16. Alice

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La boule que je sens grossir en moi comme une tumeur depuis tout à l’heure est devenue énorme. Elle m’oppresse de plus en plus tandis que je me précipite vers une borne libre-service pour retirer mon billet. J’ai du mal à respirer, mais je m’estime heureuse de trouver l’écran libre et fonctionnel. Je ne peux pas louper ce train. Je ne pourrais pas supporter de rester un jour de plus chez mes parents.

La vélocité de cette machine ne ferait pas honte au Minitel s’il avait encore voix au chapitre. Je profite des changements de page pour repérer le numéro du quai sur le panneau d’affichage. Ouf, c’est le plus proche. Trente secondes plus tard, j’ai mon billet en main. La voix SNCF annonce la fermeture imminente des portes. Je lance un regard rapide à l’horloge et commence à courir vers le quai, tout en maudissant cette sale manie qu’ont pris les TGV de fermer leurs portes deux minutes avant le départ.

Je me jette dans la première voiture à ma portée quand les portes se referment. Je suis essoufflée, je fume trop. Je reprends ma respiration un instant avant de regarder mon billet. Voiture 15, place 89. Je suis dans la voiture 2. Fantastique.

Une dizaine de minutes plus tard, je suis installée. C’est enfin fini. J’ai un livre et mon ordinateur pour m’occuper, il n’y a plus qu’à se laisser aller. Comme mon esprit n’est pas encore assez libre pour lire, j’opte pour une bonne vieille série britannique.

L’homme à mes côtés ronfle déjà. Sa moustache poivre-et-sel fait des vagues au-dessus de ses lèvres qui pendouillent et s’inclinent au passage régulier de son souffle. Si seulement Chris était là, à sa place, près de moi ! J’ai hâte de le revoir malgré la légère appréhension que je ressens comme à chaque fois, je me demande toujours à quoi il pense quand je ne suis pas là… Ne s’est-il pas déjà rendu compte qu’il est mieux, finalement, sans moi ? Les premiers instants sont toujours critiques quand on ne s’est pas vus depuis un certain temps : on doit réapprendre à partager sa solitude, se ré-apprivoiser, et on reprend de vieux réflexes pour se mettre à l’aise… J’évite de trop y penser. Je préfère m’imaginer lovée dans ses bras, la tête posée contre son torse et le cœur irradié de chaleur.

Je lui envoie un message pour lui dire que je suis dans le train. C’est inutile puisque je lui ai déjà donné les horaires hier, mais ça le rassure. Une demi-heure plus tard, le train s’arrête à Nantes. Je meurs de faim. Je profite de la pause pour acheter des chips, un paquet de fraises Tagada et un Coca au distributeur qui m’attend sur le quai. Après la cure de légumes que je viens de me taper, j’ai l’impression de profaner une tombe. Je reviens vite à ma place et je jouis de ma secrète rébellion en dégustant mes chips une à une, avec délectation. J’en gobe une et j’attends qu’elle fonde sur ma langue avant de m’autoriser à la mâcher longuement, m’attachant à en distinguer chaque saveur avant de l’avaler. Je répète le même rituel avec les bonbons, entre deux gorgées de ce breuvage immonde qui m’excite les papilles.

21h48, le train ralentit… Le bonheur n’est plus très loin.

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