Chapitre 10

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Louve

L'euphorie de la découverte d'un butin encore intact ! Voilà bien longtemps que nous n'avions pas gagné au jeu de la chasse au trésor. Je ne me rappelais même plus de la sensation fébrile de la victoire et, aujourd'hui, je la sens clairement embaumer les airs.

Une journée pour arriver dans ce quadrillage de ruines, une journée pour en extirper toutes les ressources et une dernière journée consacrée aux préparatifs.

Marika m'a confié le commandement des tireurs. J'aurais aimé être aux premiers rangs, au corps-à-corps, pour enfoncer mes mains dans les entrailles de ces rebuts d'immondices de pillards. Mais il me faut reconnaître que ces facultés relèvent davantage du domaine de Rana. De toute façon, une trouvaille fortuite me consola et m'aida à embrasser sans difficulté mon rôle de tireuse embusquée.

Une caisse militaire aux jointures rouillées et à la peinture métallique, sur laquelle on peinait à distinguer d'antiques inscriptions dans un alphabet illisible, recelait un bijou bien protégé dans son écrin de mousse en polyuréthane : un fusil de précision de calibre 7.62mm. Avec trois chargeurs en prime, s'il vous plaît ! Je ne connais pas ces modèles militaires, mais je ne risque rien à parier que des balles aussi effilées pourraient bien transpercer comme du beurre la carcasse d'acier de leurs camions. Alors des corps humains...

Nous avions retrouvé la caisse sous deux étagères renversées, dans un sous-sol ténébreux et enlisé, derrière une porte dissimulée. Autant dire que nous serions complètement passés à côté de cette merveille sans les indications précises d'Os.

Je repense, le vague à l'âme, à ses élucubrations sur la Terre Promise. Partagée. J'aimerais me blinder, comme Delvin, et me prémunir de tout faux-espoir. Mais si c'était vrai... Jusqu'à présent toutes ses prédictions se sont accomplies. Une heure plus tôt, Allan a été forcé de confirmer – de mauvaise foi – que les Rafales campaient bel et bien à moins de cinq kilomètres d'ici, lorsque nous avons intercepté un de leurs groupes d'éclaireurs. Les filles partirent à leurs trousses et en dégommèrent deux. Le troisième parvint à s'enfuir. Tant mieux. Qu'ils sachent à qui ils auront à faire avant de trépasser m'emplit d'une satisfaction perverse !

J'inspecte une dernière fois du regard la ligne de retranchements que nous avons su nicher derrière les barrières de ce pont routier encore intact. Elle ne semble pas souffrir de failles pour l'instant, mais leur armement, en face, serait susceptible d'en provoquer. Je ne m'inquiète pas, cependant. Nous avons la hargne et le cœur de notre côté. Et le M21.

Sara vient de nous apporter un précieux ravitaillement. Aussi je hèle mes troupes. Selmek, Karima, Bashir, Élis, Mandrake, Dannie et Flora. Une majorité d'œstrogènes. Aussi, je me permets :

— À table, les filles !

Nous dévorons une pitance solide. Des boulettes de riz fourrées à la viande. Réunies ainsi en cercle sur ce promontoire à la fois sécurisant et exposé, je sens se mêler une multitude de ressentis en arc-en-ciel. Entre l'inquiétude inévitable d'y passer, l'excitation du défi, le chamboulement d'une routine de charognards et le feu de la vengeance, tout circule dans un silence précieux.

Je lève les yeux vers le ciel. Le jour s'assombrit à mesure que le soleil décline vers l'horizon. Les pillards profiteront probablement du soleil couchant pour nous attaquer. Moment idéal, car l'astre tombera dans leur dos et nous aveuglera. Autrement dit, leur apparition est imminente.

