Chapitre 25

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Léana

J’embrasse mes camarades de la caserne ainsi que les amis de Matthew avant de rejoindre Louis au bar. Il me salue chaleureusement et me prend dans ses bras.

- Comment vas-tu ma belle ?

- Bien merci, et toi Lou ?

Il acquiesce avant de m’attraper la main et de me faire tourner sur moi-même en fronçant les sourcils, m’observant de la tête aux pieds.

- Si tu étais ma fille ou ma petite-amie, jamais je ne t’aurais laissée sortir ainsi vêtue jeune demoiselle.

Je ris et dépose un baiser sur sa joue. Louis, la cinquantaine bien tassée, le ventre à bière et les cheveux grisonnants, est un homme adorable que j’aurais volontiers pris comme substitut de père, et c’est peut-être finalement davantage le cas que je ne veux bien l’admettre. Ses yeux sont d’un vert magnifique derrière de fines lunettes carrées, et son sourire toujours tendre et sincère. A présent que mes souvenirs sont de retour, je peux certifier qu’il a une sacrée place dans ma vie. Louis est un homme bien, marié et père de cinq enfants dont deux garçons avec qui il a voulu me caser. Il n’était pas rare que je lui donne un coup de main au bar lorsque sa femme était trop fatiguée à cause de son cancer du sein, l’année après que j’ai été embauchée à la caserne. Depuis, nous avons développé une relation amicale franche et je regrette que la distance se soit installée lors de ma perte de mémoire, même s’il m’a avoué n’avoir pas trop su comment réagir face à cela et avoir préféré mettre de la distance et me permettre de me retrouver.

- Je peux t’appeler papa si tu veux mais je t’assure que personne ne choisira jamais mes vêtements pour moi, père ou mec, dis-je en lui faisant un clin d’œil.

- Tu as bien raison ma petite féministe, rit-il en serrant ma main dans la sienne. Alors, où est le roi de la soirée ?

- Oh, il est en train de bouder sur le parking, soupiré-je. Paul est parti le chercher pour le réconforter et le convaincre d’entrer.

- Qu’est-ce qui lui arrive à ce rustre ? dit-il en fronçant les sourcils à nouveau.

- Ça lui passera, ne t’inquiète pas, éludé-je. Je peux avoir un Mojito s’il te plait ?

- Qui conduit au retour ?

- C’est moi et ce sera mon seul verre, tu me connais Louis.

- Ok, un petit Mojito pour l’organisatrice de la soirée Emilia !

Je ris et vais embrasser son épouse avant de l’aider à préparer ma boisson. Je sors également une bière pour Matt que je décapsule. Mon pompier entre alors que je dépose la bouteille sur le comptoir, un air moins renfrogné que ce que j’imaginais. Il est suivi par Paul et accueilli par des « Surprise ! » lancés par la bande présente pour ses beaux yeux. Je fronce les sourcils en observant son faciès de l’homme surpris qui ne me paraît pas très naturel, plutôt surjoué. Je jette un regard à Paul qui hausse les épaules d’un air désolé. Il a donc vendu la mèche, le bougre. Matt prend nos camarades et amis dans ses bras les uns après les autres pour les saluer et recevoir toute l’attention qu’il mérite de la part de ses proches. Louis presse mon épaule avant de récupérer la bière que j’ai ouverte et de se diriger vers Matt. De mon côté, je lève mon verre et trinque avec Emilia.

- Alors, comment tu vas ma belle ?

- Très bien. Je reprends doucement mes marques au quotidien, entre passé et présent. Pas toujours évident mais je m’accroche.

- C’est bon de te retrouver Léana, dit-elle en souriant.

- Je ne peux qu’être d’accord crois-moi, c’est bon de se retrouver… Et toi, comment vas-tu ?

- Oh ça va. Louis est toujours autant aux petits soins et me ménage encore et toujours, presque trop, rit-elle.

- Eh bien, si ce n’est pas de l’amour ça ! souris-je.

Elle jette un regard attendri à son mari et je ne peux m’empêcher d’éprouver une pointe de jalousie à voir cet amour sincère perdurer malgré les années et les obstacles qui auraient pu leur faire baisser les bras.

- Oula, c’est quoi ce regard triste ?

- Quel regard ? Ce n’est rien, je suis juste fatiguée Emi.

- A d’autres oui, dit-elle en glissant son bras sous le mien. Matthew te cause des soucis ?

