Chapitre 21 : "Viens chez moi" - Partie 2

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Dossan ne fut pas surpris de voir Sky descendre les escaliers du salon à dix-neuf heures et demie pile. Cette ponctualité excessive lui rappelait quelqu’un. À tâtons, Sky s’approcha de la table, reniflant la bonne odeur régnante et sursauta quand Dossan lâcha la casserole sur la table.

  • Ouf, c’est chaud ! s’exclama-t-il en soufflant sur ses mains.

Un peu nerveux, Sky s’installa et fronça les sourcils à la vue des pâtes collants les unes aux autres.

  • Qu’est-ce que c’est ? demanda-t-il d'un ton incertain.
  • Pâtes quatre fromages ! Le plat préféré de Kimi, je me suis dit que ça pouvait être sympa de te faire goûter ça…
  • Mais je… j’en ai déjà goûté… Simplement...

Il arrêta son numéro au sourire en coin que Dossan lui affichait. Celui-ci s’empressa de le servir.

  • C’est un collègue qui m’a ramené ces fromages et de la charcuterie de son voyage en Italie, tu m’en diras des nouvelles. Tu es déjà allé à Rome ? demanda-t-il alors qu’il déposait de grosses cuillères dans son assiette.
  • Oui, Rome et ses alentours, une ou deux fois, répondit-il le nez presque fourré dans son assiette.
  • Vous voyagez beaucoup, je suppose ? Il m’arrive de suivre les nouvelles à la télévision…

Droit et fier, Sky plongea son regard sombre dans celui de Dossan. Il frémit face à son sérieux et à ses yeux sans chaleur qui le transperçait. Il décida de passer à autre chose, appréciant son visage éclairé lorsqu’il prit une première bouchée.

  • Est-ce que c’est bon ?
  • Déli… Oui, c’est très bon, dit-il poliment.
  • Juste très bon ? Sky, là tu me vexes, fit-il en le pointant de sa fourchette. Alors, dis-moi, j’aimerais bien savoir quelle est la vraie raison derrière cette “expérience sociale” ? continua-t-il quand il le sentit plus à l’aise.
  • Vous êtes malin, lâcha-t-il brièvement, je veux dire, “tu”, se reprit-il.
  • Dans quelle genre d’histoire est-ce qu’elle t’a embarqué ? C’est bien ma fille, ça, pouffa-t-il.

Encore une fois, le regard de Sky se figea.

  • Oh, je vois, tu es au courant ? Tu as fait la tête de quelqu’un qui en sait plus qu’il ne devrait, rit-il.
  • Si c’est un sujet sensible, je m’excuse…
  • À vrai dire, plus pour elle que pour moi. Un homme qui adopte un enfant, c’est un sauveur, mais une petite fille adoptée… c’est une peine aux yeux des autres.
  • C’est-ce que… tu… penses ?
  • Non, bien sûr que non. Mais comment l’as-tu su ? Est-ce qu’elle s’est confiée à toi ? Elle ne s’étale pas à ce sujet habituellement, je suis un peu curieux.

Avant de répondre à cette question, il prit la peine d’y réfléchir à deux fois : parler de Kyle, de la présence d’un journaliste à Saint-Clair n’allait pas dans son intérêt.

  • Les rumeurs se propagent vite.
  • C’est donc ça, soupira-t-il, moi qui espérais qu’elle se soit enfin confiée à quelqu’un. En un sens, ça ne m’étonne pas, je reconnais bien là Saint-Clair…
  • Vous… Tu étais à Saint-Clair ? s’étonna vivement Sky.
  • Elle ne parle pas beaucoup décidément, oui, j’ai fini mes études là-bas. Donc, je connais un peu le fonctionnement…
  • Alors, est-ce que ça veut dire que tu étais à l’école avec…
  • Les Richess ? Oui, bien sûr, fit-il en prenant une bouchée. Une grande époque, inaccessibles, mentit-il. C’est pourquoi j’ai été très étonné que tu parles avec ma fille. J’espère qu’elle ne t’en fait pas voir de toutes les couleurs ?

