Chapitre 15

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Matthew

- Je t’attends dans la réserve !

La voix de Léa claque à mon oreille. C’est un murmure, mais cela n’enlève rien à son ton autoritaire. J’acquiesce en enlevant mes bottes au pied du camion ainsi que mon manteau, puis mon pantalon. Ma colocataire a déjà tourné les talons alors que l’équipe se dévêtit de ses vêtements anti-feu en silence. Oui, je sais que j’ai merdé. Et à cet instant, je crois que j’ai plus peur de Léa que du Chef Jones.

Je me dirige vers la réserve sans trop traîner pour éviter d’accentuer sa colère, ouvre la porte et suis accueilli par le dos de Léa dans sa tenue d’ambulancière. Refermant la porte, je m’y adosse et soupire.

- Je sais.

- Tu sais ? dit-elle une octave trop haute en se retournant. Tu aurais pu te faire tuer ! T’es malade ou quoi ?

- Le mec était dingue, il aurait pu te tuer toi, dis-je calmement.

- Je faisais mon boulot ! Je sais ce que j’ai à faire devant une personne qui pète un plomb, je ne risquais rien !

- Ah ouais ? Et tu l’avais vu le couteau dans sa botte ?! m’énervé-je à mon tour.

- Je… Non… Mais…

- J’ai juste fait ce que j’avais à faire, la coupé-je.

- Tu l’as plaqué au sol et lui as foulé le poignet, Matt !

- J’aurais pu le tuer de mes propres mains s’il t’avait fait du mal ! grondé-je.

Léana me dévisage un instant puis s’approche rapidement, se met sur la pointe des pieds et se pend à mon cou. Elle fond sur ma bouche et m’embrasse avidement. Cela n’a rien de doux. C’est brutal, brouillon, presque désespéré mais putain, qu’est-ce que c’est bon ! Mes bras se referment instinctivement autour de sa taille et je la serre contre moi en répondant à son baiser. Ma bouche part à l’assaut de la sienne, ma langue vient caresser ses lèvres charnues. Elle gémit contre moi et entrouvre la bouche, permettant à ma langue de s’y insinuer pour venir jouer avec la sienne. Nous nous dévorons mutuellement alors que ses mains glissent dans mes cheveux et tirent légèrement dessus, m’arrachant un grognement. Je suis tout à coup à l’étroit dans mon pantalon d’uniforme, et bien trop habillé. Je rêve, une fois encore, de sentir son corps nu contre le mien, sa peau douce et chaude contre la mienne.

Lorsqu’elle recule, le froid s’insinue en moi et son regard affolé me broie les tripes. Léa détourne les yeux puis me tourne le dos et fait les cent pas dans la petite réserve qui a vu notre désir enfin s’assouvir, en partie du moins.

- Pardon, je ne sais pas ce qui m’a pris, marmonne-t-elle sans me regarder.

- Léa…

- Je suis désolée, on est colocs et amis, jamais je n’aurais dû… Tu m’as foutu la trouille, je…

- Léa !

- Quoi ? s’énerve-t-elle en me faisant face.

J’approche lentement et viens caresser sa joue. Elle ferme les yeux et inspire profondément. J’en profite pour approcher mes lèvres des siennes, venant les effleurer doucement. Ma coloc tente de reculer mais mon bras se referme autour de sa taille et je colle son corps contre le mien.

- On ne peut pas Matt…

Je ne réponds pas à cette affirmation, je le sais, et mordille sa lèvre inférieure. Ses mains viennent se poser sur moi, une sur mon avant-bras, l’autre sur mon torse. Je resserre ma prise autour de sa taille en tirant légèrement sur sa lèvre. Ses yeux sont toujours fermés, sa respiration est saccadée. Je sais que je lui plais, qu’elle a envie de moi, cela fait des semaines que l’on joue au chat et à la souris tous les deux et je n’en peux plus. J’ai follement envie d’elle. Je veux sentir sa peau contre la mienne, les battements de son cœur s’accélérer, son corps trembler sous le mien. Je veux l’embrasser jusqu’à épuisement, la caresser, la goûter, la faire jouir.

