Chapitre 16 : Tempête (2/2)

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Le vent... Il nous mornifla de tout sa puissance. Résister pour éviter d’être balayés ! Sous le ciel déchiqueté, les flocons chutaient en nombres, accélérés par le souffle impétueux. Nos vestes et armures paraissaient médiocres face à la fureur du climat. Encore un truc auquel j’aurais dû m’attendre…

— Nous devons nous abriter ! vociférai-je. N’importe où, tant que nous sommes protégés de la tempête !

— On ne peut s’abriter nulle part ! rétorqua Ralaia, sondant autour d’elle.

— Cette tempête est pire que tout…, dit Arzalam, les yeux rivés vers l’horizon. Notre seul espoir réside en ces ruines, là-bas. Nous pouvons y accéder en passant par le lac.

Il évoquait des ruines… C’était la silhouette drapée par la brume ? Je n’y voyais que dalle alors qu’il se repérait facilement, sale chançard ! Il n’était pas aussi calme qu’il tentait de nous le faire croire. Même lui échouait à prévoir les répercussions de cette tempête.

Rien ne m’arrêterait ! Que la neige heurte mon plastron et mon visage, je me battrais jusqu’au bout ! Par contre, pour mes alliés, c’était une autre histoire. Bramil semblait victime d’une rechute depuis un moment, et comme par hasard, il tomba à genoux maintenant ! Seule la force de son bras restant était capable de l’aider. Ce pauvre gamin faisait vraiment peine à voir.

— Courage, Bramil, encourageai-je en avançant. Si Arzalam dit vrai, l’abri est proche.

On avait connu mieux comme consolation. Je me basais sur les propos de ce mage pour le rassurer, quelle erreur ! Il était où cet abri, si c’en était vraiment un ? On n’arriverait peut-être pas jusque-là... Ces flocons qui tourbillonnaient, ce souffle qui hurlait par-delà les sommets, ces nuages qui tonitruaient, tous étaient capables de nous buter ! Et ça devait bien commencer par quelqu’un : Jaeka chuta à son tour mais se raccrocha tant bien que mal. Ralaia fonça à sa rescousse, fidèle à son poste.

— Prends ma main, Jaeka !

— Je… Je peux me relever…

Une heure d’entraînement ne formait pas une guerrière. Malgré sa faiblesse, la maréchale puisait du courage en elle pour accomplir cet effort. Le coup de main de ma collègue lui permit de se redresser, non sans peine. Jaeka était méconnaissable : la neige avait blanchi ses taches de rousseur, son aspect livide était prononcé et son corps répondait difficilement à ses exigences. Voilà une faible qui savait persévérer.

Ralaia enroula son bras autour de son épaule et la transporta dans un premier temps. Toujours là pour repêcher tout le monde, mais quand le revers de son comportement la bafferait, qui lui prêterait main forte ? Jaeka essaya de se débrouiller seule après quelques pas. Une gaffe des plus flagrantes : elle contre le climat, c’était le second qui l’emportait. Ça grondait, ça neigeait, le vent nous cinglait, et comme on n’était pas content, d’autres éléments tombaient du ciel. Pas juste une giboulée, non, une connerie de déluge nous chutait dessus !

Margolyn émit un cri aigu. J’espérai qu’elle fasse son hystérique, même pas : un filet de sang striait sa joue droite. Ça provenait des nuages menaçants… Pire que prévu.

— Regroupez-vous ! ordonna Jyla. Je vais vous protéger pour la traversée du lac. Arzalam, aide-moi à générer un bouclier !

Quand Jyla crachait des instructions, tout devenait plus clair. Les mages s’apprêtaient à repousser la tempête ! Ou pas, il fallait vraiment être niais pour le croire, tuer des innocents était plus à leur portée. Ils se contentèrent de déployer une protection transparente. Juste à temps ! Les grêlons, eux, n’y allaient pas de main morte, vu la vitesse à laquelle ils s’abattaient sur nous. Rejoindre le rempart d’Arzalam et Jyla, aucune autre solution possible, notre survie dépendait d’eux et ça les avantageait bien ! Toutes les variantes de la neige s’assemblaient contre nous et nous étions forcés de passer par ce lac !

Une force de la nature, une coïncidence mal placée, je ne savais pas comment dénommer cette foutue tempête ! Cette grêle était apte à transpercer plastrons et bouclier, il y en avait partout, elle agressait le lac, elle amochait le ciel, elle assombrissait notre vue. Impensable de se repérer quand la brume s’y ajoutait !

