Chapitre Seize

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En haut de la dune, je vis d'où provenait la lumière clignotante. Elle se reflétait bien sur le panneau solaire d'une ville-dôme. Mais la ville était en ruine. Le dôme, éventré, révélait d'imposants immeubles abîmés par le temps, le vent, le sable et le soleil. Les routes étaient à moitié recouvertes par du sable. Orlan, à côté de moi, ne disait rien. Je détachais difficilement mon regard de ce spectacle désolant, pour voir s'il était au courant, mais il semblait tout aussi stupéfait que moi. Sans prévenir, je me remis à marcher, droit vers les ruines. Orlan me rattrapa en quelques enjambées.

« C'est dangereux.

- Tu n'en sais rien.

- Tout est en ruine, c'est forcément dangereux.

- Tu n'en sais rien, répétais-je.

- Je sais qu'un de ces... arbres, peut s'écrouler à tout moment. Diana, écoute-moi ! »

Je fis volte-face.

« C'est chez moi ! Ce que tu vois, c'est une ville-dôme, comme celle où je suis née, comme celle où je vis. C'est mon monde. C'est peut-être dangereux pour toi. Mais c'est chez moi. »

De mauvaise grâce, il me suivit jusqu'au dôme. Des morceaux entiers s'en étaient détachés pour s'écraser en plein milieu du centre-ville, défonçant les immeubles sur plusieurs étages. Le sable, ne rencontrant plus d'obstacles, s'était infiltré dans la ville. Je ne cherchais même pas l'entrée principale et entraînait Orlan à travers un trou dans le dôme. Je savais qu'il devait être suffisamment épais pour filtrer correctement les rayons du soleil, mais j'ignorais à quel point. A certains endroits, des fils électriques pendaient dans le vide, vestige d'un système ultra performant qui fournissait de l'air pur, de la lumière et de la musique. Plus rien ne fonctionnait.

Les rues de la ville étaient désertes, bien entendu. Les immeubles qui tenaient encore debout n'avaient plus de fenêtres. Nous pouvions voir des meubles couverts de poussière à l'intérieur de pièces qui ne servaient plus à personne depuis très, très longtemps.

« Il n'y a pas d'arbres. » constata Orlan avec tristesse.

Je voulus lui montrer un espace vert, mais l'herbe artificielle et les arbres en silicone n'auraient fait que le rendre plus malheureux encore. Nos pas étaient étouffés par le sable qui recouvrait le bitume et le silence avait quelque chose d'angoissant.

« Où est ta maison ? demanda Orlan.

- Ce n'est pas ma ville-dôme. Celle-ci est abandonnée depuis des années. Peut-être un prototype... »

Orlan n'avait pas l'air de comprendre.

« C'était peut-être un brouillon. Un premier essai avant le mode final. Pour s'assurer que tout fonctionne. » Je haussais les épaules. « Ce prototype ne devait pas être opérationnel à 100 %. Il devait comporter trop de bugs, du coup ils l'ont abandonné. »

Mais dans ce cas, pourquoi y avait-il autant de signes que cette ville-dôme avait été habitée ? Les immeubles et les maisons n'étaient pas vides. Je me faufilais par un trou béant qui avait dû être, autrefois, une porte. Ce qui devait être la cuisine regorgeait d'ustensiles. Des bols, des assiettes, une armoire remplie de vieux flacons de comprimés protéinés. La chambre me laissa encore plus perplexe.Les tiroirs regorgeaient de vêtements. Recouverts de poussière, moisis et se désagrégeant au moindre contact, mais il s'agissait bien de vêtements.

« Des gens vivaient ici. » fit remarquer Orlan lorsque nous retournâmes dans la cuisine. « Je croyais que c'était un brouillon. Que personne ne devait vivre ici avant que tout ne soit terminé.