****

- Matt, tu m’écoutes ?!

Je suis tiré de mes pensées par Paul qui me crie dessus. Léa vient de partir s’enfermer dans la réserve en rentrant d’une intervention. Si ses souvenirs ne reviennent pas, les miens refluent constamment, et la réserve me rappelle systématiquement notre premier baiser.

- Désolé… J’y vais.

Je me dirige vers la pièce qui a vu se concrétiser des semaines de rapprochement, tourne la poignée et entre doucement. La nouvelle tanière de ma colocataire est plongée dans l’obscurité. En allumant, je découvre Léa assise dans un coin, les genoux remontés sous son menton, ses bras entourant ses jambes. Ses joues sont trempées, son regard est dans le vide. Elle qui, habituellement, fait en sorte de se cacher dès qu’elle flanche, ne bouge pas d’un pouce quand j’approche et m’agenouille devant elle. Je caresse sa joue avant de m’asseoir, les jambes de part et d’autre de son corps, face à elle.

- Léa…

Toujours aucune réaction. Elle a semble-t-il arrêté de pleurer. J’essuie doucement ses joues de mes pouces puis attrape son menton pour relever légèrement sa tête. Son regard plonge dans le mien et ses yeux déjà rougis se remplissent à nouveau de larmes. Léana se jette sur moi, me grimpant littéralement dessus, ses jambes autour de ma taille. Elle niche son nez dans mon cou et tremble contre moi. Je la serre et la berce doucement pendant un temps que je ne peux déterminer, tentant d’apaiser sa souffrance.

- Je suis là ma douce, je suis là.

Je m’en veux presque d’avoir pensé à notre premier baiser quand je vois dans quel état elle est actuellement. Personne n’est préparé à voir l’horreur d’un meurtre. La femme qu’elle a tenté de secourir a été torturée puis battue à mort par, semble-t-il, son mari. Autant dire qu’en plus de la scène de crime, de ses tentatives pour sauver cette femme même s’il était trop tard, elle a dû se prendre en pleine face sa propre histoire, cet ex violent. Peut-être s’est-elle même vue à la place de la victime ? Toujours est-il que Sophia a envoyé un message à Paul de la scène de crime pour nous prévenir qu’elles rentraient et que Léa était en mauvais état. Je ne peux que confirmer, ma douce est bien mal en point pour abaisser ainsi les murs qu’elle a bâtis pour ne pas montrer ses faiblesses. Il n’y a rien à dire pour apaiser sa souffrance, rien à faire pour effacer les images qui se sont imprimées dans ses rétines et qu’elle reverra encore et encore. Je me contente de la tenir serrée contre moi, caressant son dos et la laissant déverser sa peine jusqu’à ce que son souffle s’apaise.

Je glisse un bras sous ses fesses et me lève en la maintenant contre moi. Je remercie la musculation et les exercices physiques nécessaires à ma condition de pompier car, même si ma belle au bois dormant n’est pas bien lourde, se relever sans faire de geste brusque et sans basculer n’est pas des plus facile. Je sors de la réserve et tombe sur Sophia et Paul, accompagnés du Chef Jones et de Théo.

- Les filles sont en indisponibilité, dit tout bas notre Chef et j’acquiesce. Ramène-la chez vous, je te libère pour le reste de la garde.

- Merci Chef. Paul, tu veux bien aller chercher nos affaires ?

- Tout est prêt, ma voiture est à votre disposition vu que tu es venu en moto.

- Merci mon pote.

Léa resserre son étreinte autour de mon cou alors que je me dirige vers la voiture, suivi par Sophia et Paul. Je la dépose aussi doucement que possible sur le siège passager mais ma belle refuse de relâcher son étreinte.

- Léa, tout va bien, je te ramène à la maison.

- Ne me laisse pas Matt, s’il te plait, dit-elle en ouvrant les yeux.