Je fronce les sourcils, surprise. Je n’ai pas souvenir que nous ayons parlé de notre relation aux propriétaires du bar. Ils sont tous deux également amis avec le Chef Jones et son épouse. Il était hors de question pour Matt et moi de les mettre dans une position compliquée en leur révélant quoi que ce soit et ce même si nous passions beaucoup de temps au Brin et avons également partagé quelques soirées chez eux. Dans tous les cas, notre relation est toujours restée amicale à l’instant où nous sortions de la colocation étant donné qu’il était compliqué de s’afficher au risque que certains membres de la caserne, et surtout nos supérieurs, apprennent que nous étions ensemble. A la caserne, nous sommes quasi toujours restés professionnels, même si j’avoue qu’il nous est arrivé d’échanger un rapide baiser en se croisant dans des endroits discrets.

- Ne me regarde pas comme ça Léana, j’ai des yeux, rit-elle. Et puis les vôtres sont très expressifs ma belle.

- Je ne vois pas de quoi tu parles. Tu veux bien me mettre un peu plus de menthe s’il te plaît ? J’adore la menthe, éludé-je.

Emilia attrape deux feuilles de menthe qu’elle laisse tomber dans mon verre puis se poste à mes côtés et observe la salle. Elle lève son verre de jus de fruits en direction de Matt qui fait de même avec sa bière en lui souriant. Je les accompagne et bois une gorgée, mon regard plongé dans le sien.

- Voilà, ce genre de regard ma belle. Il te couve toujours du regard lorsque tu t’éloignes, n’a d’yeux que pour toi et inversement. Et puis, il te dévore des yeux et c’est réciproque. Bon en même temps, avec cette robe tous les mecs de la soirée risquent de te dévorer des yeux, ajoute-t-elle en fronçant les sourcils.

- Voilà, ris-je. Aucun rapport avec Matt. J’adore cette robe Emi. Et ne fais pas cette tête s’il te plait… Tu la trouves vulgaire ??

- Non, pas vraiment, me répond-elle après un instant de réflexion. Elle te va bien et puis tu as le corps pour après tout. A ton âge moi aussi j’ai porté des robes un peu olé olé pour chauffer mon cher et tendre.

Je ris en la voyant me détailler. Je crois qu’elle n’ose pas me dire ce qu’elle pense réellement et vu son caractère, je l’imagine mal avoir osé mettre ce genre de robe. Oui, elle est un peu osée et je ne la porterais certainement pas tous les jours mais on ne voit pas tant de peau que ça au final. C’est une petite robe de soirée et ceci est une soirée après tout. J’enlève ma veste et la dépose sur le comptoir sous son regard scrutateur.

- En tout cas, c’est beaucoup moins vulgaire que ce que porte la blonde pendue au bras de Matthew, fait-elle remarquer.

Je fais volteface bien trop rapidement pour ne pas apporter de preuve à Emilia qui éclate de rire. Je la fusille du regard alors qu’elle hausse les sourcils, l’air de dire qu’elle n’est pas née de la dernière pluie. Cependant quand je repose mes yeux sur Matt, il n’est effectivement pas entouré que de la testostérone de nos collègues. Deux femmes, qui ne sont pas les compagnes de nos collègues et que je ne connais pas, semblent en grande discussion « je te montre mon décolleté et je pouffe comme une dinde devant toi » avec lui. Je finis par reconnaître Barbie, la blonde que j’avais déjà croisée à la caserne. Elle porte une robe rose pâle qui semble cousue à même la peau tant elle est moulante. Elle a une poitrine opulente et des hanches bien marquées, tout comme sa copine brune juchée sur des escarpins vertigineux, qui porte elle un pantalon bien moulant et un haut blanc totalement transparent. Merde, autant dire que je ne fais clairement pas le poids face à ce genre de bombes, ça c’est sûr.

Je soupire et m’affaire derrière le bar à préparer la prochaine tournée de bières, laissant Matt à ses poufs et tentant de me changer les idées. Difficile de ne pas voir le manège de Barbie, qui rit bruyamment et tripote mon pompier. Je tente de me contrôler davantage lorsque Sophia me rejoint et que nous papotons en dégustant nos Mojitos mais cela semble peine perdue.

- Tu n’as pas l’air dans ton assiette.

- Je suis fatiguée, rien de plus, tenté-je.

- Mouais. Alors, quand vas-tu m’expliquer ce qui s’est réellement tramé dans notre dos.

- Je ne vois pas de quoi tu parles.

- Oh allez te fous pas de moi. Il est comment au lit ?

Je manque de recracher ma gorgée et repose mon verre bruyamment sur le comptoir. Sophia éclate de rire et porte son verre à sa bouche avec un regard joueur.

- Dis-moi tout, je veux savoir si ce que tu as dit à l’hôpital est vrai.

- Ce que j’ai dit est partiellement vrai. Matt et moi avons été ensemble pendant plusieurs mois avant mon accident.

- Oh bon sang, mais pourquoi tu ne m’as rien dit ?!

- Avec Matt on avait décidé de ne rien dire à personne pour le boulot, et pour éviter de vous mettre dans une situation compliquée.