Les bras brandis, les mages étaient déjà exténués. De l’énergie, ils en avaient à revendre, alors ils n’avaient qu’à la mettre à profit pour nous aider à avancer. Mais on survivait à force de se nicher sous leur bouclier. Des petites vagues le perturbèrent lorsque les grêlons rebondissaient dessus. J’avais survécu à pire, je n’allais pas crever à cause d’une bourrasque quelconque !

— Faites attention ! prévint Jyla. Avancez lentement et doucement, sinon vous tomberez dans l’eau !

Je fermais le groupe avec Ralaia. Nos compagnons tremblaient, glissaient plus qu’ils ne marchaient, manquaient de pleurnicher au lieu de faire preuve de courage, et j’arrivais encore à concevoir leur frousse. La moindre bourde risquait d’être fatale ici, l’eau devait être tellement froide qu’on gèlerait en quelques instants ! Les mages nous protégeaient des intempéries, mais il ne tenait qu’à nous d’éviter les maladresses. Nous étions exposés, telles des proies fragiles d’un ennemi inapprochable. L’un d’entre nous briserait la glace tôt ou tard. Cette progression avait tout pour partir en vrille.

Maudit ! Je n’arrivais pas à garder l’équilibre ! J’avais pourfendu les ennemis du royaume, j’avais servi ma patrie comme personne d’autre, alors pourquoi je ne parvenais pas à me tenir droit dans ce terrain ? Je supportais le poids de mon armure, bon sang ! Assez de patiner comme un demeuré, sans support pour me raccrocher.

Jamais je ne serais le fardeau de la troupe ! Ni la légère secousse à l’arrière, ni mes solerets manquant de riper ne me ralentiraient ! Je n’avais qu’à les enfoncer avec plus de force, me cramponner à ce qui me restait. Ma fierté était en jeu !

Celle des autres, par contre, c’était une autre histoire. Elmaril glissa hors du bouclier, mais elle sortit sa lance et la planta sur la glace. Une fissure se créa quand elle revint parmi nous, quelle bourde ! Elle était consciente de la gravité de son geste, au moins ?

— Pourquoi as-tu fait ça ? tonnai-je. Tu veux tous nous tuer ?

— Je devais bien me redresser, se défendit-elle. Vous auriez préféré me sauver ?

— Je ne t’aurais pas aidé. Depuis quelques temps, tu ne sers plus à rien.

— Cessez de vous disputer ou nous périrons tous ! exigea Arzalam.

Ce satané destin laissait cette guerrière réussir toutes ses tentatives pendant que les honnêtes citoyens en bavaient ! Pas le temps de rouspéter, n’importe qui à ma place se bornerait à l’essentiel. Survivre. Parce qu’on ne savait faire que ça depuis le début.

Les conditions s’empirèrent. Le bouclier amplifié résistait aux grêlons, mais ceux-ci grandissaient à vue d’œil. On finirait troué dans peu de temps, à ce rythme ! Pas des paroles en l’air… Alors qu’on se cassait la tête pour être stables, alors que le ciel déversait sa colère sur nous, l’un de ces projectiles impacta le bouclier et faillit le transpercer de part en part. Ça produisit une vraie secousse, on dut se courber, et Bramil glissa en glaviotant. Étonnamment, ce fut Jaeka qui vint à son secours : elle prit sa main droite et le tira vers nous avant qu’il ne quitte la protection. Il l’avait encore échappé belle, ce veinard !

— Je ne laisserai pas mourir un autre membre de ma famille ! promit Jaeka. Nous avons presque terminé, nous pouvons y arriver !

De quelle fin de chemin baratinait-elle ? Cette brume opaque s’étendait à proximité, nous savions à peine où nous allions ! La tempête se déchaînait, implacable. On avançait avec une telle mollesse… Risible ! Nous étions une bande de paumés aventureux sur lesquels des calamités s’enchaînaient, sans nous laisser le temps de souffler un peu, ni même de s’ébrouer !

Hors de question de renoncer aussi facilement ! J’étais un soldat, un vétéran, un protecteur de notre contrée, j’avais déjà affronté pire, et même si ce n’était pas le cas, tant pis ! La bourrasque pouvait s’abattre sur nous, la neige pouvait nous dépouiller, le lac pouvait nous enclore, jamais je ne capitulerais !

Tout menaçait de se rompre à un moment ou à un autre. Les grêlons continuaient de frapper, que ce soit ici, là-bas, autour de nous, même sur cette égide inusable. Pas vraiment, en fait. Jyla et Arzalam suaient à grosses gouttes, s’inclinaient sous la pression des projectiles cinglants, et bien sûr, leur magie s’épuisait ! Ils ne la jugulaient ni ne la pompaient quand il le fallait. Crever à cause d’eux, ce serait le comble !

