Chapitre 26 : Pour l'honneur du pays (2/3)

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— Je vous croyais plus futés, se moqua-t-elle. J’étais déjà venue au sud de Temrick avec mes sœurs d’armes. Souvenez-vous, c’est pour cette raison qu’on m’a forcée à vous accompagner ! Mes camarades ont dû vite découvrir que toutes les prisonnières n’avaient pas été exécutées. Je suis flattée qu’elles aient pensé à moi ! Alors que…

Ralaia recula d’un pas sans relâcher son doigt si longtemps maintenu. Son regard oscillait entre la guerrière et moi. Même elle me prenait pour un gars dangereux ?

— Tais-toi ! vociféra-t-elle. J’ai empêché Gurthis de t’en prendre à toi alors que j’étais consciente de ta fourberie. Tu avais tout prévu, n’est-ce pas ?

— Rien de ce que je dirai ne te convaincra, répliqua Elmaril.

— Avoue-moi ce qui t’empêche de tirer ! tonnai-je.

Pitoyable archère ! Les sentiments ne fourraient pas leur nez chez les militaires dignes de ce nom ! Quoi, ils s’accaparaient aussi de moi ? Non… Non !

La valeureuse tireuse rangea sa flèche dans son carquois en gardant l’arc dans le creux de sa main. Pour quelle foutue raison la conseillère l’avait-elle privilégiée et pas moi ? On ne confiant pas un rôle aussi important à une paysanne dont les parents créchaient dans des huttes ! Son cœur devait vaciller entre son patriotisme défaillant et sa lointaine famille. Mes potes, eux, étaient des purs Ertinois !

— Juste avant notre réunion, murmura Ralaia, Dratia m’a imposée une autre condition. Cette compagnie comportait dix personnes. Nous représentions chacun notre royaume au-delà de notre utilité propre. Que nous le voulions ou non, les clans guerriers en font aussi partie, c’est pourquoi Elmaril avait sa place parmi nous.

Je faillis cracher ma morve en me courbant. Bordel de merde, ses instructions provenaient du roi en personne ? Je savais qu’il n’avait pas la jugeote de sa mère, mais là, ça relevait de la stupidité ! Ses ancêtres se retourneraient s’ils apprenaient ce qu’avait manigancé leur descendant. Les clans guerriers faisaient partie de notre pays ? On les chassait depuis deux cents foutues années !

Et pendant tout ce temps à me voir m’agiter, incapable de me tenir droit, Ralaia s’interrompit, plaidant l’innocence ou une foutaise du genre. C’était moi le timbré, après ça ? Un nigaud, plutôt ! Aucun autre soldat n’aurait cru que cette expédition serait bonne pour l’Ertinie ! Elmaril le savait, voilà pourquoi elle nous narguait de son sourire !

— Ton rôle était de nous protéger d’elle, reprit ma consoeur. Le mien était de la protéger de vous. Selon la conseillère, notre roi désirait que notre rencontre avec les Nillois se déroulent de la meilleure façon possible. Notre compagnie devait donc représenter honnêtement notre pays et assumer la présence des clans guerriers.

— Et tu as accepté sans broncher ? lui reprochai-je. Il y avait tant d’autres manières… Emmener une sauvage avec nous… On aurait pu simplement leur avouer après les avoir racontés. On aurait pu leur dire que les brillants rivaux n’arrivaient pas à vaincre des rebelles de leur propre pays avec une armée bien plus puissante… Et dans tous les cas, ils nous auraient pris pour des faibles.

— Je n’avais pas le choix ! Si j’avais refusé, ils auraient choisi quelqu’un d’autre ! Contrairement à toi, j’avais l’espoir de mettre fin à cette lutte insensée contre les guerriers ! Ils reviennent toujours à la charge même en s’acharnant sur eux. Tu comprends, Gurthis ? Les massacrer ne fait qu’entraîner d’autres tueries, la violence est une boucle infinie ! Les méthodes ordinaires ne fonctionnaient pas, il fallait une autre solution. S’unir pour un objectif commun aurait pu débuter la réconciliation. Nous aurions tous renoué avec notre passé ! Notre passé envolée…

— Tout ce voyage… est basé sur un mensonge ?