- Je suis là, je ne vais nulle part.

Je dépose un baiser sur son front, referme la porte et fais le tour de la voiture. Sophia m’y attend.

- Prends soin d’elle. Fais-lui couler un bain, ne la laisse pas sans manger et, Matt, ne l’oblige pas à en parler, pas aujourd’hui, d’accord ?

- Compte sur moi.

Sophia me prend dans ses bras et je la serre contre moi.

- C’était terrible là-bas, dit-elle en frissonnant. Je l’ai vue se décomposer à l’instant où elle a compris que c’était son mari qui lui avait fait ça. Je…je ne l’avais jamais vue comme ça mon dieu.

- Ça va aller, c’est une battante, elle va reprendre le dessus.

Sophia acquiesce et me relâche avant d’essuyer ses joues baignées de larmes. Elle aussi a semble-t-il était choquée par la scène dans cette cave. Je n’ose imaginer ce que cela peut faire, j’espère ne jamais le découvrir. Mais notre amie semble tout aussi affectée par la réaction et l’état de Léa.

- Prends soin de toi Sophia, repose-toi et… Si tu as besoin d’en parler, tu peux compter sur moi.

- Je sais Matt, merci.

- Tu veux que je te ramène chez toi ?

- Ça va aller, je…je n’ai pas très envie de rester seule, je vais rester ici encore un peu.

- Viens avec nous à la coloc.

- C’est gentil mais…ça va aller, ne t’inquiète pas pour moi.

- Sophia soupiré-je en attrapant sa main. Allez, va chercher tes affaires et monte.

Elle me sourit légèrement et acquiesce avant de se diriger vers la caserne. Je m’engouffre dans la voiture et la démarre avant de tourner les yeux sur Léa qui se penche pour venir poser sa tête contre mon épaule. Elle pose sa main sur ma cuisse, dans ce qui me semble être une recherche de contact avec la réalité. Sophia revient et monte à l’arrière avant de s’attacher, le regard dans le vague par la vitre. Je nous ramène à la maison sans rompre le contact avec Léa, ma main posée sur le sienne, dans le silence assourdissant de l’habitacle. Léana ne dort pas, mais elle ne bouge pas non plus. Elle reste silencieuse, les yeux fermés. En arrivant à la coloc, elle sort de la voiture avant que j’aie coupé le moteur, ouvre la grille, monte les quelques marches du perron et nous y attend. Sophia la suit de près et la prend dans ses bras. Je vois Léa se tendre, elle doit réaliser qu’elle a baissé les armes et peut-être regretter. Je soupire lourdement et sors à mon tour pour les rejoindre. J’ouvre la porte et les suis dans la cuisine. Léa sert deux grands verres d’eau et en tend un à Sophia, boit le sien d’une traite puis se dirige brusquement vers les toilettes pour y vomir. Je la suis, reste à proximité et lui tends un mouchoir quand elle se redresse.

- Tu veux prendre un bain ?

- Non, ça va.

- Une douche ?

- Je… Non… Si, peut-être… Oui… Je vais aller me doucher.

Je la laisse ressortir de la pièce après avoir tiré la chasse et l’accompagne jusqu’à la salle de bain. Léa se rince la bouche puis se brosse les dents mécaniquement, avant de se déshabiller sans aucune pudeur devant moi, ce qui me met la puce à l’oreille sur son état. Je me retourne pour lui donner l’intimité nécessaire, même si je peux l’apercevoir dans le miroir au-dessus de la vasque. Elle se glisse sous la douche et ne sursaute même pas lorsqu’elle allume l’eau. Je sors alors qu’elle règle la température et patiente en préparant des sandwichs. Sophia s’est installée sur le canapé, encore vêtue de son uniforme. Je file dans la chambre de Léa, à la recherche d’un tee-shirt et d’un bas de jogging pour elle avant de m’asseoir à ses côtés en lui tendant un sandwich.

- Je n’ai pas faim, dit-elle en prenant malgré tout le sandwich.

