Recette 6 : Commerçant

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Mais avant cette dernière récolte 2020 dans la forêt de l'Assise où je dérapais et trébuchais, je fis mes premières armes dans la forêt de Carnelles, Ile de France. Et c'est tant mieux, car déraper et trébuchet sont les 2 mamelles de l'estrapade, ce jeu préféré de Français 1er, qui aux Amboise, qui aux Chambord, qui aux Fontainebleau, n'a pas seulement endommagé les ravissants et charmants petits arbrisseaux des jardins à la française, mais aussi quelques êtres humains ainsi que des échelles qui ne monteront plus jamais aux ciels.

On ne passe plus !!! On ne passe pas !! On passe pas !

C'était il y a longtemps, très longtemps. J'avais une trentaine d'années et j'habitais l'Ile Saint Denis. Ma paye de Thomson tombait le 3 ou le 4 et le 10 j'étais raide fauché : J'avais acheté quelques centaines de grammes de beuh pour la conso perso du mois et voilà. Alors, comme il faut bien manger, en plus des pâtes et de la kro, je partais le samedi matin à la forêt de Carnelles, à la chasse aux champignons, histoire de me redonner un peu de pêche. Je trouvais là-bas des coulemelles ou lépiotes ainsi que des bolets bai que je prenais alors encore pour des cèpes.

Vers 6h du mat je prenais le train à Saint-Denis direction Luzarches. A cette heure matinale dans le train c'est encore la lumière blafarde des lampes qui blessent les yeux de la nuit. Et le samedi pire que la semaine. Les mecs et les nanas qui allaient travailler se sentaient vraiment punis et tiraient une de ces gueules ! Même en me voyant tout débraillé, armé léger en godasses, et tout souriant avec mes sacs vides. Car vraiment je prenais mon pied rien qu'à l'idée de la forêt que j'allais bientôt retrouver. Quelques stations, Groslay, Bouffémont et Montsoult-Maffliers, souvent terminus mais toujours tout le monde descend en ce qui me concerne. Montsoult, un petit village aux banlieux pas encore trop lotissées à l'époque. Je sors dans la campagne direction la N1 championne numéro 1 de la haine, la bien-nommée, record-woman toutes catégories de trépassés en cercueils à roulettes en ces temps.

Je me dis "Tiens, je vais refaire le parcours avec google-map" Je ne savais pas que c'était un ticket pour film d'horreur en zombies : La N1 n'existe plus.

Maquignons, négriers, prestatataires de prestatants, commerçants, satans : on n'passe pas !

La N1 a été remplacée par l'A16. Vous voyez le malaise. A pince mes p'tits crabes çà devient compliqué. Bon les films d'horreur çà fait rire aussi. Je ne vais donc pas vous faire pleurer. Donc arrivé sur la N1, j'avais 2 ou 3 kilomètres à arquer pour rejoindre la D278 qui bifurque doucement sur la droite, peut-être l'ancienne route principale N1, pour rejoindre la forêt. Je marchais donc sur le talus sur la droite en faisant bien gaffe et aussi un peu dans les champs quand on y avait fait pousser des patates l'été. Je rappelle aux tous-venants, restorés du cœur ou ab-pierreux, que le glanage en France est autorisé, articles 520 du code civil et R26 du code pénal, et qu'en conséquence les pecnos n'ont en l'occasion aucun droit de vous virer de leur champ à coups de fusil de chasse. Donc si d'aventure vous vous retrouvez un jour dans une telle situation et que vous avez des enfants, n'oubliez pas de bien leur dire de porter plainte à la gendarmerie afin que quand vous serez abattu comme un lapin ou le faisan que vous représentez à leurs yeux, vous puissiez partir au moins, le cœur léger et avec comme dernière image s'effaçant devant vos yeux, la pluie fine et dorée des indemnités dorées qui ne manqueront pas de pleuvoir sur vos enfants; enfin, si le réchauffement climatique n'assèche pas toute liquidité. Attention enfin à ne pas donner à vos enfants l'adresse d'une gendarmerie du département, on ne sait jamais, entre voisins la consanguinité reste un grand fléau des campagnes et Prudence toujours mère de Sureté. Sur la N1, à mi-chemin, il y avait un petit bourg et un feu, dans le fond d'une cuvette dans cette grande plaine sans vrais vallons ni dormeurs. Quatre ou cinq maisons cossues en briques rouges. J'avais lu à la bibliothèque municipale que dans ce coin, au XIX siècle, un enfant vagabond avait écopé d'1 an de prison pour le vol d'1 pomme. Connaissant les qualités de rééducation des prisons pour enfants à cette époque mon cœur s'est serré; Etait-ce à cause des pommiers qui étaient toujours là, je passais entre les murs des maisons et des jardins à pas comptés, précautionneusement, regardant avec attention chaque coté, comme si l'enfant allait surgir soudain de quelque part. Mais non, personne, rien, rien que des bagnoles qui s’arrêtent au feu si il est rouge et foncent sinon.