Que la foudre me dégomme ! J’avais l’air si détraqué, à hurler comme un possédé, à voir mon monde s’émietter ? Nos peines, nos sacrifices avaient été oiseux ! Mais je pouvais… je pouvais encore me rattraper ! Achever ce pourquoi je m’étais pointé. Mon espadon était calé entre mes mains. Un geste et le sang dégoulinerait sur ces deux traîtresses. L’une sanglotait, l’autre se bidonnait. L’une se repentait, l’autre assumait.

Elmaril s’avança enfin, pétrie d’orgueil. Elle aussi s’impatientait.

— Tant d’honneur pour moi ! fit-elle. Je n’étais même pas informée de ce projet, c’est m’accorder trop d’importance. Je suis une représentante de l’Ertinie ? Intéressant… Mais dis-moi un peu, pourquoi tu n’as pas averti les autres ? Il n’y aurait pas eu de confusion.

— Ils n’auraient jamais accepté, dit Ralaia en ravalant ses larmes. Personne n’était prêt pour une alliance, pas même moi… Et si tu avais su, ça ne t’aurait pas rendu plus docile. Tu te serais attribuée un rôle que tu ne mérites pas, ça aurait entraîné des jalousies…

— Oh, tu penses que ça aurait été pire ? Que dirait ta sœur ?

— Ferme-la ! Tu es un danger pour notre groupe, j’aurais dû m’en rendre compte avant. Tu n’es pas différente des autres… Je dois renoncer à mon engagement.

— Sale hypocrite ! fulminai-je, manquant de tomber. Je me souviens encore… Les premiers jours de notre expédition, tu la critiquais pour sa violence et sa sauvagerie. Et là j’apprends que notre souverain lui-même a collaboré avec l’ennemi ? Il a rassemblé des citoyens sans leur raconter la vérité, tout ça pour protéger des clans responsables du massacre perpétuel de son peuple ? Mais qu’est-ce qui ne va pas dans sa tête ? Lui et son entourage se sont rendus complices de cette infamie, à commencer par sa conseillère principale, que je pensais raisonnable !

— J’en suis consciente ! se justifia la militaire. J’avais tort sur toute la ligne ! Je pensais être capable de placer mes appréhensions de côté pour enfin terminer ces massacres. Mais c’est impossible. Ces tribus ne sont que des bandits, des sauvages, des parjures, prêts à décimer des peuples entiers, y compris des enfants. J’ai été dupée. J’ai cru qu’il y avait de la bonté en eux et de la sagesse dans notre gouvernement.

À quoi rimait sa rédemption ? Personne, non, personne n’était innocent ! Il était trop tard pour les remords. Ralaia n’avait eu aucun scrupule à abandonner ses idéaux pour une cause méprisable. Je devais… Pourquoi les voix gueulaient dans ma tête ? J’avais l’impression que des pointes me transperçaient de tous les côtés !

— C’est facile de les juger maintenant ! reprochai-je. On ne rattrape pas un crime comme celui-là ! Tu as comploté avec eux… Tu as participé à ce mensonge.

— Moi aussi, j’avais confiance aux puissants ! Ils nous ont trahis pour leurs intérêts personnels. Ils se sont servis de l’armée comme des outils ! Je me demande même s’ils n’avaient pas prévu notre échec… Ça expliquerait tout.

— Nous avons été trahis… et tu en es la première responsable. Ils se sont servis de toi parce qu’ils savaient que tu n’étais pas attachée à notre pays. On ne renie jamais ses origines, hein ? Tu t’es engagée à l’armée par opportunisme et non par patriotisme !

— Arrête de douter de moi ! Elmaril est notre ennemie, pas moi ! J’ai fait des erreurs, mais jamais je n’ai voulu trahir l’Ertinie ! C’est mon pays, et je le défendrai jusqu’à…

Une félonne jusqu’à la moelle !

