la bosse dans laquelle elle résidait s'était soudain aplatie sous le choc. Elle se concentra encore. Il était tard, il devait être chez lui, devant la télé, ou pire il était en train de corriger, en semant les zéros comme un paysan les grains de blé, les devoirs des pauvres petits élèves qui n'avaient demandé rien à personne, et à qui on infligeait une torture continuelle qui ne cessait qu'avec la fin de leurs études. Il eut une soudaine envie de fumer. Il n'y avait plus une clope dans le paquet qu'il sortit de sa poche. Il décida d'aller jusqu'au tabac du coin de la rue. Funeste envie, sur le trottoir, une magnifique crotte toute fraîche, c'est l'heure où les maîtres indélicats promènent leur toutou, il ne la voie pas, et en avant… Il glisse sur la pente fatale de son destin. De toute façon, fumer est mauvais pour la santé, alors…Ce n'est que justice, double justice. Poussabout le punissait, mais aussi lui rendait service. Son avenir serait exempt de math, et de tabac !

Notre fée était contente, elle avait rempli son contrat, elle avait débarrassé la société d'un individu malfaisant. Et ce, sans lui nuire réellement, bien au contraire, puisqu'il ne fumerait plus, persuadé que sa chute était un signe du destin qui l'avertissait en lui faisant prendre conscience du danger du tabac. En plus, sa bosse disparue, il avait repris allure humaine. Le lendemain, malgré l'énorme bandage que les gens du SAMU lui avaient posé, il rasa sa barbiche. Il avait un peu mal à la tête, mais il alla à son travail. Il passa un jean, des basquets, ainsi vêtu, comme tout le monde, il fit la classe en parlant, à la grande stupeur de ses élèves, de pollution, de petites, et grosses, bêtes en voie de disparition, de la nécessité de ne pas fumer ni boire d'alcool. Le directeur alerté intervint en urgence et le fit placer dans un asile pour le remettre dans son état d'avant. Peine perdue, il ne parlait plus de math. Il ne savait même plus additionner un et un. Quand on lui demandait : "combien j'ai de doigt ?" Il croyait qu'on s'adressait à lui en chinois, ou en hébreu, ou en esquimau, ou dans une de ces langues dont il avait entendu parler, mais qu'il ne comprenait pas. Il était devenu hermétique aux mathématiques. Comme Amélie !

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire jean-alain Baudry ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0