Chapitre 9

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Léana

Le feu est déjà bien engagé dans la maison dans laquelle s’est engouffrée la brigade. Peter, qui remplace Sophia pendant son congé, et moi attendons à quelques mètres avec un brancard. Les premiers blessés, un couple de personnes âgées, sont soignés par l’ambulance qui nous a précédés sur les lieux. Nous sommes là en soutien, mais selon le petit papy, il n’y a plus personne à l’intérieur.

- Tour des lieux terminé, il n’y a plus personne. On arrose ! crie Matt dans la radio.

Tout le monde se détend. S’il y a bien une chose qui est terrible dans ces incendies, c’est l’angoisse de découvrir un blessé ou pire, un mort. On aimerait tous n’avoir à intervenir que pour tuer les flammes. Les pompiers s’activent pour éteindre le feu alors que nous ramenons la civière à l’ambulance.

- Je déteste me déplacer pour rien, soupire Peter.

- J’aimerais me déplacer à chaque fois pour rien, ça voudrait dire qu’il n’y a pas de blessés.

Peter est plutôt cool. Mais c’est un petit jeune. Il a vingt-trois ans, débarque dans l’ambulance et a besoin d’action. Personnellement, je commence à en avoir vu suffisamment pour prier de me tourner les pouces durant mes gardes. J’aime sauver des vies, du moins participer à les sauver, mais ça veut dire qu’il y a le risque de mort et ça, c’est quelque chose qui m’est douloureux.

- Bordel, ça a pété ! On a un blessé ! s’écrit Théo dans la radio.

- Merde. Peter, bouge !

- J’arrive, j’arrive !

Je redescends le brancard de l’ambulance avant même que Peter n’ait bougé et me précipite à l’entrée du bâtiment. Mon cerveau tourne dans tous les sens. Pourvu que ça ne soit pas l’un des nôtres, pourvu que ça ne soit pas un enfant, pourvu que… Que ce soit une erreur ? Oui, ce serait tellement mieux. Ou rien de grave, juste une petite égratignure de rien du tout. Merde, et si c’était Matt ou Paul ? Au loin dans le bâtiment, j’aperçois deux pompiers qui en maintiennent un sur leurs épaules.

- Dégage de l’entrée Léa c’est trop dangereux ! hurle Matt dans la radio.

Je recule jusqu’à ressortir de la maison, je ne m’étais même pas rendu compte de m’être avancée à l’intérieur, puis me décale légèrement de la porte pour éviter le souffle si une nouvelle explosion retentit.

- Mon dieu Paul ! crié-je alors que Théo et Matthew le déposent sur le brancard. Qu’est-ce qui lui est arrivé ?

Paul est inconscient. Il a une plaie au niveau de la tempe gauche qui saigne énormément. J’ouvre sa veste et écoute sa respiration avec mon stéthoscope. Sa respiration est erratique, son torse se soulève bruyamment.

- Il était proche de l’explosion, le souffle l’a envoyé contre un mur, soupire Théo. J’étais plus loin, je suis juste tombé au sol. Merde, je lui avais dit d’y aller molo !

- Allez-y, on gère, répond Peter en enlevant le casque et le masque de Paul.

- Hé, les gars, les interpelé-je sans quitter Paul des yeux. Faites attention à vous.

****

Peter et moi rejoignons la brigade dans la salle d’attente des Urgences. Nous avons dû intervenir auprès d’un homme ayant fait une crise cardiaque, à peine Paul déposé ici, avant de nous mettre en indisponibilité. Tous ceux qui étaient de garde cette nuit sont présents, exténués, le regard dans le vague, installés dans les fauteuils, encore dans leur tenue de feu.

- Des nouvelles ?

- Aucune pour le moment. Il est parti au bloc, c’est tout ce que l’on sait, soupire le Chef Jones.

- Qui l’opère ?

- Le Docteur Cortes.

J’acquiesce en baillant. Cette garde va signer mon arrêt de mort. J’ai réussi à cloisonner pendant que nous nous occupions du patient tout à l’heure mais dès que j’ai pris le volant, mon esprit s’est mis à imaginer les pires choses concernant Paul. Il est devenu un être essentiel à ma vie. Je ne peux pas m’imaginer la coloc sans lui, la caserne sans lui, ma vie sans lui.

- Léa, viens t’asseoir, tu as l’air épuisée, m’interpelle Matt en se levant pour me laisser la place sur le fauteuil où il était installé.

- Ça va, merci. Je ne pense pas pouvoir tenir en place, dis-je en regardant mon pied battre la mesure sur le carrelage blanc.