Dossan laissa échapper un rire à sa grimace, incapable de mentir. Le souper continua dans cette ambiance chaleureuse. Ils discutaient au-dessus de leurs assiettes vides quand Sky lâcha un bâillement.

  • Tu es fatigué ? Est-ce que tu vas dormir tôt généralement ? lui demanda Dossan qui commençait à débarrasser la table.
  • Le week-end, oui, acquiesça-t-il.
  • Alors encore un peu de courage et tu pourras monter… Attrape, fit-il en lui lançant un essui de vaisselle. Donne-moi un coup de main, s’il te plait, ajouta-t-il en lui faisant un clin d’œil.

D’un pas las, il s’exécuta en levant les yeux au ciel.

  • À ce propos, est-ce qu’il y a des tâches ménagères ? Kimi m’a dit que je devrais récurer les toilettes, dit-il alors que Dossan explosait de rire dans l’instant.
  • Elle s’est moqué de toi, mais c’est vrai qu’elle m’aide toujours à mettre et à débarrasser la table. Je lui demande de ranger sa chambre, de déposer ses vêtements sales dans la manne à linge, ce genre de choses, expliqua-t-il. Ah, et elle passe l’aspirateur parfois le samedi matin !
  • Vraiment ? Ou est-ce un piège pour que je le fasse demain ? l’interrogea-t-il d’un ton accusateur, les yeux plissés.
  • Oh non, je n’oserais pas ! surjoua-t-il en lui mettant une tape sur l’épaule.
  • Ça ne me dérange pas de le faire, dit-il alors, un petit sourire au coin des lèvres.

Dossan regarda le beau jeune homme qui frottait avec soin les verres, jetant un œil à travers pour être certain qu’il avait bien tout nettoyer. Il y avait finalement un peu de gentillesse sous cette carapace froide. Au travers d’un regard complice, il l’envoya alors dans la chambre de Kimi, tout en insistant sur le fait qu’il devait faire “comme chez lui”. Mais selon Sky, rien dans cette maison ne ressemblait à la sienne.

La même pensée traversa l’esprit de la blonde qui se blottissait alors dans les draps de luxes. Elle n’avait jamais dormi dans un lit aussi confortable, sa joue contre l’oreiller ayant l’impression de planer sur un nuage. De toute cette soirée, ce fut le seul moment où elle put se détendre. “Oncle Charles”, comme elle le surnommait, était bien gentil, mais très persistant. Il ne l’avait pas lâché tant qu’elle n’avait pas fini ses devoirs, soupant alors bien plus tard qu’elle ne l’avait prévue. D’épuisement mental, elle s’évanouit dans ses rêves, ou plutôt ses cauchemars dans lesquels elle courait dans un couloir vide.

De sursaut, elle se réveilla avec le son d’une petite cloche qui retentissait sans relâche. “Cet enfoiré de Charles”, l’avait-elle à nouveau surnommé, s’amusait à la faire sonner jusqu’à ce qu’elle se lève péniblement.

  • Je suis désolé pour ce réveil brutal, mais je dois avouer que je n’avais jamais été confronté à pareille dormeuse, s’expliqua-t-il alors que Kimi sortait de la chambre, les cheveux ébouriffés et les yeux collés. Ou allez-vous, Mademoiselle ? Le petit déjeuner est prêt, si vous ne voulez pas qu’il refroidisse….
  • Je vais pisser ! Vous voulez m’accompagner peut-être ?! s’énerva-t-elle.
  • Oh ! Très bien, je… je vous attends au rez-de-chaussée, annonça-t-il d’un air outré.

