Chapitre 2

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Lundi 23 juillet 2018, midi.

La boutique ferme pour deux heures, je suis dans un état de fatigue profond. Mon week-end a été difficile et je n’ai presque pas dormi. Je n’ai pas cessé de penser à Mathys. Je suis dans l’incompréhension totale. J’ai pourtant plein de souvenirs du lycée, mon meilleur ami Adrien, Magalie et Marie ainsi que mon ex, Julie. Par contre la terminale reste assez floue. Mis à part ce week-end, je n’avais pas repensé à mon passé d’étudiant depuis très longtemps. Je me suis toujours promis de ne jamais regarder derrière moi depuis que j’ai fuit Albi.

Mathys avait profité que je m’absente quelques instants de mon siège dans le TGV pour me glisser un mot. Je ne l’ai découvert que samedi matin. Il me disait qu’il irait déjeuner dans le parc du jardin botanique sur le bord du Doubs. J’ai longuement hésité, puis je me suis dit que ce serait l’occasion de tirer cette histoire au clair.

J’arrive rapidement dans le parc. Il ne me faut pas plus de trente secondes pour le repérer. Il est assis sur un banc avec vue sur le fleuve. Son sandwich est posé à sa droite et son sac à dos sur ses genoux.

Je l’aborde timidement, je suis assez tendu. Pourtant je ne devrais pas me mettre dans cet état, mais il y a quelque chose chez Mathys qui me perturbe et qui m’inquiète. J’ai accepté de le rejoindre ce midi car j’aimerais comprendre cette histoire. Pourquoi est-ce que ça le touche tant que je ne le reconnaisse pas ? Il me répond que l’on a vécu pleins de choses ensemble et ça l’a énormément touché et contrarié que je ne me rappel pas de lui. Mon départ brutal avait été un choc pour tout le monde, ils pensaient que je reviendrais au bout de quelques jours, mais cela n’a pas été le cas. C’était il y a dix ans.

Je fronce alors les sourcils, « mon départ brutal !? » lui dis-je très étonné. Je sais que j’ai quitté Albi sur un coup de tête à la suite d’une crise causée par des d’agressions physiques et morales subies au lycée et d’une relation devenue compliquée avec ma famille.

Mathys me fixe, les yeux grands ouverts, remplis d’étonnements. Tout ceci, ne mène à rien. En quoi avoir oublié un ancien camarade devrait changer la face du monde ? Je suis à deux doigts de partir, mais je le vois baisser les yeux au sol, la mine dépitée.

— J’ai eu Magalie au téléphone ce week-end. Tu te souviens d’elle ?

— Oui, je m’en souviens, elle passait son temps à essayer de comprendre le fonctionnement psychologique de son entourage et d’y trouver des explications.

— Justement, elle s’est réorientée et en fait son métier. Je lui ai parlé de toi. Elle a été un peu moins surprise que moi que tu m’ais oublié. Elle pense que ce que tu as vécu en fin de Terminale et l’accumulation de tous tes soucis ont pu te conduire à une sorte de blocage dans ta tête. Elle a peur que tu souffres d’une sorte d’amnésie post-traumatique plus ou moins légère. C’était l’une des possibilités quand je lui ai dit que tu ne te souvenais pas de moi. Evidemment je ne voulais pas la croire. Elle m’a donné quelques indications, et sa théorie semble se confirmer.

J’ai le regard dans le vide. Magalie a raison, il y a bien une partie de ma vie qui m’a été dérobée. Il y a quatre ou cinq ans, lorsque j’étais encore en période d’essais dans la boutique, un apprenti était venu me questionner sur mon année de Terminale au détour d’une conversation sur nos études respectives. C’est à cet instant que je me suis rendu compte que je n’avais rien à lui répondre, tout était flou dans ma tête. Je me sentais extrêmement mal à l’aise, j’avais réussi à me dérober afin de m’isoler. Je ne savais pas pourquoi, je ne le sais toujours pas, mais j’ai le sentiment d’avoir perdu quelque chose d’important, d’avoir le cœur brisé. Même Pauline ne suffit pas à combler ce manque par moments, pourtant, je l’aime.

