La Pie

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Avec le soutien de  Opale Encaust 
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Image de couverture de La Pie

C’est léger, exquis, comme une petite morsure qui me réveille. A la faveur de la nuit, un air froid a envahi la maison. Les yeux emplis de brume je devine que le jour s’est levé, pâle et terne, en ce samedi matin de février. Le silence de ma chambre a quelque chose de solennel, comme si un défunt était veillé. Je bouge doucement les pieds et les mains pour libérer mon corps de sa torpeur nocturne. Je remonte la couverture sous mon nez. Le thermomètre était déjà bien bas hier soir quand je suis arrivé, l’herbe brillait comme du cristal et le givre envahissait les carreaux des fenêtres. Le ciel était cotonneux, prêt à se rompre. Il n’y avait pas un bruit, pas âme qui vive dans ce petit coin de campagne isolé.

J’ai terminé hier ma semaine de travail éreintante. Le vendredi après-midi tout s’agite, il y a toujours quelque chose d’urgent, un ultime sursaut de travail pour reporter l’heure du départ, pour garder une distance avec le repos du week-end tant attendu.

La route m’a paru bien longue, sans doute était-ce lié à la fatigue accumulée depuis ces six derniers mois interminables, remplis volontairement de nombreux projets professionnels pour oublier le « manque de toi » qui immanquablement se faisait sentir.

Les placards de la cuisine étaient vides à mon arrivée. Une soupe en sachet et quelques biscottes périmées : voilà tout ce que j’ai pu trouver. Mes membres, mon cerveau, mon corps tout entier tournait au ralenti. Plus rien ne semblait fonctionner; comme si le temps d’une nuit, l’organisme jetait l’éponge devant trop de fatigue.

Tu devais arriver hier soir. J’ai dû sombrer bien avant que tu n’ouvres la vieille porte d’entrée qui gémit. Mon sommeil était si profond que je n’ai rien entendu. Je me suis couché là, sans bouger jusqu’au matin, immobile comme les pierres sans âge de cette maison.

Mes yeux s'habituent peu à peu à l’obscurité. Je me lève en silence et glisse vers le pied du lit. Je me dirige à pas de velours vers la fenêtre et entrouvre légèrement les volets. Une lumière blafarde envahit la chambre. Le paysage est figé par la neige qui est tombée religieusement toute la nuit. Sur une barrière au loin, une pie règne sur la campagne transie de froid, seul être vivant à tenir tête à l’hiver. De maigres rayons de soleil effleurent ses plumes. Sur les poteaux délabrés, des cylindres de neige tiennent lieu de haut de forme. Un spectacle silencieux aux allures de réception mondaine où l’invité d’honneur, tout de noir et de blanc vêtu, étale toute sa grâce, devant des convives silencieux.

Mes yeux se détournent de ce charmant décor. J’observe alors la chambre à coucher pleine de sobriété : une armoire trapue sur la droite, une table de nuit équilibriste près de la porte, des habits en pagaille sur le parquet qui ondule comme des herbes folles dans le vent du printemps et le lit, tapi dans un coin de la pièce, cherchant à reculons la douceur des fleurs du papier peint délavé. Sur un des côtés, les couvertures prennent la forme d’une petite colline presque immobile. Le froid de l’air me saisit à nouveau comme si le manteau de neige apporté par la nuit débordait dans la chambre. Un sourire aux lèvres, je déguste la joie naïve d’être simplement là à te regarder.

Je retourne à ma place. Le matelas a gardé l’empreinte de mon corps. Je glisse sur le parquet, tel un chat à l'affût, choisissant avec prudence mes appuis pour ne pas faire grincer une latte rebelle. Depuis la base du lit, je progresse en silence et rejoins mon oreiller déjà refroidi. Je me glisse sous les draps espérant que mes allers et venues soient passés inaperçue.

L’étrange colline à côté de moi soudain s’anime. Je demeure immobile. Une agréable sensation me réchauffe. Sur mes pieds gelés je sens ta peau douce qui m’effleure délicatement. Ta jambe se pose imperceptiblement sur ma cuisse. Ta main se fraye un chemin et vient se poser sur ma poitrine comme pour vérifier que mon cœur bat encore. Ton visage apparaît sous les couvertures. Tu te rapproches, m’offres ta chaleur, le plus précieux des présents en cet instant. Tu viens te lover tout contre moi, la tête nichée sur mon épaule.

Le froid s’estompe. Le calme revient dans la chambre. Je dépose un baiser sur tes cheveux bruns, t’enlace et retombe progressivement sous le charme de Morphée.

J’espérais ta présence hier soir, dès mon arrivée. Tu m’avais promis, il y a plusieurs mois déjà, de me retrouver ici, pour mon anniversaire. J’ai fait le choix de te croire.

Cette étrange nuit a apporté la neige et cet assaut de l’hiver qui a émoussé le rebord des choses. Ce matin, mon monde se réduit à une alcôve irréelle dans laquelle tu es venue déposer ton corps tout près de moi, tendrement, réduisant la distance qui nous a si longtemps séparée à ce mince espace d’air où ni le froid, ni le temps n’a de prise.

Je laisse volontiers la campagne à ce messager de bon augure. Je garde pour moi cette vieille maison, comme une parcelle de terre oubliée, épargnés par le temps qui passe, où, perdu dans la chaleur de ta peau, je savoure le plaisir simple d’être là, vivant à tes côtés.

En ce matin de février, sous un pâle soleil d’hiver, une pie prend son envol et parcourt la campagne enneigée qui semble recouverte d’or.

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Lancé par Opale Encaust

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