- Normalement, oui. »

De retour dans la rue, je cherchais d'autres signes de vie. Toutes les maisons que nous visitions avaient été habitées. Lorsque nous arrivâmes devant un immense centre commercial, je marquais un temps d'arrêt. Le complexe était situé tout au bout d'une longue avenue, presque au centre du dôme. Les cinq rues principales partaient du centre pour rejoindre le cercle que formait le dôme, divisant ainsi la ville en cinq quartiers. La plupart du temps, ces zones étaient nommées de façon assez farfelues : j'habitais dans le quartier des Rayons d'Or, juste à côté du quartier Rose. Mes parents vivaient dans le quartier de la Liberté. Parfois, le quartier se paraît de couleurs en rapport avec son nom, par fierté ou par amusement. Les maisons du quartier Rose étaient donc peintes dans différentes teintes de rose. Le quartier où je vivais avait opté pour quelque chose de plus subtil. Les toits étaient recouverts d'une fine pellicule irisée qui donnait l'impression, lorsqu'on passait au dessus avec le train suspendu, de survoler un océan d'or.

Le train suspendu. Je levais les yeux et tentais d'apercevoir les rails accrochés aux parois du dôme. Ils étaient là, probablement en très mauvais état, mais je pouvais les voir.

« Est-ce que c'est une maison aussi ? »

Je baissais les yeux vers Orlan qui désignait le centre commercial.

« C'est un magasin. On y achète ce dont on a besoin. Nourriture, vêtements... »

Orlan hocha la tête avec conviction : « Un centre de troc. »

Je ne cherchais même pas à lui expliquer notre système monétaire. Chez eux, tout fonctionnait sur un échange de biens ou de services. C'était plus concret, plus simple également, et peut-être un peu plus juste. A la place, je lui suggérais d'aller fouiner à l'intérieur de l'immense bâtiment, mais à nouveau la nervosité s'empara de lui.

« Tu pourrais trouver plein de choses utiles pour le village. » ajoutais-je, l'air de rien.

L'envie et la curiosité le disputaient à la prudence et à la peur de l'inconnu. Je le sentais fébrile à l'idée de braver des interdits, aussi je décidais de ne pas insister, s'il refusait. Il avait déjà fait de gros efforts en me suivant à l'intérieur du dôme.

« Je sais déjà à quoi ressemble un centre de troc. » finit-il par déclarer avec dédain en faisant demi-tour. Je retins une réplique mordante et le suivit.

Orlan me fit promettre de ne dire à personne que nous nous étions aventurés dans une zone interdite, et nous fîmes demi-tour.

J'étais soulagée de quitter cette ville abandonnée, et inquiète en même temps. Si le dôme avait été délaissé, pour une raison ou pour une autre, c'était que la région devait être considérée comme invivable. Autrement dit, il y avait peu de chance qu'une équipe de secours passe dans le coin. Pour autant, j'avais plus de chance de réussir à contacter quelqu'un grâce au système de communication dont étaient équipées les maisons des villes-dômes. Celle-ci avait beau avoir été abandonnée, les équipements étaient sensées être fonctionnels pratiquement à l'infini. Je devais y retourner.

Orlan ne disait rien. Je devinais qu'il devait être furieux contre moi. Je m'en voulais, mais ne regrettais pas d'avoir brisé une autre de leurs règles.

« Cet endroit... »

Je me tournais vers lui, surprise d'entendre non pas de la colère dans sa voix, mais de la tristesse.

« Cet endroit, cette ville-dôme comme tu l'appelles... c'est comme ça, chez toi ?

- Non. »

Je secouais la tête en comparant cette ruine et la ville-dôme où je vivais.

« C'est beaucoup plus agréable. »

- Mais il n'y a pas d'arbres. »

Je lui concédais ce point.

« Je n'aime pas l'endroit d'où tu viens. » décréta-t-il.

- Tu ne sais même pas à quoi ça ressemble ! »

Orlan s'arrêta en haut de la dune que nous venions de gravir, et d'un geste il désigna le dôme éventré en contrebas.

« Ce n'est pas la même chose. » Je sentais que je m'énervais.

Orlan me considérait avec tristesse : « C'est la même chose. La seule différence, c'est qu'ici, ça sent la mort. »

Je le laissais descendre la dune et jetais un dernier regard vers la surface brillante du dôme. Le soleil se reflétait sur les panneaux solaires, comme pour me faire un clin d'œil.

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