27. Ariane

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Un air de tango emplit la pièce. C’est mon téléphone. La nuit est noire, je me dépêche de l’attraper pour ne pas réveiller les enfants. C’est Chris. On ne s’appelle absolument jamais, et encore moins en plein milieu de la nuit. Je n’ai pas trop le temps d’élaborer des théories, je décroche tout en quittant la chambre pour laisser Chachou dormir.

— Allô ?

— Allô Ariane, c’est Chris.

Le ton de sa voix est cadavérique.

— Oui, ça va ?

— Non, pas vraiment.

Il marque une pause, et se lance. En deux minutes, il vide un énorme sac d’informations à la fois précises et confuses, de rage, de désespoir et d’épuisement. Alice vient de se prendre un méchant carton. Il est fort probable que ça me touche profondément, mais mon esprit cartésien agit comme un blindage. J’essaie de rester aussi calme que possible pour donner à Chris un petit espace de liberté pour évacuer un peu de tout le stress et de l’angoisse qu’il a dû vivre. Il sait qu’il n’y aura aucun jugement négatif de ma part, et je crois qu’il sait qu’il peut compter sur moi. L’appel n’a pas duré longtemps, il est au cœur d’une urgence.

De mon côté, ma décision est prise, je prends le prochain avion. Je regarde les vols et prends celui qui arrive le plus tôt à Paris, il part ce soir à 20h de Kigali. Je pense même à mettre un message d’absence à durée indéterminée sur ma boîte mail. Je prépare ma valise dans la pénombre, en trente minutes, c’est plié, je n’ai pas besoin de beaucoup d’affaires. J’achèterai les vêtements chauds qui me manquent sur place.

Je n’ai aucun mal à trouver le sommeil en temps normal, mais cette fois-ci, ce n’est même pas la peine d’essayer. Alors, je me renseigne sur le chemin le plus court pour aller de l’aéroport à l’hôpital, je me renseigne sur l’hôpital, sur leurs spécialistes, sur le coma, sur les accidentés de la route. Sur le soutien pour les proches aussi. Je sais que Chris doit se sentir très seul, et mes parents ne sont pas exactement les gens les plus chaleureux du monde.

Il est cinq heures du matin, le ciel commence à s’éclaircir timidement. Je pars faire une marche sur la Promenade des Rwandais. On devine le soleil derrière les collines. Le lac Kivu est magnifique, les chauves-souris viennent s’amarrer à leurs palmiers et les oiseaux commencent à se faire entendre. Devant tant de beauté, je pleure de tristesse et de fatigue. Dès qu’Alice ira mieux, je vais la faire venir à Gisenyi. J’imagine déjà l’aménagement de la chambre d’amis pour Alice et Chris… La vie est trop belle pour être gaspillée.

Sur le retour, j’appelle les parents. Il était inutile de les réveiller à trois heures du matin pour qu’ils prennent le volant et s’endorment sur la route par manque de sommeil. C’est Papa qui décroche, tant mieux, on va rester dans l’ultra-rationnel. Arrivée à la maison, je réveille Chachou. Lui non plus, je ne voulais pas le réveiller plus tôt que nécessaire. Je vais partir et il aura besoin de toute son énergie pour jongler entre le travail et les enfants. Je lui explique la situation et m’effondre dans ses bras. J’évacue la tension.

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