Sur le trône, elle força ses yeux à s’élargir : comment pouvait-il supporter un rythme pareil ? se demanda-t-elle, alors que la journée venait simplement de commencer. Quand elle descendit en pyjama, Charles la renvoya immédiatement dans sa chambre car “Monsieur déjeunait toujours habillé” et lorsqu’elle apparut avec un jeans à trous, elle dut encore une fois aller se changer. À son plus grand bonheur, les viennoiseries et le chocolat chaud vinrent apaiser ses douleurs qui reprirent dès l’instant où elle décréta avoir assez mangé. Charles regarda d’un mauvais œil le panier de croissants dans lequel il n’y avait plus que des miettes. Elle jura qu’il se vengea en l’obligeant à assister à ce cours en ligne de quatre heures. Quel intérêt de le suivre, alors qu’elle n’aurait certainement jamais a étudié le fonctionnement d’une entreprise et qu’elle ne comprenait rien à l’économie ? “Parce qu’elle devait agir comme Sky Makes”, répéta la majordome.

Finalement, pris de pitié, Charles la convia dans la salle principale pour prendre son repas du midi. Kimi s’arrêta aux mots : “Toasts au saumon” et se rua devant le plat. Depuis qu’elle était arrivée, c’est la seule chose qu’elle eût trouvé de positif : “les riches bouffent bien et c’est tout”, conclut-elle.

Croquant à pleines dents dans le pain, elle se retourna quand elle entendit la porte du salon s’ouvrir. Puis, sursauta au cri qui suivit, faisant tomber sa tartine sur le carrelage. Charles arriva en trombe pour calmer la demoiselle qui s’offusquait alors de la tâche que laisserait le saumon gras sur le sol. Ne bougeant plus d’un iota, les yeux ronds, Kimi observa la jeune fille brune s’outrer de sa présence. La colère n’allait pas de pair avec son visage de poupée de porcelaine.

  • C’est qui ? lâcha-t-elle simplement.

La paire d’yeux rosés la foudroya, jugea bon de s’attarder plus longuement sur la blonde, tout en lançant des coups d’œils sévères au majordome. La petite silhouette, bien qu’imposante par son charisme s’approcha, munie d’un certain dégoût sur son visage juvénile.

  • Se faire demander son identité dans sa propre maison, si ce n’est pas ironique. Charles ! Que fait cette inconnue dans notre maison ?!
  • Mademoiselle Lysen, c’est votre frère…
  • Évidemment, roula-t-elle des yeux, ça ne peut qu’être qu’à cause de Sky, s’il y a une… étrangère dans ce salon…
  • Alors, tu es la sœur de Sky ? Je ne savais pas qu’il avait une sœur ? s’étonna-t-elle tandis qu’elle ramassait sa catastrophe.
  • Toi, qui es-tu ? s’impatienta-t-elle les bras croisés. Non, peu importe… il n’a jamais parlé de moi ? demanda-t-elle le menton levé bien haut.
  • Euh nan, mais…

Celle qui portait alors le nom de Lysen Makes détourna le regard, le plongea au sol comme pour cacher sa peine. La colère revint ravager son visage.

  • Je n’ai pas le temps pour ces bêtises, Marëa m’attends dans la voiture pour me conduire à l’aéroport. Charles, je suis simplement venue rechercher mon violon, mais ceci devra être reporter à maman.
  • Très bien, mademoiselle…
  • Je suis sérieuse ! Elle n’aurait jamais accepté de laisser entrer quelqu’un chez nous de cette manière, peu importe la raison ! Même si Sky t’a demandé de ne rien dire, je souhaite que ça lui parvienne. Et puis de toute manière, je lui en parlerai moi-même s’il le faut, assura-t-elle.

D’un pas pressé, la jeune fille monta les escaliers et les redescendit, l’instrument à la main. Elle jeta un dernier regard empoisonné à Kimi, puis à Charles qui baissait la tête, avant de repartir aussi vite qu’elle était arrivée.

  • Eh ben, fit Kimi qui croqua dans son toast tombé part terre sous le choc.
  • Ah ! Mademoiselle Kimi ne manger pas ça !
  • Tout va bien ? fit-elle alors que les mains du vieux monsieur tremblaient.

Ils partagèrent un regard honnête. Le majordome semblait dépassé par les événements.

