Chapitre 25 : Intrusion (2/3)

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Une ombre célère assombrit le sol. La silhouette plongea sur moi ! Elle était entre un rocher et un buisson. L’éviter, contourner la surprise. Je réalisai une roulade vers l’avant tout en prenant mon arc. Il fallait y fourrer une flèche, mais… Argh ! Une bourrade m’atteignit en plein thorax. Ma stabilité, je la perdais ! Inspirer, tenir sur ses jambes, utiliser mes mains pour me rétablir. Ça m’éloigna de mon arme. Je dégainai mon poignard, tentai une contre-attaque. Quelle adversaire rapide ! Elle m’estoqua net. Forcée de me courber, je fus déséquilibrée et chus à genou.

Je n’allais pas abandonner si facilement ! Je ramenai ma lame à hauteur de ma tête et parai l’attaque suivante. Ce geste me sauva la vie. La hache de mon opposante venait de me frôler.

Mon bras trémula mais je tins bon. L’occasion de découvrir mon agresseuse qui déployait une grande force pour me faire céder. Une guerrière du clan Nyleï… Son visage couturé de cicatrices révélait ses tatouages. Son armure en cuir, aboutée de métal, concordait avec son unique tresse blonde. Elle me fixait avec hargne en soulevant son arme en fer. Une sauvage comme les autres, la rage en plus. Elle me mettait en condition difficile. Pas grave, sa hache ne me faucherait pas !

Je la repoussai avec mon poignard puis effectuai un bond salutaire. Sa hache fendit l’air, lui tira un grognement. Aucun répit à cause de sa démarche pugnace. Il y avait bien une faille dans une faille, même minuscule. À moi de le découvrir.

Nos armes s’entrechoquèrent de nouveau. Hors d’atteinte, mon arc semblait me réclamer. S’orienter sans était possible tant que je m’adaptais. Chaque tentative de m’en rapprocher me coûtait une violente riposte de la barbare. Inépuisable, elle se déchaînait sur moi, vociférant à chacun de ses coups ! Répliquer tant bien que mal ! Mais ma lame esquintait à peine son plastron ! Si je persistais… J’arriverais à la buter !

Elle me frappa avec la hampe de sa hache. Mon bras manqua d’être tranché ! Reculer, brandir mon poignard en guise de protection. Tant que le métal tintait, tant que je me surpassais, je ne me soumettrais pas à l’assaut ennemi. De belles offensives contre une défense vive. La combattante abattait sa hache sans arrêt, toujours plus puissante. Je redoublai de précaution, privilégiai l’instinct comme moyen de survie. Observer, puis se conformer. Anticiper pour mieux riposter.

J’exécutai un pas de biais. La hache fusa jusqu’à ma figure, mais je m’en dérobai. Qu’elle tente donc de m’occire ! La guerrière m’asséna un coup vif que j’esquivai à temps. C’était tout ce dont elle était capable ? Elle en vint même aux poings ! Peuh, je cueillis sa chiquenaude sans broncher !

Elle n’en avait pas fini. L’endurance, la vigueur étaient ancrés en nous, sans défaut ni limite. Elle saisit mon bras, le torsada, mordit mon poignet. Brutal ! Garder mon sang-froid. Je me libérai au mépris de ma défense. La douleur amplifia sa frénésie tandis qu’elle me dardait un regard revêche. Son ardeur de sauvage sanglante… Digne de son clan. Bon sang, elle était tenace !

Ma lame et sa hache ripèrent, puis je traçai une estafilade sur sa joue. Impossible de pénétrer sa chair, mon ennemie répliqua tout de suite ! J’effleurai la mort de près… Elle faillit me trancher le torse, fendilla mon brassard gauche, saisit ma veste dont elle déchira des pans puis tenta de me fendre le crâne. Éviter un sort fatal ! Abandonner mon poignard était la seule solution.