J’explique donc à Mathys que mes souvenirs de la Terminale se font rares. Ceux qu’ils me restent font référence à de la violence ou à des pleurs. Je sais juste qu’elle a détruit ma vie et que je me suis interdit d’y repenser tellement ils me font mal. Il y a cette bande de d’imbéciles qui passaient leur temps à me prendre à partie comme souffre-douleur. J’étais humilié. C’est en grande partie à cause d’eux que j’ai abandonné ma première vie.

Mathys en a les larmes aux yeux, je me rends compte que moi aussi.

— Cet enfoiré de Benjamin et sa bande… Ils ont réussi, ils ont eu ce qu’ils voulaient… Encore aujourd’hui, tu en as des séquelles la preuve ! Si seulement j’avais eu le courage de te venger…

Benjamin… Je ne sais plus comment on en est arrivé là tous les deux. Je n’avais pas forcément été cool avec lui et sa bande lorsque j’étais délégué en Première, pour défendre un camarade, je les avais dénoncés. Ils ont su que c’était moi, et à partir de ce jour, ils ont décidé de me faire la peau. Je souffle un coup pour reprendre.

— Le jour de la rentrée de terminale, Benjamin m’avait entraîné dans une cage d’escalier de secours. J’avais reçu de nombreux coups. J’avais décidé de ne plus me rabaisser devant eux, j’avais eu la mauvaise idée de leur tenir tête… J’avais des bleus un peu partout, mais heureusement, rien sur le visage, personne n’avais rien remarqué.

— Je ne te connaissais pas trop à ce moment-là. On ne s’était même pas parlé, c’était mon premier jour dans ce lycée, nouveau pour moi. Mais tu m’en avais parlé peu de temps après, tu avais même eu une dispute avec tes parents.

***


Septembre 2005.

J’écoute ma sœur parler de sa rentrée en troisième. Je ne suis pas du tout intéressé par ce qu’elle dit. Je ne suis même pas surpris que personne ne pense à moi, même si je n’ai pas envie d’évoquer mon incident avec Benjamin, je suis quand même agacé par ce favoritisme. Je décide de prendre la parole et de raconter ma rentrée. Au même instant, ma mère se lève et se dirige vers la cuisine.

La colère monte en moi, c’est toujours ainsi, tout pour ma sœur, rien pour moi !

— Dis-le si tu n’en as rien à foutre de moi !

Mon beau-père tape du poing sur la table.

— Oh Julien, tu parles autrement à ta mère s’il te plaît ! Ta mère est partie chercher le fromage !

— Mais Olivier, c’est tout le temps pareil. Toute l’attention est portée sur madame la princesse et rien sur moi !

— Eh ! Je ne suis pas une princesse déjà ! C’est juste toi qui veux être le centre du monde !

Ma mère revient quelques secondes après. Elle a tout entendu c’est sûr, mais reste neutre, comme si de rien n’était. La dispute avec Olivier s’envenime, personne ne prend ma défense. Ma mère préfère demander à ma sœur si sa meilleure amie avait pris la même option qu’elle en sport.

C’en en est trop, ma mère est complètement dépassée par les événements depuis que mon père est parti. Je me lève brusquement de table et me dirige vers ma chambre.

— Et voilà ! Comme tous les soirs ! Môssieur se casse, bonjour la vie de famille avec toi !

Je m’enferme dans ma chambre, la tête enfouie dans mon oreiller, j’essaie de ne pas entendre les hurlements de mon beau-père. Ma mère toque à ma porte, je n’ai pas envie de lui parler. C’est toujours comme ça, elle n’agit pas sur le coup puis, après les faits, elle vient se faire pardonner. J’ai l’impression qu’elle ferme les yeux sur la réalité des choses depuis qu’elle est avec Olivier.

***


Les souvenirs de Benjamin et de mon beau-père me bouleversent profondément.

Mes conflits avec mon beau-père remontent à la première fois où Benjamin m’avait frappé en milieu d’année de première. J’étais arrivé très en retard car j’avais loupé mon bus de peur de croiser de nouveau Benjamin, il m’avait engueulé car je n’avais prévenu personne, ma mère commençait à s’inquiéter. Il ne m’avait même pas laissé le temps de m’expliquer, il n’avait fait que crier. Mon moral était en chute libre. Depuis la séparation de mes parents, ma mère était complètement différentes, éteinte.

