40. Alice

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La première fois que j’embrasse un garçon sur la bouche, c’est un après-midi de printemps, je viens d’avoir six ans. Mon copain s’appelle Adrien, comme mon grand frère que j’admire tellement. Il est gentil, intelligent, il a une tête ronde avec des cheveux bruns, de long cils noirs et des taches de rousseur sur les joues. On s’assoit côte-à-côte en classe et on se tient la main à la récré pour faire comme les grands, ça en impose drôlement.

Son meilleur copain, un petit blond aux cheveux frisés, fait le messager pour me demander si je serais d’accord pour l’embrasser. Je dis ok et le rendez-vous est pris pour la récré de l’après-midi. Je retrouve Adrien entouré d’un groupe de camarades avisés qui attendent le spectacle. Ils sont tout excités et réclament « le bisou ! Le bisou ! », tandis qu’Adrien rougit jusqu’au bout de ses oreilles décollées. Je suis aussi gênée que lui, j’aurais préféré un peu plus d’intimité et je vois qu’il a l’air d’hésiter, mais on ne peut plus reculer. On se cache du regard des adultes entre un mur de béton et une petite dizaine d’enfants en demi-cercle qui nous observent avec avidité. Un des spectateurs crie « Aaah ! Sur la bouche c’est dégueux ! », mais je m’en fous, je ferme les yeux. Smack. Ça dure une milliseconde, c’est doux et léger, j’aime bien.

Quand j’ouvre les yeux, Adrien prend un air dégoûté, dit « Beurk », crache par terre puis frotte énergiquement ses lèvres du bout des doigts comme s’il venait d’être contaminé par un crapaud venimeux. Tous les regards se tournent vers moi, mon sourire s’efface et face à l’humiliation, je ne trouve rien de mieux à faire que d’imiter ce lâche en faisant la grimace, cracher par terre et dire « Beurk, c’est dégueulasse ».

Après cette première déception, d’autres garçons viennent combler mon besoin d’affection. Au fil des ans, les sollicitations se font de plus en plus nombreuses et je me laisse tenter par de petites histoires sans conséquence. Je ne suis pas très exigeante et je crois aux vertus de l’expérience… Mais à force de voir des garçons se vanter de multiplier les conquêtes tout en traitant leurs alter egos féminins de putains, je comprends vite que dans ce domaine, la vertu n’est pas la même pour tout le monde. Le pire dans tout ça, c’est qu’ils le disent de bonne foi, pour eux c’est comme ça, ils ont intégré que les filles devaient se préserver comme des putains d’orchidées. Face à cette injustice, je m’autorise d’autant plus à ne pas me priver, et ce qui n’était à la base qu’un simple plaisir innocent se transforme petit à petit en acte militant. Parce qu’il faut bien le dire, leurs histoires de princesses qui filent la laine pendant que les princes charmants parcourent le monde à cheval, ça commence à me courir sur le haricot.

Ma soeur est mon premier modèle, elle a souvent des petits copains et ça a l’air chouette pour elle. Ma mère, très ouverte sur le sujet, s’amuse de nos amourettes et nous parle contraception tout en ignorant royalement les soupirs de mon père qui se tortille sur sa chaise en levant les yeux au ciel.

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