— Tout va bien ? se tracassa Arzalam.

— Maintiens le bouclier ! insista Jyla. Nous y sommes presque !

Faux ! Seul l’effondrement du bouclier était proche : perturbé de partout, il perdait en volume et en efficacité, la suite ne serait pas belle à voir. Chutes intensives de neige, infatigable fracas de grêlons, rafales aigres et humides s’unissaient pour nous briser. Et s’il n’y avait que ça…

Une fissure se propageait derrière nous ! Cette andouille de Stenn fit un pas de trop et fut emporté vers l’arrière. Il tenta de se revenir, mais sa jambe gauche s’enfonça dans la glace. Il s’était mis dans un sacré pétrin, ce prétendu instruit ! Je devais l’aider, sinon ses hurlements seraient ses dernières paroles.

— Par pitié, supplia-t-il, au secours !

— Restez là ! enjoignis-je en me retournant. Je vais le tirer d’affaire !

L’engagement se différenciait clairement de la réalité. Je devais d’abord voir à quel degré il s’était empêtre là-dedans. Je plongeai vers lui, saisis son poignet et tirai de toutes mes forces. Rien n’y faisait : il restait coincé et sa jambe gelait à vue d’œil. Aussi exécrable qu’il soit, je ne pouvais pas l’abandonner à son sort. Mais il n’y avait pas une tonne de solutions qui se présentaient à moi ! Stenn coulerait si je brisais la glace autour de lui avec mon espadon ! Je ne voyais qu’une autre possibilité.

— Je suis désolé, dis-je. Il va falloir t’amputer.

— Quoi ? fit Stenn, paniqué. Non, il existe d’autres solutions, j’en suis persuadé ! Ne renonce pas si facilement, Gurthis !

Je jetai un coup d’œil derrière moi. Le groupe entier s’était immobilisé en l’attente de mon sauvetage. Ralaia voulait me rejoindre, mais je lui déconseillai d’un hochement de tête. Cette solitaire s’était assez démarquée, à moi de rendre honneur aux miens, à moi de sauver des ingrats !

— Arrêtons de traîner ! implora Margolyn, claquant des dents. Je ne dis pas qu’il faut abandonner Stenn, mais si on continue comme ça, ce sera notre fin à tous !

— Arzalam, protège les autres ! requit Jyla. J’ai une idée pour sauver Stenn.

Elle gâchait ce moment ! C’était peut-être pour le mieux. De-ci de-là, j’entendis des lamentations ou des frayeurs, rien de comparable à la décision de la jeune femme. Elle sortit du bouclier affaibli et s’exposa aux risques. Les grêlons lui tombèrent dessus, elle n’avait plus assez de magie pour les dévier, ou alors elle en réservait pour plus tard. Résistante, la petite ! Je crus même voir des estafilades sur son visage de marbre.

— Attrape ses bras ! réclama-t-elle. Je vais faire fondre la glace autour de sa jambe.

Elle volait mon idée d’avant ? Si c’était l’unique façon de secourir Stenn, autant y aller franchement. Le temps était précieux sous cette masse de grêle coupante !

— Mais je risque d’être brûlé ! protesta Stenn. C’est trop dangereux !

— Tu préfères être amputé ? Nous n’avons pas le choix.

Enfin l’intellectuel affronta ses frayeurs ! L’extraire du danger impliquait de le blesser, même légèrement. Tant pis, c’était de sa faute s’il se retrouvait dans cette position !

Jyla posa sa main droite sur la glace et une lueur rougeâtre s’en dégagea aussitôt. Je ressentis une chaleur vivifiante pendant que l’eau se liquéfiait. Stenn grinça des dents afin de mieux supporter la douleur. Le trou s’élargissait et sa jambe oscillait : un mouvement d’écervelé et il s’enfoncerait dans les abysses du lac. En fin de compte, il survécut sans trop de tracas, peut-être avec des séquelles, mais nous avions accompli notre devoir.

Je le tirai hors du danger, encore que… Personne n’était tiré d’affaire, surtout pas nous, en dehors du bouclier, en-dessous des nuages qui dégueulaient des grêlons par milliers. On aurait dit des météorites capables de percer des lacs, de renverser le paysage entier. Quoi qu’il y ait au bout de chemin, il fallait l’atteindre, je m’en portais garant !

— Ramène-le au bouclier ! m’écriai-je.

— Qu’est-ce que tu fais ? s’étonna Jyla.

— Tout de suite ! Je vous protège !