Mon arc… Il était tout proche, je devais saisir cette chance. Je m’y précipitai à toute vitesse même si j’étais poursuivie ! Dès que je le repris, j’effectuai un saut arrière, encochai un trait et le décochai aussitôt. Il se ficha sur son genou, ce qui lui arracha un cri de douleur. Elle chuta en arrière, lâchant sa hache au passage. Je l’avais vaincue !

Enfin… J’avais réussi. Respirer lentement pour récupérer. Détendre mes muscles, m’éponger le front, m’ouvrir à l’air frais du matin. Et surtout ne pas relâcher cette engeance des yeux. Esseulée, isolée, vulnérable… Elle avait espéré le triomphe ? Elle ne s’était pas assez battue pour.

Je me retins de lui envoyer un sourire narquois. Il fallait que je garde mon sérieux, ma rigidité, le temps d’obtenir des réponses. Même si le projectile transperçait sa jambe, la barbare ne s’avouait pas dominée. Je récupérai sa hache, par souci de prévoyance, et la jetai au loin. J’étais libre de l’interroger, de savoir comment elle était parvenue jusqu’ici. Je ne m’étais pas engagée dans cette quête pour retrouver les problèmes de notre pays !

Après avoir ramassé mes armes, je m’accroupis auprès d’elle et durcis mes traits. Je l’entendis baragouiner dans sa langue. Pas impressionnée ? Je n’avais pas tout montré.

— Où sont tes sœurs d’armes ? interrogeai-je sèchement.

Au lieu de m’avouer, elle me cracha au nez. Ces plaies ne lui faisaient pas assez mal, elle en redemandait ? Je lui flanquai un coup de poing dans sa face et enserrai ma main sur ma flèche.

— Ne m’oblige pas à reposer la question ! l’intimidai-je.

— Ou sinon quoi ? rétorqua la vaincue. Je n’ai pas peur de la mort !

J’enfonçai mon trait en plein dans sa blessure. S’ensuivit un nouveau cri. Quel plaisir de la voir souffrir !

— Je peux t’infliger pire que la mort, marmonnai-je. Ce serait amplement mérité, après ce que vous avez fait à ces innocents !

— Vous les avez donc trouvés. Oui, nous les avons massacrés, et nous ne regrettons rien. Nous avions soupçonné votre venue imminente, c’était un moyen de vous attirer. J’ai été envoyée en éclaireuse pour m’en assurer.

Elle parlait de mort avec une telle désinvolture. Mais quel était ce clan ? Quand on croyait tout savoir sur les sauvages, ils dévoilaient d’autres facettes tout aussi sombres. Dire que… Non, rester focalisée ! C’était le moment ou jamais pour connaître leur objectif.

— Il y avait des enfants parmi eux ! tonnai-je. Vous êtes si… inhumains ! La honte de notre nation.

— Parce que tu crois que la vaillante armée Ertinoise n’a jamais tué d’enfants ?

— Quelles sont ces accusations ? Je n’ai jamais levé la main sur un enfant !

— Toi peut-être, mais certains soldats s’y donnent à cœur joie ! J’en ai déjà vu armée agir contre ce qu’ils sont censés défendre. Quand ils attaquent nos camps, ils n’épargnent pas les enfants pour leur donner une nouvelle chance. Au contraire : ils les tuent afin de cacher la vérité au peuple.

— Ferme-la, espèce de menteuse !

Son ricanement était une provocation risible ! Cette misérable guerrière jouait avec mes nerfs… Pas question de m’abaisser à son niveau. Ce serait dégradant et ça ne m’aiderait pas !

Et si elle racontait la vérité ? Impossible ! Massacrer des enfants allait à l’encontre de nos principes. Mon esprit, brouillé, mes conceptions, violées ! Ne pas recourir à la violence. Employer les mots judicieux.

— Vous nous avez suivis ? demandai-je. Comment avez-vous fait ?

