Chapitre 1 : Toman

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Ile Giantos, 2ème Quintile de l’an 319 après la Grande Révolution

Après quatre heures de vol à se battre contre un vent défavorable, Toman Rohr et ses camarades arrivèrent enfin, sur leurs hippogriffes respectifs, à l'île Giantos où demeurait le peuple des géants.

Toman avait survolé le territoire de Rohr depuis Geiburg, la capitale, sur le dos de Cavil, accroché aux rênes qui entouraient son museau de cheval et porté par ses grandes ailes d’aigle. Son hippogriffe faisait tâche dans les airs avec son pelage blanc et ses plumes bleu ciel qui contrastaient avec la couleur sombre des autres créatures qui les accompagnaient. Malgré son handicap, le jeune prince n’avait eu aucun mal à diriger sa bête. Il la montait depuis son plus jeune âge et ils étaient comme liés. Il le considérait comme une véritable partie de lui-même et se sentait plus proche de cette créature que de beaucoup de ses amis. S'il lui arrivait malheur, il serait dévasté.

Lors de la bataille survenue à Mahtal trois ans plus tôt, Toman n’avait pas seulement perdu un membre de sa famille, son père, mort au combat, il avait perdu un membre de son corps. Une flèche qui s’était logée dans son biceps l’avait contraint d’être amputé, le privant ainsi de son bras gauche. Sa vie en avait été bouleversée. S’il pouvait toujours manier l’épée avec sa main forte demeurée intacte, il avait perdu en équilibre et en puissance lors des combats et ne pouvait désormais plus se défendre avec un bouclier.

Lorsqu'il avait aperçu au loin l'île Giantos depuis le ciel, le prince avait sorti de son petit sac un grand drapeau blanc. Il ne voulait absolument pas que ses habitants se sentent menacés par l'arrivée de soldats rohriens. Il était peu probable qu'une tribu de géants prennent à un quelconque moment peur à la vue de cinq hommes de la taille de leur bras mais son père, le roi Tran II, lui avait appris l'art de la diplomatie et personne n'en était exempté.

Il s’agissait de créatures dotées d'une intelligence humaine qui, autrefois, régnaient sur le territoire d'Opewaldia et sur le Sud de Rohr. C'était avant la Grande Révolution survenue trois siècles auparavant et la prise de pouvoir des hommes. Après leur victoire face aux géants remportée grâce à un avantage du nombre et à l’utilisation massive de la magie par les sorciers humains, les trois grands chefs de la rébellion humaine - Rohr, Opewaldia et Matar – se partagèrent le Continent du Monde et décidèrent d'épargner les quelques géants qui avaient survécu et de les exiler sur une île déserte désormais nommée Giantos. Depuis lors, plutôt que de chercher à se venger, ils avaient préféré accepter leur sort et avaient construit une véritable civilisation indépendante des royaumes du Continent.

Avant de descendre se poser sur la plage au Nord-Est de l'île où se trouvaient les habitations, Toman s'arrêta quelques instants pour apprécier le spectacle qui s’offrait à lui. Entre la vaste forêt sauvage qui occupait la grande partie du territoire et la magnifique plage au sable blanc qui bordait la mer, il ne pouvait que remarquer la magnifique cité qui avait été construite par les géants. Elle était composée de plusieurs dizaines de gigantesques maisons en bois qui encerclaient trois bâtiments imposants mesurant chacun près de cinquante mètres de hauteur. Le prince de Rohr était impressionné : les géants avaient réussi à faire d'une ile déserte un formidable lieu de vie où les habitants, imaginait Toman, devaient être très heureux. Il aurait pu rester des heures à contempler le paysage mais malheureusement, il avait un devoir à accomplir.

Lorsque les cinq rohriens se posèrent sur le sable fin, de nombreux géants les attendaient de pied ferme. Il remarqua des armes à la main de certains. Fasciné mais également apeuré, Toman les observa attentivement de bas en haut. Leur corpulence était massive et leur musculature développée mais également enveloppée par un peu de graisse. Il leva la tête et vit leur visage rond, leurs oreilles légèrement décollées et leur crâne chauve tourné dans leur direction. Ils étaient exactement comme on lui avait décrit dans sa jeunesse. Ils ressemblaient étrangement à son oncle Keyron en beaucoup plus grand. Cette comparaison fit sourire Toman.