- Ne la laisse pas sans manger, c’est ce que tu me conseillais pour Léa. Ça vaut pour toi aussi.

Elle soupire et croque dans le sandwich sans manifester d’appétit.

- Tu veux en parler ?

- Non, il n’y a pas grand-chose à dire en vérité, soupire-t-elle. Je ne comprends pas comment un être humain peut faire subir ça à un autre, c’est tout.

Nous restons silencieux, perdus dans nos pensées. Lorsque je constate, au bout d’une grosse vingtaine de minutes, que l’eau coule encore, je frappe à la porte de la salle de bain.

- Tout va bien ?

N’obtenant aucune réponse, je me tourne vers Sophia qui me regarde en haussant les épaules. J’entre et trouve Léa assise dans la même position que dans la réserve à la caserne, dans la douche, l’eau lui coulant dessus. Elle ne bouge pas plus que tout à l’heure et ne répond pas à mes sollicitations, alors je me déshabille, ne gardant que mon boxer, et entre dans la douche pour la soulever et l’en sortir. Je l’assieds sur le meuble du lavabo alors qu’elle se laisse faire telle une poupée de chiffon, récupère une grande serviette et l’enroule dedans avant de faire de même avec ses cheveux. Je la frictionne et la sèche, puis m’attelle à ses cheveux, que je finis par brosser. Puis je la porte à nouveau et l’emmène dans son lit. Je l’y dépose, fouille à nouveau dans son armoire pour en sortir des fringues et m’assieds à ses côtés.

- Habille-toi ma belle, murmuré-je doucement.

Léa se redresse, attrape le tee-shirt que je lui tends et l’enfile. Elle prend le legging posé à ses côtés, enfile difficilement les jambes et se soulève à peine pour le remonter sur ses hanches avant de se recoucher. Je la couvre de ses draps et l’embrasse sur le front.

- Ça aurait pu être moi Matt, souffle-t-elle dans un murmure. J’avais une femme morte sous mes yeux, torturée et battue, et tout ce que j’arrivais à me dire c’est que ça aurait pu être moi…

- Léa…

Elle se recroqueville sous la couette et soupire lourdement. Mon cœur se fendille de la voir si vulnérable.

- Je reviens, ne bouge pas.

Je sors de la chambre et monte à l’étage pour enlever mon boxer mouillé. J’enfile un bas de jogging et un tee-shirt puis redescends en vitesse. Sophia est sous la douche, j’entends l’eau couler. Je frappe à la porte, l’entrouvre sans toutefois entrer.

- Sophia ?

- Oui ?

- Ça va ?

- Oui oui, ne t’inquiètes pas pour moi.

- Je suis dans la chambre avec Léa, rejoins-nous si tu veux. Sinon, tu peux prendre ma chambre.

- Ça marche, j’espère que tes draps sont propres !

Je souris, referme et retourne dans la chambre où je tire les rideaux, ne laissant passer qu’un filet de lumière pour éviter le noir complet. Je me glisse sous la couette aux côtés de Léa et me colle contre son dos en l’enlaçant. Elle soupire et se serre davantage contre moi, son corps se lovant tout naturellement contre le mien. Je lui murmure des paroles que j’espère apaisantes, lui intimant de ne pas s’en vouloir d’avoir eu de telles pensées, qu’elle n’aurait rien pu faire pour cette femme et que je suis là pour elle. Léa semble se détendre petit à petit. Son corps crispé se relâche et sa respiration ralentit alors qu’elle s’endort à nouveau contre moi.

Je ne sais pas combien de temps je reste éveillé, mais je vois la lumière de la salle entrer dans la chambre. Sophia nous rejoint. Elle ouvre doucement la couette du côté de Léa et se glisse dans le lit. Je recule légèrement, attire Léa contre moi pour laisser davantage de place à So, qui me remercie d’un sourire. Elle se colle quasiment à nous en soupirant. J’attrape sa main et la serre dans la mienne. Elle finit par s’endormir à son tour, et je les rejoins après un temps infini.

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