Je pense à Katia, inévitablement. Où es-tu en ce moment sœurette ? Quelque part entre les nuages, comme le philosopherait Nona ? Ou bien vivante entre les amas de mes souvenirs, comme dirait, le plus terre à terre, mais poétique quand même, Hector ? Je l'ignore, mais où que tu sois, j'espère que tu verras exploser la cervelle de ces ordures qui t'ont tuée. Même si j'aurais préféré atteindre, un jour prochain, la Terre Promise avec toi.

o

Hector

Il faut croire que l'on peut même s'habituer aux miracles. Je n'ai pas été surpris de trouver, dans les décombres d'un ancien hôpital, des armoires pleines de médicaments de toutes sortes. Certainement périmés, mais en bon état de conservation. Antiseptiques, antidouleurs, anesthésiants, régulateurs cardiaques et thyroïdiens, insuline, ainsi que du matériel de chirurgie encore sous scellé stérile, et bien sûr, des antibiotiques. Je me suis retrouvé comme un enfant trop gâté, blasé devant la montagne de cadeaux accumulés sous le sapin de Noël. Simplement parce qu'Os avaient dévoilé leur contenu à l'avance et, ainsi, gâché l'ébahissement.

Égoïstement, j'ai presque été plus enjoué par ce que je m'apprêtais à découvrir en descendant les escaliers de l'ancien bâtiment municipal dans lequel Os me guidait. Il avait gardé le suspense intact cette fois. Et quelle surprise !

— Incroyable ! Une bibliothèque !

Je reconnus tout de suite les rangées interminables d'étagères s'élevant jusqu'au plafond intact. Préservés ainsi des intempéries, ces livres pouvaient être encore en bon état. Ils l'étaient ! Cette fois, j'étais réellement un gosse enthousiaste, les étoiles dans les yeux, saisissant un recueil de Vladimir Maïakovski dans une main et un roman de Fiodor Dostoïevski, dans l'autre. Les pages sentaient encore le papier avant les remugles de la moisissure et les lettres imprimées de noir se détachaient encore clairement de leurs pages blanches. Je sautillais, davantage que je marchais en arpentant les différentes rangées. Je cartographiais dans ma mémoire les rayonnages : histoire, économie, romans jeunesse, littérature étrangère... Malheureusement, en dehors de cette section, la plupart des livres étaient écrits en russe. Une langue que je peux déchiffrer, mais dont je ne maîtrise pas le sens. Ce menu détail entacha peu la joie enfantine qui m'habitait en feuilletant ces trésors de pages.

— As-tu parlé de ce sanctuaire à quelqu'un d'autre ? demandé-je à Os sans lever les yeux d'un traité de chirurgie dite « moderne » dont je scrutais les photographies, à défaut de m'attarder sur les encarts.

— Non, seulement à toi.

— Tant mieux. N'en parle à personne, s'il te plaît.

Je relève la tête seulement pour le voir hocher la sienne, compréhensif. Si Marika me laisserait sans doute emporter quelques livres jugés « utiles » comme ces encyclopédies médicinales ou les cartes de la région, je doute que le reste ne trouve d'autres objectifs aux yeux de la colonie que celui de finir en combustible pour barbecue.

— Je dois y aller, finit-il par m'annoncer alors que j'avais déjà reporté ma concentration sur ces trésors plutôt que sur lui. Les Rafales attaquent dans une heure.

— Je fais vite alors. Je vous rejoins.

Et quand bien même je serais trop absorbé par mes lectures, je ne doute pas que, même du sous-sol, je saurais entendre l'affrontement. L'avantage d'être le seul médecin de la colonie est qu'on m'épargne de devoir prendre une arme pour participer à l'assaut, ma présence ne sera pas nécessaire dès le début. L'inconvénient est qu'elle le sera forcément par la suite. Nos ennemis ne seront pas de tendres agneaux.

Je me hâte de tasser, à la lueur de ma frontale, dans mon sac en jute un maximum de romans en anglais dont la quatrième de couverture m'inspire. Ces velléités distractives assouvies, je me concentre davantage sur les revues de presse, classées dans des tiroirs près du comptoir de l'entrée. L'espace est arrondi et parsemé de fauteuils en mousse, pour permettre aux visiteurs de s'installer pour effectuer leurs recherches plus confortablement. Moi aussi, je prends mes aises.

La bibliothèque possède une seule collection en anglais dont le dernier numéro date du 29 septembre 2030. Date de la fin du monde ou date à laquelle les éditeurs ont cessé les impressions papier au profit du tout numérique ? Je ne le saurai jamais. Les nombreux postes d'ordinateurs poussiéreux, incrustés dans les accoudoirs des fauteuils, sont hors service.

Cela ne fait rien. Rien que dans ce dernier numéro, dont la couverture titre, provocatrice « Attentat de Portland, quelles mesures envisager contre la menace psychique ? », j'apprends déjà des choses que j'ignorais.

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