Alors qu’il descendait de son hippogriffe en s’accrochant avec sa main valide, l'un des géants s'avança vers eux.

— Qui êtes-vous et que faites-vous là ? demanda-t-il d'une voix autoritaire.

Le géant en question était encore plus grand et imposant que ses camarades mais au-delà de son physique, il dégageait un certain charisme et une certaine force. C'était surement leur chef et donc celui que Toman devait convaincre. Son interrogation semblait approuvée par ses camarades qui hochaient la tête, les sourcils froncés.

- Bonjour à tous, s’écria-t-il tout en se concentrant pour tenir en équilibre. Nous venons en paix, ne vous inquiétez pas. Je suis le prince Toman de Rohr, frère du roi Tran III et j'ai été envoyé par ce dernier pour m'entretenir avec vous. Nous avons une offre à vous faire. J'aimerais donc parler à votre ou vos chefs.

Quelques jours auparavant, alors que Toman était en train de regarder les combattants de l’armée s'entrainer à l’épée, il avait été convoqué dans les appartements de son frère, le roi Tran le Jeune.

Lorsqu’on était venu lui annoncer qu’il souhaitait le voir, la gorge de Toman s’était nouée. Leur relation avait énormément changé lors de l'accession de son frère au pouvoir à la suite de la mort de leur père lors de la Dispute de Mahtal. Autrefois, ils étaient inséparables et se ressemblaient beaucoup, tant physiquement que mentalement. Tous deux arboraient fièrement leur teint mate et leur longue mèche brune bien connus des rohriens et, de leurs yeux verts, lançaient des regards pleins d’ambition et de détermination à quiconque les sous-estimaient.

Avec l’âge, Toman avait gagné en maturité et avait pris l’exemple de son père et de sa sagesse alors que, au contraire, Tran était devenu encore plus hautain et orgueilleux, surtout une fois nommé Roi de Rohr. Il avait décidé rapidement qu'il ne laisserait pas la mort de son père impunie et qu'il conquerrait Opewaldia, quels qu'en soient les moyens. Comme l'avait redouté Toman, leur relation en avait fait les frais. Le roi ne le considérait désormais plus comme son frère mais comme un de ses conseillers. Toutefois, il lui faisait toujours entièrement confiance et l'avait chargé de toute l’organisation de l'invasion du royaume voisin. Ce matin-là, il lui avait confié une mission de la plus haute importance : rallier les géants de l'île Giantos à leur cause.

— Je suis le régent de la ville, répondit celui qui s'était approché. Mais je n'ai rien à cacher à mes concitoyens. Dites-nous ce que vous avez à nous dire puis repartez sur le champ avant que l'on vous cuisine pour le repas.

Les géants autour de lui poussèrent des cris d'exclamation et regardèrent les cinq soldats en tirant la langue, comme pour les effrayer. Toman regarda leur chef dans les yeux. Son visage semblait marqué par la haine et la colère. Tout le monde savait que les géants respectaient et admiraient la force. Le régent qu'ils avaient élu en était le parfait exemple. Même si les cinq mètres de haut qui se dressaient devant lui l'effrayaient, le prince devait montrer qu'il n'avait pas peur de lui s'il voulait espérer se faire entendre.

— Je devais encore dormir lorsque mon précepteur m'enseignait le mode de vie des géants, répliqua-t-il en riant. Je ne garde aucun souvenir d'une forme quelconque de cannibalisme.

Derrière leur leader, une voix grave s'éleva.

— Vous n'avez rien à faire là ! Vous nous avez exilés et maintenant vous venez n..

— Tais-toi Marnos, l'arrêta le régent sans même se tourner vers lui. Il n’est pas nécessaire de s'énerver. Nos chers rohriens vont simplement remonter sur leur bestiole et repartir comme ils sont arrivés.

Cette dernière phrase avait été dite avec une politesse ironique que Toman détestait. Leur chef ne le prenait pas au sérieux.