- Viens-là, arrête de discuter tu veux ?

Il me prend la main et me tire jusqu’au fauteuil, où il m’assied comme une enfant. Je soupire en levant les yeux au ciel, mais sa main qui enserre la mienne alors qu’il s’assied sur l’accoudoir du fauteuil me réchauffe et me ramène définitivement à la réalité présente.

- Matt… Il ne peut rien lui arriver hein ? La coloc sans Paul, c’est juste impossible, murmuré-je.

- Tu as fait le premier examen, tu es plus à même de juger de son état que moi.

- Et s’il y a quelque chose que je n’ai pas vu ?

- Léa, arrête de te prendre la tête je t’en prie.

- Je ne peux pas Matt. C’est déjà compliqué quand ce sont des inconnus, mais quand il s’agit de la famille c’est… tellement angoissant.

Je sens la peur me submerger, insidieuse et brutale. Je me lève avant de craquer complètement. Hors de question de montrer davantage de faiblesse à tous mes collègues. Il faut que je prenne l’air, que je me reprenne. Je sors sans tenir compte de l’appel de Matthew et m’éloigne de l’entrée des Urgences pour m’effondrer sur le premier banc de libre à proximité.

Matthew

- Laisse-la prendre l’air Wilson, me dit le Chef Jones en posant sa main sur mon épaule. La nuit a été longue pour toute la brigade.

- Je vais aller chercher du café pour tout le monde, il faut que je bouge aussi.

Le Chef acquiesce alors que je me dirige vers la salle de repos des employés de l’hôpital. Je connais ce lieu comme ma poche pour en avoir arpenté les couloirs à de trop nombreuses reprises. Lors de l’accident de Léana il y a quelques mois, le seul lieu où je me dirigeais, hormis sa chambre, était la salle de repos pour y prendre un thermos de café.

- Matt ?

- Salut Veronica. Tu vas bien ?

- Oui et toi ?

Veronica est infirmière aux Urgences. Elle m’a vu dans un sale état lors de l’accident de Léa. Elle m’a été d’un grand soutien juste après la découverte de son amnésie. Son visage avenant et sa gentillesse font de cette femme d’une cinquantaine d’années aux cheveux bruns parsemés de gris, une confidente hors-pair. Sans compter qu’une accolade contre son corps bien en chair est d’un grand réconfort. Je lui ai tout dit concernant Léana et moi, et je ne regrette pas. Je sais que mon secret est bien gardé. J’avais besoin d’en parler avec le corps médical, d’avoir l’assurance qu’elle pourrait retrouver la mémoire, de déverser pour me faire à l’idée que la femme que j’aime ne se souvenait plus que nous étions davantage que des collègues.

- On a connu mieux. Paul est au bloc.

- Oh… Qu’est-ce qui s’est passé ?

- Une explosion dans un bâtiment ravagé par les flammes.

- J’espère que ça va aller pour lui. Tu es venu chercher du café ?

J’acquiesce alors qu’elle s’active déjà en récupérant des gobelets en plastique sous l’évier et un thermos sur l’égouttoir. En moins de temps qu’il n’en faut pour dire ouf, je me retrouve avec un plateau contenant thermos, lait, sucre et café, gobelets et cuillères en plastique.

- Tu es un ange Vero !

- Je sais mon grand. Si tu pouvais en parler au Big boss et appuyer ma demande d’augmentation, ça m’arrangerait, rit-elle.

- J’y penserai, promis !

- Comment ça va avec Léana ?

- C’est… compliqué. Très compliqué pour moi en tout cas. On a retrouvé une certaine complicité mais elle vit sa vie, elle sort avec Sophia. Et elle a ramené un homme à la maison…

- Merde, je suis désolée Matthew.

- Pas autant que moi, soupiré-je. Bon, je file avant que mes collègues ne deviennent des Gremlins à force de manquer de caféine.

- Tiens-moi au courant pour Paul, d’accord ?

- Ça marche, compte sur moi.

Je rejoins mes collègues dans la salle d’attente et dépose le plateau sur l’une des tables basses qui s’y trouve. Avant que tout le monde ne se rue sur le café, je sers deux gobelets et me décide à partir à la recherche de Léa, qui n’est toujours pas revenue. Le Chef peut dire ce qu’il veut, je ne vais pas la laisser seule. Je sors du bâtiment et la repère, assise sur un banc un peu plus loin. Mon cœur se serre en voyant les larmes sur son beau visage. Je m’arrête à quelques mètres d’elle, je ne suis pas sûr qu’elle veuille qu’on la voie pleurer. Léana a l’air si frêle et malheureuse à cet instant que je n’ai qu’une envie, la prendre dans mes bras et la rassurer. Mais je la connais suffisamment pour savoir qu’elle préfère être seule et reprendre pied par elle-même plutôt que de montrer ses émotions. A Matthew, le petit-ami, elle lui permettait de voir tout cela et s’appuyait sur lui. A Matthew, l’ami, elle n’en est pas encore là.

