65. Chris

2 minutes de lecture

Alice est dans un état végétatif. C’est ce qu’on dit dans ces cas-là, quand l’humain se rapproche du végétal.

La doctoresse dit qu’elle peut rester comme ça des jours, des semaines ou même des années. Elle dit qu’on peut être optimiste mais qu’il faut se préparer à toute éventualité. Comment se préparer ? Comment être optimiste ? Elle ne dit pas comment.

Le temps passe douloureusement, les visites à l’hôpital imposent leur rythme à mes journées. Je passe l’essentiel de mon temps libre à me renseigner sur le coma et sur les séquelles des traumatismes crâniens. Je lis aussi beaucoup de témoignages de proches. D’un côté, ça me fait du bien parce que je me sens moins seul, mais en même temps ça m’angoisse terriblement. Tout. Absolument tout peut arriver, et je ne suis pas sûr d’être prêt à tout affronter.

Il y a une question qui revient sans cesse : Est-ce qu’elle se souviendra de moi ? Et après, est-ce qu’elle se souviendra de nous ?

Et même si elle se souvient, la personnalité des gens peut changer après un coma. Est-ce que cette Alice-là m’aimera toujours ? Est-ce qu’elle va enfin réaliser qu’elle n’a rien à faire avec moi ?

Je lui ai fait tellement de mal, je ne l’ai pas aimée comme j’aurais pu, je ne lui ai pas donné ce que j’aurais dû. Toutes ces années perdues à cracher sur mon destin, à me morfondre, à me noyer dans le ressentiment, sans voir que sa seule présence à mes côtés était une chance… À trop me focaliser sur ce qui me faisait mal, j’ai négligé ce qu’il y avait de bon dans ma vie. Je lui ai fait payer mes angoisses, je n’ai pas laissé assez de place à la joie qui l’habitait, je l’ai brimée pour ce qu’elle était, je lui en ai voulu de supporter ce monde plus facilement que moi. Pourtant je l’aime plus que tout, plus que moi-même, sans doute. Si elle décidait de refaire sa vie sans moi, je ne lui en voudrais pas, c’est sûrement la meilleure chose qui pourrait lui arriver.

Je m’en veux de penser à ça, c’est comme si je cherchais à fuir inconsciemment… C’est pas le moment. Tout ce que je peux faire à l’heure actuelle, c’est être là. Elle ne réagit toujours pas quand on lui parle, mais elle a légèrement bougé le bras droit hier, quelques heures après avoir ouvert les yeux. C’est bon signe, c’est sûr que c’est bon signe.

Je m’accroche à chaque signe et je prie. Je prie pour retrouver Alice, je prie pour entendre son rire, je prie pour retrouver la normalité, loin de l’hôpital, je prie pour qu’elle me pardonne… Pourtant je ne sais plus prier. On m’a appris autrefois mais je me suis empressé de tout oublier.

Alors je prie sans formalité. Je prie pour me libérer.

Annotations

Versions

Ce chapitre compte 1 versions.

Vous aimez lire Annabelle Dorio ?

Commentez et annotez ses textes en vous inscrivant à l'Atelier des auteurs !
Sur l'Atelier des auteurs, un auteur n'est jamais seul : vous pouvez suivre ses avancées, soutenir ses efforts et l'aider à progresser.

Inscription

En rejoignant l'Atelier des auteurs, vous acceptez nos Conditions Générales d'Utilisation.

Déjà membre de l'Atelier des auteurs ? Connexion

Inscrivez-vous pour profiter pleinement de l'Atelier des auteurs !
0