— Si vous tenez tant que ça à ce que nous partions, vous risquez de nous voir revenir très vite, s'exclama alors Boris en s'avançant à un pas du grand géant et en le défiant du regard. Mais cette fois-ci, on ne sera pas seulement cinq et on vous rappellera de très mauvais souvenirs.

Toman écarquilla les yeux à la vue de son meilleur ami et de son corps maigre et bronzé décoré par une longue chevelure châtaine qui s’interposait face au maire. Il connaissait Boris Mygro, depuis toujours et avait même grandi à ses côtés car il s'agissait du fils du Général de l'armée royale, Mison Mygrin. Il le savait courageux mais pas fou à ce point. En rappelant aux géants leur défaite, il prenait de grands risques.

Néanmoins, le géant resta très calme. Il était certainement conscient que Boris avait raison : les rohriens pouvaient très facilement mettre un terme à l'existence de son peuple s'ils le désiraient.

— Suivez-moi, je vous en prie, se contenta-t-il de répondre, la tête baissée, sous le regard ébahi de son peuple.

Toman demanda à Boris de l'accompagner et de faire profil bas et aux trois autres soldats de s'occuper des hippogriffes en attendant. Les créatures devaient être fatiguées de leur voyage. De l'eau et de la nourriture leur feraient le plus grand bien si elles devaient repartir d'ici quelques heures. Le plus grand de ses hommes, Ridan, exprima son mécontentement à l’idée de rater l’entrevue alors que les deux autres, Pyk et Alwen, hochèrent la tête en signe d’acquiescement. Toman adressa un sourire au réfractaire. Sa réaction ne l’étonnait en rien et l’amusait même. Ridan était un éternel rebelle qui abhorrait toute forme d’autorité. Cela ne l’empêchait pas d’être un combattant loyal et honorable qui donnerait sa vie sur ses ordres.

Le chef, suivi d'un autre géant, peut-être celui qui était intervenu dans la discussion, les emmena en grognant dans le plus grand des trois bâtiments. L'intérieur était encore plus magnifique que l'extérieur. Le sol avait été recouvert par un sable d'une légèreté agréable. Au centre, un gigantesque bassin d'eau non abrité brillait à la lumière du soleil et éblouissait Toman. Il était entouré d'un jardin fleuri où toutes les couleurs et toutes les odeurs se mélangeaient et l’enivraient. Tout était plus grand que nature et Toman était impressionné par la splendeur de cette sorte de palais. Pourtant, il en avait vu des merveilles. Il avait déjà visité le magnifique château de Cobyn, la capitale d'Opewaldia, qui était réputé comme étant le plus beau du Continent du Monde. Ce monument n'avait rien à lui envier.

Le chef se présenta enfin. Il s'appelait Tyros et avait été élu il y a trois ans pour une régence de dix ans. Il les installa dans son bureau. C'était bien Marnos, celui qui avait parlé tout à l'heure, qui se tenait à ses côtés.

— Je vous écoute, souffla son supérieur. J'espère que cela en vaut la peine.

Toman jeta un bref coup d'œil à son ami, comme pour lui prendre un peu de son courage, puis se lança.

— Je suppose que vous avez entendu parler de la Dispute de Mahtal ?

Les deux géants acquiescèrent, dubitatifs.

— Mon père est mort à cause de cette guerre, à cause des waldiens, continua le prince de Rohr. Mon frère, le nouveau roi, veut le venger et souhaite envahir Opewaldia. Pour cela, il compte sur votre aide.

— Notre aide ? répéta Tyros d’un ton faussement amusé.

- Et pourquoi vous aiderait-on ? répliqua avec agressivité Marnos. Nous sommes très bien sur notre île.

Toman le regarda d'un air malicieux.

- Nous vous proposons une contrepartie intéressante.

D’un signe de la tête, le maire l’invita à poursuivre. Il semblait intrigué.

- Si nous réussissons à prendre possession d’Opewaldia avec votre aide, nous vous offrons la partie Sud-Ouest de leur territoire. Votre peuple mérite mieux qu’une île, aussi resplendissante soit-elle, n’est-ce pas ?

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