Je me décide à bouger lorsque je la vois essuyer énergiquement ses joues et se redresser. C’est tout elle, la Guerrière est de retour. Après un moment de faiblesse, elle se reprend et redevient forte pour tout le groupe. Comme lorsque nous avons déposé Paul sur son brancard tout à l’heure, elle cloisonne ses émotions dans un coin de sa tête et de son cœur pour assurer dans son boulot et son rôle de collègue et amie.

Je m’assieds à ses côtés et dépose un gobelet plein de café entre nous avant de boire une gorgée du mien.

- Des nouvelles ?

- Aucune pour le moment.

- Merci pour le café, soupire-t-elle en l’attrapant et en buvant une longue gorgée.

Nous restons là un moment, en silence, le regard perdu au loin. Je soupire de soulagement lorsqu’elle attrape ma main pour se glisser sous mon bras et poser sa tête contre mon épaule. Je crois que j’en avais bien besoin. Je la serre contre moi en posant ma joue sur le haut de son crâne.

- Je crois que j’ai compris à quel point Paul et toi êtes essentiels à ma vie à l’instant où je l’ai vu sur le brancard.

- Tu peux me croire, c’est réciproque. Tu ne t’en souviens pas mais, quand tu es rentrée en France il y a deux ans pour Noël, tu nous as invités à venir avec toi. Si Paul n’est pas venu parce qu’il avait déjà quelque chose de prévu avec sa famille, il a appelé tous les jours pour prendre des nouvelles.

- Et toi, tu es venu ?

- Ouais, vous êtes ma famille Léa. Ça m’a fait plaisir de rencontrer tes proches et de partager ces moments avec toi. Et puis, ce n’est pas comme si j’avais une famille avec qui partager les fêtes. Je me suis senti bien avec les tiens, c’est comme si je faisais partie de votre cercle.

- Je suis sûre qu’ils t’ont adoré.

- Je crois que j’ai été adopté oui, ris-je.

- Je n’en doute pas une seconde. On devrait retourner à l’intérieur pour ne pas manquer Cortes.

J’acquiesce sans pour autant bouger. Je n’aurais pas dit non à quelques minutes de plus avec son corps contre le mien mais Léana a raison. Cependant, elle ne fait aucun mouvement non plus et je profite encore un instant du moment de répit que nous nous offrons.

Lorsque Léa se lève et brise le cocon serein que nous partagions, je la suis jusqu’aux Urgences et nous reprenons place sur le fauteuil, elle dedans, moi sur le dossier. Les gars sont tous silencieux, le regard dans le vague.

Le Docteur Cortes débarque quelques minutes plus tard, encore vêtu de son calot et de sa blouse chirurgicale. Nous nous relevons tous comme un seul homme et le rejoignons.

- Green est hors de danger. On a dû l’ouvrir pour réparer les dégâts causés par la côte qui appuyait sur son poumon droit. Il a une commotion cérébrale qui ne semble pas trop importante mais que nous devons surveiller.

- Le poumon n’est pas percé ? Pas d’autres dommages ? demande Léana dont la main s’est glissée dans la mienne de son initiative ou de la mienne, je ne saurais dire.

- Oui, nous n’avons repéré aucun saignement autre. Nous avons dû replacer trois côtes, cela sera douloureux et nécessitera un certain temps d’arrêt de travail mais ses jours ne sont pas en danger.

- Et cette commotion, elle peut causer des dégâts ? Une perte de mémoire ? questionne le Chef Jones.

- Je ne pense pas, c’est léger.

- Oui, ça l’était pour Léana aussi, soupire-t-il.

- Les antécédents sont différents.

- Quand pourrons-nous le voir ? interviens-je pour ne pas me remémorer une fois de plus l’horreur d’il y a quelques mois.

- Une infirmière viendra vous chercher quand il sera en état. Il est en salle de réveil pour le moment.

- Merci Fabian, soupire Léa en lâchant ma main pour enlacer Cortes, qui devient de suite moins sympathique à mes yeux.

- Je n’ai fait que mon boulot. Et nous avons été bien aidés par un bon premier diagnostic.

Cortes lui sourit de toutes ses dents. Encore un crétin en vue… Help !

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