Chapitre Quatorze

4 minutes de lecture

« Je vais planter les légumes. Tu veux venir avec moi ? »

Je levais les yeux vers Orlan, certaine d'avoir mal entendue. Pourtant, j'étais seule dans ma chambre. Ornélia était de corvée de lessive, ce qui, dans la mesure où ils lavaient leur linge à la main, allait lui prendre une bonne partie de la journée. Orlan haussa les sourcils à mon intention. Si le simple fait de m'avoir touché la joue le rendait si aimable, je n'osais imaginer ce qui se passerait si je l'embrassais. Est-ce qu'il s'évanouirait ? Et si j'essayais, juste pour voir ?

Je restais silencieuse lorsqu'il m'expliqua qu'il comptait planter des légumes et des fruits qui ne poussaient que par fortes chaleurs, et lorsque je lui demandais comment il avait obtenu ce savoir, il me répéta que les quelques habitants qui savaient lire avaient eu accès à des connaissances essentielles sur l'agriculture. Le reste s'était transmis de génération en génération.

A mes yeux, toutes les petites graines qu'il me montra se ressemblaient, mais il s'y connaissait mieux que moi, pauvre citadine, surtout dans la mesure où, chez moi, nous ne faisions plus rien pousser.

« A quoi ça ressemble ? Quand tout est prêt à être récolté ? » questionnais-je.

Je devais avoir la même tête qu'Orlan, à cet instant, lorsqu'on me demandait d'expliquer quelque chose qui m'était naturel. Orlan ouvrit la bouche, mais ne semblait pas trouver les mots. Il finit par demander de le suivre.

« Je suis surpris qu'Ornélia ne t'ait pas montré les cultures. » fit-il remarquer.

Ornélia n'aimait pas planter des légumes. Son endroit préféré, c'était les sources chaudes. Orlan ne connaissait pas bien sa sœur.

Au lieu de traverser le village, nous le contournâmes, sous des arbres au feuillage moins dense, dont les trous créaient des jeux d'ombres et de lumières qui donnaient une touche mystérieuse à cet endroit. Le chemin qu'il me fit prendre n'avait pas l'air d'être utilisé souvent, peut-être parce qu'il n'était pas totalement protégé de la chaleur de l'astre solaire. Le sol était constellé de tâches lumineuses. Ornélia m'avait déjà expliqué qu'ils n'aimaient pas s'exposer à la lumière du soleil, et qu'ils restaient autant que possible sous le couvert de leurs immenses arbres. Orlan ne semblait pas s'en soucier, et je trouvais dommage qu'il n'y ait pas plus de monde pour apprécier la beauté de ce chemin. Il y faisait plus sec qu'au cœur du village. Des fleurs poussaient un peu partout. Certes, les arbres étaient moins imposants que ceux qui leur servaient d'habitations, mais l'air était plus respirable et délicatement parfumé. J'aimais les sources chaudes, un véritable lieu de relaxation, et j'avais adoré mes bains de soleil sur le sable, mais je préférais, de loin, ce chemin ombragé. Était-ce Orlan qui l'avait dégagé ? La lumière du soleil donnait des reflets roux à ses cheveux.

Lorsque nous arrivâmes aux zones de culture, une forte odeur me prit à la gorge, et ce fut une explosion de couleur.

Le jaune et le vert dominaient, dans des nuances subtiles qui me frappèrent. Vert du même sombre que les vêtements qu'ils portaient, vert acide sur de petits boules rondes, vert menthe -une teinte que je connaissais uniquement pour l'avoir vu sur les paupières de ma meilleure amie lorsqu'elle traversait sa période monochrome et qu'elle n'arborait qu'une seule et unique couleur pendant des jours. De l'orange et du rouge dans les arbres, mais également au sol, sur des buissons tapissés de baies de couleur vive et dans la terre meuble. J'aperçus même du violet lorsqu'une femme détacha soigneusement un drôle de fruit ou de légume, comment aurais-je pu le savoir, de sa tige. 

Quelques villageois étaient occupés à la récolte. Ils saluèrent Orlan avec enthousiasme, mais semblèrent surpris de me voir.

« Les pommes de terre et les carottes sont mûres et les tomates le seront dans peu de temps. » m'apprit Orlan en désignant des rangées. « C'est dommage, les épis de maïs ont déjà été récoltés, sinon tu aurais pu voir que les pieds peuvent monter jusqu'à hauteur d'homme. »

Je hochais la tête. Pomme de terre, carotte. Tomate. Pied de maïs. Chez moi, on ne voyait des légumes que dans les livres d'histoire, au chapitre Agriculture.

« Mais ce que je préfère, ce sont les champs de blé. » me révéla Orlan en souriant, le regard perdu dans un océan d'or. De fines tiges dont le sommet se terminaient par de petits épis. Il faisait courir sa main sur les brins d'un jaune éclatant.

« A quoi ça sert ? Ça se mange ? »

Orlan sourit de plus belle. J'avais la désagréable impression qu'il se moquait de moi.

« On en fait de la farine. Et avec de la farine, on fait du pain. »

A mon tour de me sentir ignorante. Je n'avais jamais vu un légume de ma vie, et jusqu'à récemment, je n'en avais jamais mangé. Chez moi, nous avions des comprimés alimentaires couvrant nos besoins physiologiques. Nous n'avions pas de carottes ou de tomates. Pouvait y avait-il une telle différence entre nos façons de vivre ?

Orlan m'expliqua qu'ils avaient été obligés d'augmenter les cultures, après un hiver particulièrement rigoureux durant lequel ils avaient failli manquer de nourriture. Je ne pus retenir une exclamation de surprise. L'hiver ? Avec de la neige ?

« Le village est à l'abri, grâce aux arbres, mais le désert est recouvert de neige. Nous sommes protégés du froid en grande partie, mais rien ne pousse, l'hiver. Alors nous faisons des réserves à l'avance. »

Il m'expliqua que les villageois n'aimaient pas beaucoup l'hiver. Le froid et l'humidité naturelle du village ne faisaient apparemment pas bon ménage, et certains matins le givre recouvrait tout. Ainsi, tous les habitants avaient pris l'habitude de vivre enfermés jusqu'à la fin de l'hiver, ne sortant que pour les repas, qu'ils prenaient dans la salle principale.

Je me demandais à quoi ressemblait la neige. Je savais déjà ce qu'on ressentait quand on avait froid, la ville-dôme où je vivais ayant une patinoire où les jeunes se rendaient à l'occasion. La glace était artificielle, bien entendu, mais je me souvenais avoir admiré le petit nuage que formait mon souffle. C'était tout ce que je connaissais du froid. Je n'avais jamais vu la neige.

J'étais tellement jalouse que je manquais de m'étouffer.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 4 versions.

Vous aimez lire Lyviance ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0