- Mais Paul était au courant, lui, répond-elle en faisant la moue.

- Il l’avait deviné apparemment. Et puis… Il nous a grillés en mauvaise posture à vrai dire…

- Sérieux ? Raconte, rit-elle.

- Il était parti en vacances et est rentré un jour plus tôt que prévu. Matt et moi étions à poil sur le canapé après avoir… Voilà quoi, dis-je alors qu’un sourire se dessine sur mes lèvres en repensant à ce souvenir.

- Excellent, s’esclaffe-t-elle. Bon… Et à l’heure actuelle ?

- A l’heure actuelle, soupiré-je, j’ai merdé puissance dix… J’ai couché avec un autre pendant que j’étais amnésique, je me suis barrée quand j’ai retrouvé la mémoire… Autant de faits qui ne jouent pas en ma faveur.

- Hum… Ouais enfin tu as des circonstances atténuantes quand même et Matt le sait.

- On verra bien écoute. Matt refuse qu’on discute depuis son accident, je patiente mais à un moment il va falloir que ça sorte.

Sophia m’observe un moment puis attrape ma main sur le bar et la serre dans la sienne.

- T’es amoureuse hein ?

- Oui, dis-je sans même réfléchir. Et lui aussi. Enfin il l’était. C’est lui qui a parlé de truc sérieux alors que je n’osais pas. C’est Matt… Il est tellement attentionné, gentil, passionné et… Putain je suis carrément amoureuse ouais, y a pas photo, et j’ai une trouille bleue qu’il ne ressente plus la même chose à présent.

- Ça fait quoi de… Enfin ça doit faire bizarre de se rappeler de tout brutalement. Comment tu l’as vécu par rapport à tes sentiments pour Matt ? Tu t’en es rendu compte immédiatement ? Enfin… J’ai du mal à imaginer la chose en fait.

- Pour être honnête avec toi… Matt et moi on a couché ensemble avant que je ne retrouve la mémoire. C’est un peu ça qui a été l’élément déclencheur du retour de ma mémoire. On se tournait autour depuis un moment je crois, j’avais déjà une attirance certaine et même des sentiments pour lui je crois. Mais je ne sais pas… Tout a été très brouillon dans ma tête, une avalanche de sentiments contradictoires difficile à gérer. C’est pour ça que je suis partie…

- J’imagine bien. Enfin non, pas vraiment, rit-elle. Merci pour ton honnêteté et si tu as besoin, je suis là, tu le sais.

- Je sais bien oui, merci So’. Je vais aller filer un coup de main à Emilia pour la cuisine, tu restes ou tu viens ?

- Je viens, soyons de bonnes petites ménagères !

Je ris en filant en cuisine. Nous passons un moment agréable avec Emi et enchaînons les aller-retours en salle pour rassasier nos compères. Je finis par me servir un verre au bar et rejoins le vieux Jukebox dans un coin de la salle pour trouver une nouvelle chanson à passer.

Je sursaute en sentant un bras s’enrouler autour de ma taille. L’odeur de Matt imprègne mes narines alors que son torse se colle contre mon dos et que sa main presse ma hanche. Je sens sa chaleur à travers nos vêtements et sa barbe vient frotter délicieusement ma clavicule lorsqu’il m’embrasse sur la joue.

- A la tienne Chouquette.

- A la tienne Cow-boy.

Je tape mon verre de jus d’ananas contre sa bouteille de bière et bois une gorgée avant de le poser sur le Jukebox.

- Merci pour cette soirée.

Bien que son attention me fasse plaisir, j’ai encore en mémoire le moment qu’il a partagé avec les deux bimbos et ma gorge se serre. J’inspire profondément et me morigène de ne pas avoir confiance en lui alors qu’il n’a jamais rien fait qui puisse me laisser penser qu’il me tromperait. Sauf que moi je l’ai trompé avec Romain entre temps…

- Y a pas de quoi, un anniversaire se fête. Et puis je n’ai pas fait ça seule, Paul était de la partie aussi.

- Je sais bien mais tu es la seule que j’ai envie de prendre dans mes bras comme ça, rit-il. Enfin j’ai remercié Paul évidemment mais je n’ai aucune envie de sentir son popotin à lui contre moi. Une accolade virile rapide était largement suffisante, je préfère avoir ton joli petit corps qui bouge contre le mien.

- A quoi tu joues Matt ?

- Je ne joue pas Léa, jamais avec toi, soupire-t-il.

- Et avec Barbie et sa copine ?

- Qui ça ? Ah, elles ? s’esclaffe-t-il en nous tournant vers les bimbos. Elles sont jolies oui, certes.

