41. Chris

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Quand j’explique à Ariane qu’il est trop tôt pour les visites, elle me propose de prendre un petit-déjeuner avant d’aller à l’hôpital. Elle ressemble tellement à sa sœur que ça me fait mal de la regarder. Sa silhouette est moins élancée et ses yeux sont plus clairs mais l’ovale de son visage, la ligne de son nez et la courbe de ses lèvres sont semblables. Je retrouve aussi la même douceur dans son sourire, les mêmes intonations dans sa voix et le même éclat dans son regard. Elle me pose toutes sortes de questions sur l’évolution de l’état de santé d’Alice et je réponds tant bien que mal. Je n’ai rien avalé depuis deux jours, pourtant le croissant qui accompagne mon café a du mal à passer.

Lorsqu’on franchit la porte de l’hôpital, je suis surpris par l’odeur que je n’avais pas sentie lors de ma première visite. Ça sent d’abord le désinfectant, et puis la pisse et le vomi. Ça sent aussi la merde. Ça sent surtout la mort.

Une infirmière nous explique les mesures d’hygiène avant de nous escorter jusqu’à la chambre. Elle s’adresse calmement à Alice en entrant dans la pièce :

— Bonjour Alice, je suis l’infirmière Lydia. Nous sommes le mercredi 28 septembre 2016 et il est treize heures. Vous êtes toujours à l’hôpital et nous nous occupons de vous, nous sommes là pour vous aider. Vous avez de la visite. Votre sœur Ariane et votre compagnon Chris sont là.

En découvrant Alice, Ariane blêmit mais reste silencieuse. Elle reste un long moment à regarder sa sœur comme si elle attendait un signe de sa part. Son regard se pose ensuite sur les machines, les tuyaux et les seringues qui l’entourent. Elle demande alors :

— Ça sert à quoi tout ça ?

Désignant tour à tour les différents instruments qui maintiennent Alice en vie, l’infirmière explique d’une voix posée :

— Cet espèce de tube qu’elle a dans la bouche est une sonde d’intubation. Elle passe par la trachée et est rattachée au respirateur, c’est cette grosse machine qui fait un bruit de ventilateur. Ça, c’est le scope, poursuit-elle en montrant un écran du doigt. Vous voyez, il affiche ses constantes. On peut suivre son rythme cardiaque, le taux d'oxygène dans son sang, sa tension artérielle et sa température en permanence. En cas d’alerte, ça sonne et on intervient immédiatement. On a également mis en place ce système de seringues relié à des cathéters, c’est ce qui permet de lui administrer les traitements dont elle a besoin.

— Et ça, c’est quoi ? demande Ariane en désignant une sorte de petit boitier accroché au bandage sur la tempe d’Alice.

— Alors ça, c’est un capteur qui est positionné à l’intérieur de son cerveau. Il est relié à cette machine par ce câble-là pour surveiller la pression intracrânienne. Il faut faire très attention à ce que la pression sur le cerveau n’augmente pas trop pour éviter les complications liées au traumatisme. C’est aussi pour ça qu’il y a ce cathéter, c’est une sorte de petit tuyau qui va jusqu’au milieu du cerveau. Il est relié à cette poche qui collecte le liquide céphalo-rachidien, c’est le liquide dans lequel baigne le cerveau. On enlève le liquide en trop pour réduire la pression à l’intérieur de la boîte crânienne.

— Ah d’accord… Et qu’est-ce qu’on peut faire en attendant qu’elle se réveille ?

Ariane semble chercher une issue pour oublier son impuissance mais il n’y a rien à faire… A part attendre et espérer.

L’infirmière répond néanmoins :

— Je vous conseille de communiquer au maximum avec elle. C’est toujours difficile de parler à quelqu’un qui ne réagit pas mais il faut se rappeler qu’elle est toujours là et qu’elle vous entend peut-être. Même si elle n’est pas consciente, son cerveau reste actif et ce qu’elle traverse peut être très angoissant pour elle si elle n’a aucun repère. C’est pour ça qu’il faut toujours vous présenter quand vous venez la voir, lui rappeler la date du jour et situer le moment de la journée où vous arrivez, comme j’ai fait tout à l’heure. Evitez de quitter la chambre sans lui dire au revoir. Et surtout, parlez-lui. Elle a besoin d’entendre des voix familières.

Je ne peux pas m’empêcher de demander :

— Mais qu’est-ce qu’on peut lui dire ?

— Parlez-lui de votre vie en vous focalisant sur des choses positives. Si vous voulez l’aider, il faut lui parler doucement, la toucher et stimuler ses sens au maximum pour l’accompagner dans la reprise de conscience de son corps et du réel. Vous pouvez aussi nous apporter une clé USB avec des musiques ou des émissions de radio qu’elle aime pour qu’on lui fasse écouter dans la journée.

— On peut vraiment l’aider à se réveiller en faisant ça ? demande Ariane, visiblement sceptique.

— Je ne pense pas que ça puisse la réveiller, mais ça peut peut-être l’apaiser. Je ne peux pas vous garantir qu’elle nous entend, mais je suis sûre que lui parler ne peut pas lui faire de mal.

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