Bonus : Crossover LVDA

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Pas de nouveau chapitre, désolé. Juste un petit défi qui consistait à écrire un crossover entre deux histoires. Nous retrouvons donc Os après la destruction de l'Interstice qui, par un mystère cosmique, rencontre Ejay de la fin (ou du début, tout dépend comme on le prend) de La Voix des Autres :p (attention, ça spoile !)

*

Dehors, le chaos remporte la partie. Les fondations de l'Interstice tremblent comme si la colline était soudainement soumise à une intense activité sismique. Le marbre des palais s'effrite aussi aisément que l'argile des demeures. La moindre particule se fond et est engloutie dans cette trame de blanc immaculé. L'onde de choc provoquée par la mort de Madolan est suffisamment puissante pour entraîner l'univers entier dans sa chute.

La peur m’étreint quand je réalise qu’il n’y aura pas d’échappatoire. Dans une pulsion de vie absurde, mon corps se débat, se tord sans trouver de prise à agripper.

Épuisé, je rends les armes et me laisse entraîner dans ce néant.

Un courant d’air vif fouette mes joues ; je rouvre les yeux. Le décor est réapparu – un nouveau décor. Rien de commun avec les chatoyants reliefs ocre et lisses de l’Interstice. Ici, le ciel se confond avec la terre. Quelques colonnes de béton et métal émergent de la nappe de nuages ; je réalise que je me trouve au sommet d’une de ces tours qui grattent la voute céleste. Une sensation de vertige fait vaciller mes appuis alors que je ressens à nouveau la gravité. Je n’ai pas le souvenir d’avoir déjà été aussi loin de la terre.

Je frissonne ; il fait froid comme la nuit sous cette grisaille. Les fines gouttes d’une bruine achèvent de me convaincre que je ne suis plus dans mon monde. Mais où ?

C’est alors qu’en baladant les alentours du regard, j’aperçois cette silhouette assise au bord du vide. Je sursaute. Je n’ai absolument pas perçu son esprit plus tôt. Par réflexe, j’intensifie mon intrusion mentale, incapable de se concevoir un être vivant capable de résister à mes facultés d’Alter.

Il le sent et se relève brutalement pour me faire volte-face.

Un garçon à peine plus âgé que moi me darde avec fureur. J’ai visiblement interrompu quelque chose d’important. Son faciès agacé me rappelle les traits bridés des autochtones d’Orgö, tandis que son teint plus foncé m’évoque plutôt celui de Marika. Par contre, ses habits n’ont rien à voir avec nos guenilles sans cesse rapiécés. Ils semblent presque… neufs. Mais ce n’est pas ce qui m’intrigue le plus.

Son esprit…

Son esprit ressemble à une plaine balayée par les tornades et les éclairs d’une tempête chaotique, inarrêtable. C’est un Alter. Mais un Alter comme moi. Intrigué, je ne peux m’empêcher de poser la question.

— Toi aussi, tu as un Rugen-Hoën ?

Je n’aurais pas dû. Il se braque. Le choc le fait reculer d’un pas, je redoute qu’il chute.

— T’es qui, toi ? grince-t-il entre ses dents.

— Os. Et toi ?

Il fronce les sourcils. Réaction fréquente face à mon apathie.

— T’es pas avec eux ?

J’ignore qui sont ces « eux ». Par chance, son esprit se détend – légèrement – et j’entrevois brièvement ces « méchants » qui le pourchassent tandis que d’autres « méchants » le poussent à commettre des crimes innommables. Le maelstrom émotionnel est violent ; même pour moi.

— Ai-je l’air d’être d’ici ?

Enfin, il me détaille, jauge mes habits étrangers et, bien sûr, ma peau et mes cheveux trop blancs. Pourtant, il ne m’étiquette pas comme un monstre. Cela déroge à mes attentes et je comprends que lui aussi a trop subi la différence et le rejet pour l’imposer à d’autres.

— Tu viens d’où si t’es pas d’ici ?

— Ça dépend. On est où ? — Puis, en un éclair de lucidité, je réalise qu’il manque une partie à ma question. — Et en quelle année ?

Ça le fait rire. D’un rire éraillé et mal à l’aise ; lui aussi prend conscience que ce qu’il se passe n’est pas normal. Et si pour ma part, je suis habitué aux phénomènes inexplicables, cela ne semble pas être son cas.

— Portland, en 2030.