Je me crispe entre ses bras et tente de me défaire de son étreinte mais Matt resserre sa prise autour de ma taille et pose ses lèvres sous mon oreille. Un frisson me parcourt et je réprime un gémissement quand le visage de Paul se matérialise devant moi et qu’il me prend dans ses bras, incluant Matt dont il tape le dos virilement.

- J’adore les câlins ! rit Paul.

- Moi aussi, mais pas avec lui, ronchonne Matt dans mon cou.

- Ne fais pas ton ronchon Matt, je ne vous propose pas un plan à trois non plus !

Je ris également et repousse les deux énergumènes qui me servent de colocataires pour récupérer mon verre et le finir. Paul glisse une pièce dans la fente du jukebox et se gratte le menton en regardant les titres disponibles. Il jette un coup d’œil à Matt avec un sourire en coin puis appuie sur l’un des boutons. Un vieux rock’n’roll rythmé sort de la boîte, me faisant sourire. Il repousse deux tables vides et me tend la main avec un sourire enjôleur.

- Tu danses, coloc ?

- Volontiers !

Paul me prend mon verre des mains et le pose sur une table avant de m’entraîner dans un rock endiablé, me faisant virevolter dans tous les sens avec une aisance déconcertante qui me tire des éclats de rire bienvenus après ces derniers mois de galères.

Matthew

J’observe Paul et Léa danser en rythme et me surprends à sourire en entendant ma colocataire éclater de rire. La piste improvisée se remplit, le Chef Jones invite sa femme à danser, Louis fait de même avec Emilia et je vois Tara, alias Barbie blonde selon Léa, approcher en me souriant. Elle n’a pas le temps d’arriver que Paul m’interpelle et fait tourner Léa dans ma direction. Je la réceptionne contre moi, glisse une main au creux de ses reins, attrape sa main et la fais tourner à plusieurs reprises. Sa jupe virevolte et nous dansons en riant. Je la récupère autant que possible contre moi, m’imprégnant de son odeur et de sa joie de vivre. Je serre un peu les dents, les douleurs de mon accident encore présentes, et je sens bien que Ma douce se retient, mais nous profitons de l’instant. Plusieurs musiques s’enchaînent et je ne la lâche pas, jusqu’à ce qu’elle m’entraîne jusqu’au bar pour se servir un grand verre d’eau et me sortir une bière.

- Tu m’as épuisée, dit-elle en riant à nouveau.

- Je crois que ça ne t’a jamais dérangé que je t’épuise, dis-je en lui faisant un clin d’œil.

Ses joues déjà colorées par nos danses prennent une teinte rouge encore plus visible, ce qui me fait sourire. Je l’enlace et niche mon visage dans son cou. Ses mains glissent dans mon dos et elle soupire alors que je la serre contre moi.

- Je ne joue pas avec toi, et Barbie et sa copine ne m’intéressent absolument pas Chouquette.

- C’est faux, tu joues depuis que tu t’es réveillé à l’hôpital Matt.

Léa s’échappe de mon étreinte, repousse la planche à découper sur le plan de travail du bar et s’y assied avant de plonger à nouveau son regard dans le mien. Ses yeux sont tristes, emplis de doute et un pointe de culpabilité prend place dans ma poitrine.

- Tu me tiens à distance depuis le jour où je suis revenue, refuses de discuter de ce qui se passe ou s’est passé entre nous. Tu ne me donnes pas la chance de m’expliquer. Et à contrario, tu passes ton temps à me reluquer, à prendre soin de moi de la façon la plus discrète qu’il t’est possible de le faire et ce soir…. Ce soir bordel, soupire-t-elle. Ce soir tu me prends dans tes bras, tu me serres contre toi comme si de rien n’était. Je ne sais plus sur quel pied danser.

Je soupire à mon tour. Elle a raison, c’est clair. Je la maintiens autant que possible à distance et pourtant je ne peux m’empêcher de me repaître d’elle dès que possible, visuellement la plupart du temps, et physiquement ce soir à n’en point douter. Mais elle ne sait pas elle. Elle ne sait pas ce que cela fait, elle ne sait pas ce que j’ai ressenti quand elle est partie.

- Tu ne voulais pas en parler tout à l’heure et je crois que tu avais raison, pas ce soir.

- On est d’accord, pas ce soir. Très bien, alors quand ? Quand Matt ? Quand est-ce que je vais pouvoir m’excuser sans que tu me coupes la parole en me disant que tu n’es pas prêt ? Quand est-ce que je vais pouvoir t’expliquer tout ce que j’ai pu ressentir en retrouvant la mémoire ?

- Pas maintenant, c’est sûr.

Je l’embrasse sur le front avant de tourner les talons pour rejoindre Paul près du Jukebox. Cette soirée doit rester festive, je n’ai aucune envie de me prendre la tête avec elle maintenant.

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