Jyla plissa les lèvres, me dévisagea puis se conforma à mon ordre. Quand même ! Restait plus que moi, le soldat qui n’avait plus rien à perdre. L’ombre de ces deux gaillards défila, la neige me talocha, les montagnes rugirent comme des forcenées. De terribles grêlons menacèrent de s’écraser sur nous. Mes responsabilités m’appelaient, quelles que soient les lieux, quelles que soient les circonstances, inconcevable de les délaisser. Au centre de la tempête, je me dressai contre la menace venue du ciel.

Un véritable guerrier trimait ou clamsait en essayant ! J’étais Gurthis Nakral, vétéran de l’armée Ertinoise. Résistant aux claquages du vent, increvable face à cette averse drue et tranchante, inusable contre la force des sommets impraticables. Ce lac ne pouvait pas me vaincre ! Je me bâfrai de vigueur, trempe, endurance et puissance ! J’ingurgitai la brume patente, la moiteur de ma peau ulcérée sous mon sang. Mon sang qui s’écoulait sous ma brillante armure et qui me lacérait comme des morceaux de verre. Le verre qui se brisait comme la glace.

Mes alliés ! Il me fallait les rejoindre, foncer jusqu’à m’abriter, détaler loin devant la brèche qui craquelait le lac derrière moi ! Une sphère invisible, des contours indiscernables, des vagues de froid comme d’humidité, voilà tout ce que j’observais ! Tout ce que je voyais… Tout ce que je… Non, mon corps ne me transportait plus. À peine dérapait-il sur l’eau solide. Plus rien, il n’y avait plus rien…

Mes yeux… Ma tête, j’avais l’impression d’être échancré. Fermer les paupières, les rouvrir… Engourdi, affaibli, je ne sentais plus mes membres. Mes bras, je ressentais juste leurs mouvements, mon petit doigt s’agitant, ma main agrippant un caillou… Une pierre, ici ? Je devrais attendre un peu avant de prendre conscience de ce qui m’entourait. La douleur remontait jusqu’à ma mâchoire, ma sueur comme mon sang ruisselait de partout.

Quelques minutes de repos, ça ne me ferait pas de mal. Me voilà en train de gémir comme un gosse devant Ralaia et Elmaril. Quelle humiliation ! Elles m’avaient secouru quand je baroudais contre vents et tempêtes. Une défaite de plus…

Relever la tête… Impossible, des pioches semblaient la trouer de tous les côtés ! Ma consoeur me tendit alors sa gourde, me força à absorber quelques goulées, mais je recrachais tout avec un mollard en prime. Et Elmaril en rigolait, bien sûr. Toujours mieux que d’être dévisagé par ma collègue.

— Tu peux le soigner, Margolyn, dit-elle. Il est réveillé.

— Occupe-toi plutôt de Stenn…, refusai-je. Je n’ai pas besoin de soins.

— Regarde-toi, tu es en piteux état, Gurthis. Par contre, j’admire ton courage. Tu as sauvé la vie de Jyla et Stenn, ces grêlons auraient pu les tuer. Dommage que tu aies dû abandonner ton sac…

— Mon sac ne contenait aucun objet de valeur.

— Et tes provisions ? Ne me dis pas que tu n’en as pas besoin ! Tu ne dors quasiment pas, il faut au moins te nourrir !

— Tant que je bois, je pourrais au moins tenir quelques jours. Ne gaspillez pas votre nourriture pour moi. J’assume mon geste.

Un mensonge peu convaincant. Autant essayer de me relever, de voir ce que j’avais loupé. Et ouais, mes yeux ne fabulaient pas : la tempête s’était bel et bien arrêtée pendant que j’étais inconscient. Un beau ciel bleu nous dominait, et derrière… J’avais roupillé combien de temps ? Beaucoup trop !

Ralaia me lança un regard perplexe et m’aida à me relever. Notre compagnie semblait figée : Stenn était pâle, assis contre un rocher. Margolyn examinait sa guibole et lui apportait les soins qui allaient avec, et heureusement, cette gamine ne râlait pas. Quant aux autres, ils se baladaient de part et d’autre du chemin.

Derrière, il y avait quelque chose de particulier. Je m’en rendis compte en foulant les marches enneigées. Un escalier au milieu de nulle part… C’était une construction humaine ! Des ruines authentiques, bâties aux sommets de Temrick. Jyla et Arzalam étudiaient l’entrée du regard, sous les multiples arcs voûtés. Ils nous attendaient pour s’y engager.

J’avais donc tort sur toute la ligne ! Cet endroit dépassait notre imagination. C’était gigantesque, ça s’enfonçait sur le sol, grimpait les sommets, paraissait toucher le ciel. Et ça ne ressemblait à rien de ce que j’avais déjà vu. Nous avions atteint le cœur du potentiel humain.

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