Je l’empalai par le dos, ma lame traversa tout son corps, et elle émergea par son torse, trempée de sang. Le sang d’une infidèle qui m’avait provoqué au-delà de mes limites. Son arc glissa de ses mains, puis sa respiration ralentit. Devant la guerrière impassible, je maintenais mon espadon, histoire que Ralaia morfle plus longtemps !

— Tu es le traître, maintenant…

Ses dernières paroles s’apprêtaient à me hanter pour toujours. Une de plus… Je la libérai de mon empalement et reculai. L’archère déloyale tomba à genoux, les bras relâchés, et ses forces la lâchèrent. Un ultime gémissement et elle s’écroula, ses membres remuant encore un peu. Il lui restait assez de vigueur pour relever sa tête… Ses yeux brillèrent de repenti.

Ralaia Alrishiel était morte. J’étais son meurtrier, son assassin, son bourreau… Voilà comment avait tourné le brave soldat servant sa patrie. Là j’étais coupable ! Aucun soldat n’était censé dessouder un des siens par derrière, et surtout pas de dos, comme un lâche, en prolongeant la sentence au maximum. ! Le sang coulait jusqu’à mes bras pendant que ces foutues vociférations foraient mon crâne !

Étendue, Ralaia paraissait sereine et innocente. Juste fauchée par le destin. Par moi ! J’avais pris part à la destruction de sa famille ! Et au carnage ravageant notre troupe… Ralaia ne verrait jamais les superbes contrées de la Nillie, elle ne croiserait jamais sa population et elle ne reviendrait jamais chez elle.. Temrick… C’était la faute de Temrick, pas la mienne ! J’avais pris la seule décision possible ! Qu’on arrête de beugler dans ma tête !

Mais ouais… Justice n’était pas rendue. Face à moi vivait encore la responsable de tout, celle qui avait assumé dès le départ. Elmaril zieutait le corps de Ralaia, toujours sans expression.

— La tuer avant moi était une erreur, dit-elle. Tu viens de te condamner.

Elle était vivante et en forme… Debout, fière, insolente. Chaque seconde qui s’écoulait constituait un affront à la mémoire des disparus. Camarades… J’allais me rattraper, combler cette injustice, ce que j’aurais dû faire depuis longtemps. Maintenant !

— Je te condamnerai avant ! menaçai-je.

Je levai de nouveau mon espadon et me ruai sur elle. La bougre arrivait déjà à m’esquiver. Les armes sifflèrent, de la roche se pulvérisa sous nos impacts. Pas question de la laisser reprendre son souffle ! Ma puissante lame contre son vulgaire bâton ! Toutes deux se cognèrent, se frappèrent avec intensité, s’impactèrent dans un puissant fracas. Mais Elmaril ne broncha pas, ne haussa même pas un sourcil ! Elle me rendit juste la pareille.

Trop rapide… Trop réactive… Sa lance tournoya autour d’elle avant de traverser ma défense. Je la repoussai avec mon soleret… et ça me fit encore mal à la jambe. Mes os fragiles… Un nouveau choc nous secoua, nous déstabilisa. Et on s’essoufflait déjà, surtout moi… Je ne claboterais pas !

Nos armes s’entrechoquèrent encore. Toute ma force devait être employée pour briser sa résistance et l’éreinter. Elle était contenue en moi, elle trimait aussi pour se débarrasser de cette engeance de la nature. Elmaril oc Nilam… Un nom prompt à durcir la haine de n’importe qui. Qu’elle arrête de se dégager de mes attaques !

Rien à faire… Sa lance accompagna ses mouvements, elle était vivace, elle anticipait tout ! Elle répliqua quand j’essayai de la larder. Cette rapidité, cet œil alerte, cette ouïe finie… Plus de cogitation, je perdais déjà le fil du combat ! Mes poumons bouffaient trop d’air, tout se calait dans ma gorge, et ce qui rentrait manquait de m’étouffer.

— Tu n’as pas le droit…, marmonnai-je. Pas le droit d’être en vie !

