POUSSABOUT (suite 2)...

6 minutes de lecture

En rentrant chez elle, elle eut un doute. Et si c'était une coïncidence ? Si les pneus de la voiture du monsieur bien comme il faut avaient explosé sous l'effet de la chaleur ? Et si c'était l'action d'un Super Man évadé d'une BD pour venir au secours du pauvre petit garçon qui devait finir son sandwich avant d'aller ramper comme un ver dans l'espèce de grosse pomme qui servait de jeu géant aux autres enfants. Il fallait qu'elle en ait le cœur net. Mais où exercer son nouveau talent ? Mais c'est bien sûr, là où il y avait des enfants, en quantité suffisante, et des adultes qui, quelque fois, pouvaient les brimer, dans un jardin public, devant le bac à sable. Elle bondit dans sa salle de bain, rougit ses lèvres, vaporisa ses cheveux de laque, noirci ses yeux d'un coup de crayon. Ainsi présentable, elle ne se ferait pas remarquer des adultes, personne ne devinerait qu'elle était une fée, seulement une jeune fille ordinaire. Elle avait aussi pris soin d'emporter une revue, pour faire semblant de lire tout en observant son champ d'action, pour repérer les bambins maltraités, et agir incognito. Elle s'installa à l'ombre, sur le côté droit d'un banc occupé sur le côté gauche par une jeune fille qui devait être rémunérée pour surveiller un petit garçon en culotte courte rouge et en pull vert qui jouait devant elle en lançant du sable sur tout ce qui passait à sa portée. La jeune fille rouspéta, ce qui est juste. Le bambin ne parut pas avoir entendu, elle lui cria dessus, sans plus de résultat. Alors, excédée, elle se leva et lui flanqua une gifle retentissante. C'en était trop ! Le sang de Poussabout ne fit qu'un tour. Elle rentra son cou dans ses épaules et pensa très fort : "en revenant sur le banc, elle va s'asseoir à côté, et tomber par terre." Bingo ! La fille était tellement furieuse et énervée, qu'elle se tordit les pieds en se retournant, bascula, et se retrouva par terre, sur ses fesses, en hurlant de douleur et en se tenant une cheville. Poussabout la regarda d'un air condescendant. "Votre cheville est foulée." Dit-elle du bout des lèvres. "Voulez-vous que j'appelle le SAMU ?" La fille geignait de plus belle, un vieux monsieur, se disant docteur vint à son secours. Poussabout riait sous cape. Son pouvoir était bien réel. Quant au bambin, voyant que sa tortionnaire avait plus mal que lui, il s'arrêta de brailler et se remit à jeter du sable tout azimut.

Entre deux sanglots la jeune fille donna son portable à Poussabout pour qu'elle prévienne la mère de l'enfant, ce que notre sympathique fée s'empressa de faire en noircissant la situation. Une demi-heure plus tard, la mère affolée arriva.

Elle prit tout de suite son enfant dans ses bras pour le consoler.

Le vieux monsieur médecin, voulut lui faire remarquer que c'était surtout la jeune fille qui avait besoin de réconfort, elle ne lui accorda pas un regard, s'enquit pour la forme de l'arrivée des secours et repartit, laissant, sans un mot de compassion, la pauvre jeune fille se tordre de douleur. "Bien fait pour elle," pensa Poussabout. L'enfant sauvé, la responsable d'un mauvais traitement punie, Poussabout quitta son banc et rentra chez elle, son devoir accompli.

Elle était assez satisfaite de ses deux expériences. Elle avait un don, un vrai pouvoir, mais elle manquait d'idées pour la suite. Elle se précipita dans sa bibliothèque, fouilla dans ses vieux livres d'enfant, et ramena sur la table de son séjour une pile de livres de contes. Hélas ! Aucune des fées décrites par les auteurs, pourtant très bien renseignés sur le sujet, ne lui ressemblait. Elles étaient toutes soit plus vielles, soit venant d'un monde différent de celui des humains. Elle ne se voyait pas penchée sur le berceau d'un nouveau-né pour lui jeter un sort, bon ou mauvais. En plus, tu vois, Poussabout n'agissait pas directement sur l'enfant, mais sur ses parents ou des personnes de son entourage pour que le pauvre petit soit délivré d'une oppression insupportable. Elle ne se voyait pas non plus assise tous les jours devant un bac à sable, attendant qu'un galopin soit brimé pour voler à son secours.