Ces informations me heurtent. Hector ressassait sans cesse cette date et ce lieu : l’origine, disait-il. L’évènement qui a précipité le monde dans le chaos. Les autres ont beau dire que rien ne saurait me perturber, même eux me verraient fébrile en ce moment : j’ai atterri au carrefour des possibles. Est-ce que le Rugen-Hoën m’a catapulté ici pour influencer les évènements ? Remodeler le cours de l’Histoire ? Mais si l’apocalypse ne survient pas, existerons-nous toujours ? Rencontrerai-je Zilla ? Serait-ce l’occasion de lui offrir un meilleur destin ? À moins que nous ayons tous péri dans notre espace-temps après la destruction de l’Interstice. En ce cas, mes interrogations existentielles sont vaines et le Rugen-Hoën m’a ramené à ce point d’ancrage avec un ancêtre, comme si ce pouvoir avait la faculté de nous connecter à travers les âges.

— Alors, tu comptes annihiler toute vie de cette ville ? annonçai-je de but en blanc.

L’inconnu tremble. La confusion et l’incertitude l’étouffent de leurs vicieux tentacules. Il était parvenu à faire le vide dans son esprit, affûter son don mortel pour le lancer à l’assaut de ces milliers d’innocents. Et voilà que mon irruption ravive la flamme du doute.

— S’il le faut… souffle-t-il pour se convaincre lui-même.

— Tu n’es pas obligé. Ce n’est pas la seule issue. Je ne connais que celle où tu commets cet attentat et elle n’a rien de réjouissant. Mais je ne peux pas affirmer que les autres chemins seraient…

— Tais-toi ! Arrête ton baratin niaiseux ! Ils ont tué tous ceux que j’aimais, alors quel autre choix me reste-t-il ?

L’ouragan de sa rage déferle sur moi et j’en appelle à toute ma maîtrise mentale pour ne pas flancher. Cet individu est dangereux et me fait me sentir impuissant. Je pourrai le tuer, pourtant, d’une impulsion. Dans son état, il semble même attendre cette délivrance. Mais je ne veux pas encore endosser ce rôle de bourreau-sauveur.

— Très bien. Si tu veux le faire, je ne t’empêcherai pas. Après tout, j’ignore les conséquences d’une modification radicale du futur. Je suppose qu’il serait plus sage que je ne m’en mêle pas.

Un air de défi traverse son visage. Une grande inspiration gonfle son torse et il se retourne vers le panorama ; sa cible. Il se concentre, laisse son flux couler sur la ville, noyer dans ses flots les particules de vies humaines… puis se rétracte.

— J-je peux pas.

Son corps se courbe comme un arbre cassé et se laisse choir sur le béton rugueux du toit. Mon incapacité à réconforter les gens frisant le légendaire, je viens m’asseoir à ses côtés et le regarde vider ses larmes sans esquisser un geste. C’est le mieux que je puisse faire. De toute façon, il n’attend rien d’un inconnu et ses pensées divaguent avec les souvenirs de ses fantômes. Quand la peine se tarit enfin, il semble réaliser qu’il n’est pas seul.

— Parle-moi de ton monde, exige-t-il pour se détourner du chagrin.

Je ne suis pas un bon conteur, mais je peux lui partager mes royaumes mentaux. Plutôt que mes mots, il absorbe mes visions de ces biomes détruits, morts. Il se réconforte en sachant qu’il a pris la bonne décision. Ce prix aurait été trop lourd pour sa vengeance. En retour, il me montre les paysages gorgés de vert et de vie de sa terre natale, les Philippines. Je ne peux pas croire qu’on puisse détester ce monde-là…

— Ce n’est pas le monde en lui-même le souci, mais les hommes qui l’habitent.

Je médite ses paroles en silence.

— Tu penses que c’est le Rugen-Hoën qui a provoqué cette… distorsion ? Qu’il peut créer des ponts entre les gens comme nous ? poursuit-il.

« Les gens comme nous »… Cette expression qui rappelle encore une fois que nous n’avons pas notre place, ni ici ni plus tard.

— Peut-être, soufflé-je en levant la tête.

La nuit est tombée et les étoiles ont envahi le ciel. Le froid s’insinue plus mordant entre mes vêtements trop légers, mais je ne le sens plus.

— Peut-être même au-delà de la Terre, par-delà les astres, philosophé-je.

Oui, peut-être qu’il existerait un monde pour les gens comme nous, là-bas.

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