— Votre compagnie n’est pas discrète, nargua la guerrière. Il suffisait de s’éloigner de la capitale et de vos troupes pour suivre votre piste. Curieusement, les soldats ne nous ont pas poursuivies longtemps. Leur inaction a aussi ouvert les guerriers du clan Dunac, nous avons découvert les corps d’un de leurs groupes, d’ailleurs. Ils ne vous ont pas poursuivi au-delà de la frontière, nous si.

— Vous avez traversé Temrick sans que personne ne s’en rende compte ?

— Temrick ? Non, nous sommes passées par le pays voisin… Belkimgha, si je me souviens bien.

Je manquai de me décomposer. Nos efforts s’effondraient, nos accomplissements perdaient leur portée. Mon ancien clan résidait encore là-bas. Leur groupe avait contourné la chaîne de montagnes par ce pays… C’était là que…

— Je me souviens ! reprit la combattante d’un ton hautain. Nous avons perdu quelques sœurs d’armes en rencontrant un clan d’archers. Nous les avons massacrés à plate couture, bien sûr. Leur chef te ressemblait, sauf qu’elle était plus grande et plus costaude. Ah, elle avait un tatouage en forme d’oiseau sur sa figure.

— Reodia ?

— Oui, c’est comme ça que ses camarades l’appelaient.

— Reodia ? C’était… C’était ma sœur ainée…

Je me rejetai en arrière, mes larmes coulèrent à l’abondance. La famille… Ce lien précieux, indestructible, s’était rompu. Toutes ces années à côtoyer ces personnes, celles qui restaient fidèles, qui ne trahissaient jamais. Des années à vivre ensemble pour mourir seul en un instant. Des années à apprendre d’eux, à mûrir, à les voir partir pour ne jamais revenir.

Pas Reodia… Elle n’était même pas impliquée dans cette histoire ! Et là, une meurtrière m’annonçait son décès avec un grand sourire ? C’était moi qui avais combattu les clans, pas elle ! Elle n’avait pas mérité un sort aussi injuste ! Ma famille, dévastée… Depuis le temps que je cherchais à la revoir. Toute sa vie, Reodia cherchait à unifier son peuple et à le protéger. J’étais responsable de sa mort.

Les cris de l’éclaireuse attirèrent mes alliés vers nous. Ravaler mes sentiments. Non, non… J’en étais incapable. Pourtant je le fis, créant la distance entre mes alliés et moi. Ce serait humiliant d’exposer des faiblesses alors que ma fonction requérait de la force. Tout ne leur était pas avouable.... Me relever envers et contre tout. Continuer d’endurer le supplice.

Face au supplice prolongé de la guerrière, les visages de Jaeka et Bramil se tordirent d’une moue du dégoût. C’était la justice qu’ils souhaitaient. Au moins ils étaient vivants, les autres guerrières n’avaient pas répété leur assaut ! Où étaient-elles ? Quelque part dans les parages ! Je les retrouverais… Là elles comprendraient ce que signifiait le serment militaire !

Et Gurthis, je ne comprenais toujours pas ses intentions… Difficile de rester indifférent quand Elmaril échangeait quelques paroles dans sa langue avec sa sœur d’armes. Mon confrère dégaina son espadon et le pointa vers elle, comme d’habitude ! Ce n’était pas la méthode… Ça ne l’avait jamais été. Nos alliés reculèrent aussitôt, affolés.

— Je le savais ! dénonça-t-il. Ton clan est responsable du massacre. Voilà pourquoi le Nillois t’avait désigné du doigt. Vous ne les avez même pas tous tués !

— Je faisais juste connaissance avec elle, réfuta Elmaril en haussant les épaules. Je ne l’ai jamais croisée avant. Je suis aussi surprise de leur intrusion que toi. Comment veux-tu que je les aide ?

— Ne pas être coupable ne fait pas de toi une innocente ! Donne-moi une raison de ne pas te pourfendre ici même !