Mathys se rapproche en signe de soutien. Il m’avoue qu’il n’a jamais cessé de penser à moi.

— Je vois bien que ton mal-être n’a pas disparu. Un jour tu as commencé à évoquer des envies de fugue, tu nous disais que tout irait mieux après. Tu disais qu’après tes études tu irais faire ta vie ailleurs. Jamais je n’aurais cru que tu l’aurais fait de cette manière. Tu as tout laissé tomber, tu es parti du jour au lendemain. Je t’ai cherché pendant des mois et des mois, je t’ai envoyé des messages, je t’ai appelé pendant des nuits entières jusqu’à vider mon forfait. Tu m’avais laissé un mot qui disais que tu avais décidé de te reconstruire une nouvelle vie à zéro, que tu ne voulais aucun élément susceptible de te faire penser à ta vie d’Albigeois. Tu avais marqué que tu étais désolé de me laisser tomber, mais que c’était au dessus de tes forces. Tu avais laissé également une lettre d’au revoir à ta maman, elle était effondrée, ta sœur aussi. Sur ta lettre, tu avais rendu ta mère coupable de ne pas avoir agît face à ton beau-père et tes ennuies au lycée. C’est vrai que tu avais été cruel je trouve. Ta mère, ta sœur, Adrien et moi avons réussis à te contacter, mais tu avais été clair, que cette vie était terminée. Certains de tes amis l’ont mal pris et te boudent et t’on mit dans un coin de leur tête, d’autres, étaient profondément attristés.

Je revois cette lettre laissée à ma mère, je me suis rendu compte bien plus tard que j’ai été extrêmement cruel avec elle. J’ai honte.

— J’avais eu une grosse dispute avec mes parents la veille de mon départ. Au début elle venait aux nouvelles, mais je lui aie rapidement fait comprendre de me laisser, puis on s’est disputé à nouveau avant que l’on se raccroche mutuellement au nez. Je voulais quitter la France et partir en Irlande, ça ne s’est pas fait. La région parisienne ne me plaisait pas, alors j’ai quitté Montlhéry au bout de deux ans et demi. J’ai enchaîné les contrats d’intérim et CDD à Dole, Pontarlier et Lons-le-Saunier, avant de trouver un CDI dans une horlogerie que l’on pourrait qualifié d’artisanale située à Besançon. Puis j’ai rencontré Pauline, c’était une cliente fidèle à la boutique, on a commencé par prendre un verre et de fil en aiguille, on a fini par vivre ensemble. Je n’avais presque jamais regardé derrière moi… Jusqu’à aujourd’hui…

— J’ai gardé contact avec ta sœur. Elle a quittée la maison il y a peu, pour s’installer avec son copain vers Toulouse. Ta mère a fini par mettre Olivier à la porte, elle ne supportait plus son machisme et ses sauts d’humeur de mec se donnant l’image de maître de foyer. Il faut que tu leurs donne de tes nouvelles, mieux, d’aller les voir !

— Je ne suis pas certain de vouloir les revoir, je…

— Il faut que tu abandonnes ta rancune ! C’est ta maman et ta sœur !

Je reste sans réponses, je n’ai jamais cherché à imaginer la vie que prendrais chacune des personnes qui m’ont entouré. Ma mère vit toute seule maintenant. Je ne sais plus quoi penser. Voyant ce silence s’éterniser, Mathys reprend la parole.

Pour répondre à ta principale interrogation. Qui suis-je ? On a commencé à se fréquenter assez rapidement. Je pense que je suis un petit peu assimilé à cet incident. Magalie m’a conseillé d’y aller doucement et de procéder par étapes pour ne pas déclencher une grosse crise en toi. Mais, à mon avis, le jour où tu vas te souvenir de moi, tu vas très vite te rappeler de cet « incident » qui aura été la principale cause de ton départ. A partir de là, tu auras besoin d’un grand soutien et je serais présent pour t’épauler, comme au bon vieux temps.

[A suivre...]

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