Par chance, la télé lui fourni la solution. Le programme du soir, une aventure de Super Man, tombait à pic pour lui montrer la marche à suivre. C'était simple, mais il fallait y penser, il suffisait d'observer autour de soi, de faire attention à tout et à tous, et, quand l'occasion se présenterait, d'agir. Agir vite et bien, devait être dorénavant son objectif. Improviser dans l'instant devait être sa devise. Super Man vaquait à ses occupations, comme elle, un méchant entrait en action, comme quand elle était au resto rapide, Super Man se transformait en super héros et portait secours à la victime, elle, elle s'était concentrée mentalement pour que le malheureux enfant puisse jouer. Pas plus difficile que ça !

Le lendemain, en quittant son travail où il n'y avait aucun enfant en danger, elle déambula le long des rues, faisant un grand détour pour rentrer chez elle. Elle n'avait pas pris l'autobus pensant avoir des occasions en se mêlant à la foule. Mais rien ! Pas d'adultes tortionnaires ! Pas d'enfants martyrs ! Elle jouait de malchance. Elle était tellement en colère qu'elle fit une chose inouïe, elle shoota dans une canette vide abandonnée sur le trottoir. Le projectile rebondit sur la portière d'une voiture et alla frapper les mollets d'une poseuse de P.V. sur les pares brises des autos en contraventions. La gardienne du stationnement sortit son sifflet de sa poche et, d'un souffle puissant, appela ses collègues qui prenaient leur tour de pose café dans le commissariat du coin. En moins de temps qu'il ne faut pour le lire, Poussabout se retrouve au poste, interrogée sur ses intentions agressives. Elle dût débiter son arbre généalogique (père, mère, grand-père, grand-mère) que les fonctionnaires zélés mirent des heures à vérifier dans leur ordinateur. Bref, et pour faire court, elle passa la nuit en cellule, comme un vulgaire bandit de grand chemin.

Quand elle revint chez elle, au petit jour, à l'heure où les employés du service de nettoiement vident les poubelles, elle se sentait abandonnée de tout le monde, incomprise et salle. Une douche, un petit dej' et un rapide maquillage lui suffit pour se refaire un moral de super woman.

Elle se sentait plus fée que jamais, aujourd'hui elle allait prendre sa revanche sur le sort. Enfin, cet après midi, après son boulot.

S'il y a des jours néfastes, il y a aussi des jours de veine. Ce soir là, en sortant du bureau, elle fit un détour par le groupe scolaire. Devant l'école élémentaire, deux enfants attendaient un bus. "Cette vache, je suis sûr qu'elle va nous coller une interro sur la leçon de cet aprèm." Dit l'un. "Avec le chahut qu'on a fait, j'ai rien entendu." Répondit l'autre. "Si j'étais malade, demain, ça m'arrangerait bien." Repris le premier. Ça tu peux compter que tu seras en pleine forme. Moi, chaque fois qu'il fallait que j'aie de la fièvre, j'en ai jamais eu." – "Ce qui serait bien, c'est qu'elle se casse une jambe avant de venir, demain matin."- "Tais-toi, la voilà qui passe." – "Bonsoir les garçons, rentrez chez vous sans traîner." – "Oui madame !" Dirent-ils en cœur. Mais la grimace qu'ils firent montrait bien que c'était une politesse forcée. Poussabout observa la scène. Demain elle serait devant l'école. Demain la fée qui l'habitait agirait. Demain…

Dès huit heures elle faisait les cents pas sur le trottoir d'en face, sous le regard soupçonneux du garde municipal chargé de faire traverser la rue aux enfants et éviter que les autos ne les écrasent. Huit heures quinze, les gamins de la veille rentrent dans la cour. Poussabout à un doute, et si la maîtresse était déjà arrivée ? Si elle était venue pour préparer le tableau de sa classe ou bavarder avec une collègue ? Huit heures vingt trois, toujours personne, enfin beaucoup de va et vient, mais pas l'infâme institutrice. Huit heures vingt six, la voilà ! Poussabout se concentra, fit un effort qui lui rougit les oreilles, pensa avec application à la crotte qu'un chien, sûrement envoyé par la providence, avait posée délicatement sur la trajectoire de la tortionnaire. "Ah !" Un cri, un attroupement, le garde municipal se précipite, les voitures stoppées klaxonnent, la pagaille est à son comble. Poussabout s'approche : "Voulez-vous que j'appelle les secours ?" Le garde lui répond que c'est déjà fait mais qu'il la remercie pour sa sollicitude. "Elle a au moins un poignet cassé." Ajoute-t-il pour renseigner les badeaux. Le SAMU arrive, Poussabout s'en va, son devoir accompli. Les enfants n'auront pas d'interro ce jour là. Une journée faste, je vous dis.

" Et de trois !" Pensa Poussabout. "Pas mal pour un début." Mais il fallait faire mieux.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire jean-alain Baudry ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0