  • Oui… Très bien, je vous remercie de votre question…
  • Expliquez-moi, je veux savoir, dit-elle alors en ne baissant pas ses yeux.

Charles s’appuya au dossier de la chaise avant de s’y asseoir. Elle eut l’impression qu’il sortait d’un long périple, débutant son récit d’une voix basse et fatiguée.

  • Vous venez de rencontrer la sœur de Sky, elle n’a que treize ans, mais…
  • Treize ans ?? s’écria-t-elle, sa voix faisant écho au travers de la pièce.
  • Étonnant, n'est-ce pas ? Mademoiselle suit des cours à Londres, je ne m’attendais pas à ce qu’elle rentre aujourd’hui. Je suppose qu’elle avait besoin de son violon pour les cours de musique, je ne sais pas, mais c’est très embêtant. Monsieur m’avait demandé de garder cet échange secret. Même si je suis le domestique attitré de Sky, je me dois de respecter chaque demande venant d’un Makes… Oh, j’en suis bien content, il est tellement aimable, s’empressa-t-il de dire quand il lui découvrit un regard plaintif.
  • Aimable ? répéta-t-elle, pas très convaincu.
  • Je ne devrais pas dire ça, mais des trois enfants, il est celui avec qui je m’entends le mieux. Mademoiselle Lysen était plus douce il y a quelques années, pouvons-nous dire que c’est la période de rébellion ? Certainement, et Billy…
  • Qui est Billy ? demanda-t-elle expressément.
  • L’ainé des Makes, voyons !
  • Je ne savais pas qu’il avait des frères et sœurs, il n’en à jamais parlé jusqu’ici, répondit-elle évasivement.
  • Ce n’est pas étonnant, mais Billy est bien connu pour être le fils “scandaleux”. Madames Makes l’a eut à l’âge de Mademoiselle Lysen, ça été un lourd secret à porter. Aujourd’hui, tout le monde est au courant, c’est pourquoi je pensais que vous le saviez également.

Kimi l’écoutait maintenant avec attention, plongeant ses yeux bleus dans le regard fuyant du majordome. Est-ce qu'il lui donnait tous ces détails car elle l'avait exigé ? Tout comme Sky aurait pu le faire ?

  • Je suis inquiet, car même si je suis sous les ordres de Sky, je devrais bien évidement en informer ses parents. Si je ne le fais pas, ils risquent de remettre en question mes compétences et je ne voudrais pas que vous en subissiez les conséquences. Vous êtes une jeune fille charmante. Je suppose que Sky s’occupera de régler ce souci...
  • Charmante ? Vraiment ? fit-elle en jouant de ses sourcils.

Le majordome émit un rire. Malgré toutes ces manières, il ne résistait pas au charme de la blonde.

  • Je vous trouve fort sympathique, pour tout vous dire. Désordonnée et distraite, mais sympathique, rectifia-t-il en brandissant son index dans le vide.
  • Ben dit dont ! Moi aussi, Charles, je vous trouve plutôt cool, avoua-t-elle en déposant une main sur son avant-bras, puis en lui offrant un grand sourire.
  • La famille Makes aurait bien besoin d’un peu plus de votre chaleur, souffla-t-il avant de se couvrir la bouche, comme s’il venait de dire une injure.
  • Thanks, papy ! Par contre, ça me chiffonne, si sa sœur est à Londres et son frère alors ? Il est où ?
  • En Angleterre, également, dit-il en passant outre sa provocation.
  • Mais pourquoi Sky reste ici alors ? Si ses parents ne sont jamais là et que ses frères et sœurs sont à Londres ?

À nouveau, Charles entra dans son rôle de majordome parfait et distingué. Très sérieusement, il n’eut qu’une réponse à la souffler :

  • Parce que c’est un Richess.

Kimi se gratta le haut du crâne et leva un sourcil. S’il était un Richess, son frère et sa sœur ne l’étaient-ils pas également ? Borf, au final, ces histoires de famille ne la regardait pas, décida-t-elle en engloutissant la fin de son repas froid.

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