Vendeurs vendus, acheteurs sur le rachat, faiseurs de passes et de passe-passe : passez, vous n'en reviendrez pas !

Après l'embranchement sur la D278 çà devient plus cool et c'est déjà la moitié du chemin fait. La route semble restée quasiment identique à celle que j'ai connue. C'est ce que semble en tous cas m' indiquer le petit bonhomme jaune de google map. Une fois, au retour, juste avant cet embranchement, avant de rentrer sur la N1, je découvrais sur la route un moineau ivre. Il voletait de gauches et de droites, fou, à moins d'un mètre du sol. Je l'attrapais sans trop de difficulté, fit une sorte de niche dans mon sac, une cellule de dégrisement pour oiseau, et l'installais dedans. Arrivé à l'Ile Saint-Denis mon petit compagnon était hélas dans le même état que celui où je l'avais trouvé, incapable de voler, juste bon à prendre son envol et se cogner dans le mur le plus proche. Une voiture, qui ne s'était pas arrêtée pour si peu, l'avait sans doute percuté sur la D278. La nuit le délivra de sa folie et de ses souffrances. Après l'embranchement, la route descend en pente douce et petits virages. On croise d'abord un passage à niveau automatique. Une autre fois, pas celle de l'oiseau, en fouillant un peu autour des rails alentour je découvrais l'énorme clé anglaise, pas loin du mètre, qui permet de visser les boulons d'attache des rails aux traverses en bois. Je m'imaginais en manipulant la lourde clé en fer, déboulonneur de rail, terroriste et bientôt vedette. Et puis, réfléchissant un peu, regardant l'horizon des rails "non, le virage n'est pas assez accentué, ça marchra pas" je rendais la clé aux fourrés, là où je l'avais trouvée, reprenant mon chemin vers la forêt. La descente sur la route D278 prend fin avec une petite maison et un ruisseau traversé par un pont minuscule qui est le début du chemin goudronné qui traverse la forêt que l'on aperçoit juste derrière. Devant la maison, aux portes et fenêtres éternellement closes par des volets en bois, il y avait une sorte de jardinet ouvert avec des arbustes qui portaient au début de l'automne des fruits translucides de la taille de gros petits pois. C'est ici que j'avais fait la découverte du groseillier à maquereaux.

Mères-Maquereaux, Pères-maquerelles, Mères-maquerelles, Pères-Maquereaux, çà a plu, çà n'a pas plu ? On ne passe plus !

Comme c'était le début de l'hiver, je ne trouvais ni bolets ni coulemelles mais en grosse quantité des Auricularia auricula-judae également appelés oreilles de Judas, 3 ou 4 sacs plastique. Ce sont les proches cousins des champignons noirs qui sont servis avec le porc ou le poulet dans les recettes de restos chinois. C'est très élastique, avec un sacré gout de terre, pas trop bon mais mangeable comme condiment avec un autre plat. Je ramène donc les sacs plastique à l'Ile Saint-Denis que je pose sur la table de la cuisine en attendant de laver et congeler les champignons. Il est quand même 3 heures de l'aprem, je fais chauffer de l'eau pour du riz et je vais fumer un p'tit joint dans le salon. Je reviens voir si l'eau bout, je regarde les champipis, c'est marrant, ils ont tous de minuscules points blancs dans leur corps qui ne mesure par ailleurs pas plus d'1 millimètre d'épaisseur. Je mets le riz à cuire, et sûrement je refais un stick à coté. Quand je reviens dans la cuisine les points blancs ont grossi. Tiens ? Je me dis que l'attente est la solution la plus sûre à adopter avant une congélation générale. Je re-inspecte les champignons suspects un peu plus tard, et là plus de doute. En même pas 2 heures la chaleur de mon appart a réveillé le métabolisme d'organismes qui infestaient les oreilles de Juda. Maintenant je vois les asticots riquiqui qui grouillent à l'intérieur, certains champignons ont déjà été en partie bouffés et liquéfiés. J'ouvre le vide-ordure et fous tout le merdier à la Seine, l'eau du bain, le bébé et la baignoire, et mange du riz blanc. Judas c'est dégueu des oreilles à la queue.

On nœud pas ce pa !

On passe pas, j'vous diiiiîîîîîîîîîî

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