Je lui assénai des coups de plus en plus puissants ! Ne plus me foirer… Mais ma lame ne fit que frôler sa cuirasse alors que sa hampe m’avait encore heurté ! Je m’acharnai et j’encaissai. Ses taillades ne valaient que dalle ! Je finis par lui arracher une bande de cuir après en avoir bavé. C’était déjà une avancée !

J’allais continuer de m’entêter, une bonne fois pour toutes ! J’abattis son espadon sur son épaulière : ses pointes se brisèrent, ça entama même sa chair ! Mais sa grande taille, ses muscles, sa volonté, tout faisait d’elle une adversaire surpuissante, une ennemie digne de son nom ! Elmaril me chargea avant que la lacération l’atteigne vraiment. Ma lame dérapa contre sa foutue lance, puis je reculai, inspirai pour me maintenir en forme.

— Je vis parce que je me suis battue pour ! répliqua la sauvage entre deux halètements.

Elle fonça encore sur moi ! Son arme se coinça contre la mienne, elle était si proche de bousiller mon plastron ! Je crevasserais le sien avant, je ferais voltiger sa tête jusqu’au bas de la pente ! Il fallait juste parvenir à déjeter son bâton ! Impensable… Il restait agrippé aux pognes d’Elmaril.

Sa résistance rencontrait forcément des limites ! Je les dépasserais en abattant ma lame, encore, toujours ! Les impacts provoquèrent étincelles et cliquetis, ce qui ne le secouait pas assez ! D’où elle tirait cette endurance ? J’allongeais toute ma puissance !

La patience payait enfin ! Ses bras et jambes tremblèrent, sa lance s’inclina et son visage se lustra de sueur. Elle était proche de s’écrouler, je la voyais s’affaiblir ! Mais j’avais dégusté, moi aussi.

Une ruse, une manœuvre, une tromperie ! On verrait bien qui ricanerait à la fin. J’élevai mon espadon, j’allais trancher sa cervelle ! Mon ennemie jaillit encore sur moi, plongea dans ma garde ouverte et y planta sa lance. Argh ! Un râle s’échappa de ma bouche… Pas empalé, j’avais esquivé de justesse au mépris de mon espadon qui dégringolait la pente.

Elmaril me fit un sourire moqueur. Moi, vulnérable ? Jamais de la vie ! Je me jetai sur cette barbare, refermai mes poings et lui cognai le visage. Quoi, elle croyait me faire mal avec son bête coup au thorax ? Elle brandissait toujours sa lance… Plus pour longtemps.

Quelque chose déchira ma peau ! La guerrière se risqua à me cribler de coups, ils étaient si rapides, j’avais l’impression de loucher. Si je la privais de son maudit bâton, on se collèterait d’égal en égal. Je m’obstinai une fois encore, et lorsqu’enfin je réussis à m’imposer, elle garda sa poigne resserrée sur son arme fétiche.

Elle nous entraîna dans une chute !

On dévala de plusieurs mètres, manquant d’être déchirés par ces roches coupantes et rugueuses ! Une bande entière nous séparait de là d’où on venait. Pas de bol… Quoique, on avait atterri sur un chemin plus lisse, au-dessus des quelques arbres. Une trop vaste verdure pour des types comme nous…

Je me relevai, quitte à entendre mes phalanges râper les pierres, quitte à mollarder comme un malpropre ! Combien de mes os avaient été pulvérisés ? Combien de mes organes avaient été salopés ? Je pissais le sang, elle m’avait vidé comme un porc.

Oh, je la découvrais entièrement, cette grande guerrière ! Toujours cette allure fière, à lécher le sang sur ses joues. Elle secoua ses tresses et regarda sans ciller les coupures de son bras. Aussi tenace qu’elle était, j’avais désormais l’avantage ! Son arme était à mes pieds. On se fixa quelques secondes, on avala un peu d’air, on tenta de se traîner sur nos ripatons abimés. Du temps… Juste un peu pour me remettre de mes écorchures de pacotille !

Voilà donc Elmaril dans toute sa splendeur. Elle me dardait des yeux de haine en s’avançant. Pitié, qu’on me donne la force…

— Sans ta lance, tu n’es rien, provoquai-je.

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