— Tu crois que je vais me rallier à elle ? Nous sommes du même clan, mais je ne suis pas assez stupide pour la défendre seule. De toute façon, tu n’obtiendras rien d’elle. Nous sommes insoumises.

— Tu n’es donc pas loyale envers tes sœurs d’armes. Qu’il en soit ainsi.

Gurthis cessa de menacer Elmaril et se focalisa sur moi faute de mieux.

— Tu l’as interrogé ? demanda-t-il. Elle a l’air… peu coopérative.

La vaincue se renfrogna entre deux lancinements. Sa main gauche affleurait sa jambe percée par mon trait. Je réfrénais mes larmes derrière mon sourire de face. Elle vivante, même dans l’agonie ! Une injustice à réparer au plus vite.

— Elle n’est pas très bavarde, mentis-je. Elle m’a juste avouée qu’une partie de son clan rôdait non loin d’ici. Ces sauvages ont trucidé ces innocents sans raison valable, sinon pour nous attirer.

— Rien d’autre ? insista Gurthis. Elles sont où, ses petites camarades ? Elles sont parties par quel chemin ?

— Je ne dirai rien de plus, lâcha la guerrière. Tuez-moi si ça vous fait plaisir, je ne trahirai pas mes amies. Dès qu’elles découvriront mon cadavre, elles vous traqueront pour me venger.

— Sans toi, ça en fera une de moins à tuer !

En voilà un qui tenait sa parole. Gurthis brandit son espadon et l’abattit sur le plastron de la barbare. Je m’éloignai quelque peu pour être hors de sa portée. Mérité ou pas ? La morale n’arrêterait pas les cris et les giclées de sang. L’armure de l’éclaireuse était dilacérée par entailles pendant qu’il ouvrait une plaie béante dans son torse. La souffrance à l’état pur ! La lame hachait la chair, pénétrait dans les organes, enlevait au corps ce qui faisait sa nature. Dans ces derniers instants, la meurtrière se répandit en insultes et gémissements. Puis ces hurlements devinrent des murmures, des souffles, et elle succomba dans d’atroces souffrances.

Reodia était-elle vengée ? Pas certaine… Quelqu’un voudrait aussi venger celle-là. Ça se passait toujours ainsi ! Punir ceux qui s’en prenaient à sa famille…

Gurthis ne s’arrêta pas là. Injures, déchiquetages, tout pour déverser sa haine. Répandre la violence semblait être son crédo ! Reculer ne nous en préserverait pas. Les limites étaient dépassées depuis longtemps. C’était…de la barbarie. Un comble pour un soldat. Un sacré, triste comble.

Elmaril restait immobile, les sourcils froncés, sa figure dénuée d’expression. Contre toute attente. À peine regardait-elle le meurtre sauvage de sa sœur d’arme. Comment parvenait-elle à garder son sang-froid ? Elle aurait dû brandir sa lance, se jeter sur Gurthis, lever l’affront que ça représentait pour elle. Parce qu’elle était comme les autres ! Oui, comme les autres…

Je ne valais pas mieux à contempler ce corps méconnaissable. Margolyn et Stenn manquaient de s’évanouir, Bramil pâlissait à vue d’œil, et je restais plantée là, à admirer la bêtise humaine, à espérer une revanche dans cet étripage. Œil pour œil, dent pour dent ? Ce n’était pas une leçon de vie ! Ce n’était pas humain. Et Jaeka l’avait mieux compris que n’importe qui ici. Devant nous tous, elle se dressa, plus résolue que jamais.

— Arrête, Gurthis ! supplia-t-elle. Elle est déjà morte. Tu t’acharnes pour rien.

— Ah oui ? tonna le combattant incontrôlable. Je rends service à notre nation ! Les clans guerriers ont fait des milliers de morts, bordel ! Un peu de justice pour ces innocents, c’est trop demandé ?

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