15. Chris

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A vingt-deux heures, pas de nouvelle d’Alice. Le train doit pourtant être arrivé depuis dix minutes. J’ai toujours peur qu’il lui arrive quelque chose quand elle sort seule le soir. Elle dit que ça ne sert à rien mais c’est plus fort que moi, je crois que j’ai toujours été comme ça. Je suis inquiet et je me sens devenir nerveux. Je lui avais pourtant demandé de me prévenir en arrivant… Je résiste à l’envie de lui envoyer un message, le train doit avoir du retard. Je consulte la liste des retards sur le site de la SNCF mais rien, pas de nouvelle du train. Elle doit déjà être dans le métro. Je lui avais dit de prendre un Uber mais comme d’habitude, elle n’a rien voulu entendre. Je lance un jeu de course de voitures pour éviter de trop penser.

Une heure plus tard, toujours rien. Elle devrait arriver d’une minute à l’autre maintenant. Je suis tombé cinq fois sur sa messagerie. Son portable a dû s’éteindre sans qu’elle s’en aperçoive, ou elle a dû oublier de le recharger avant de partir. Oui, ce doit être ça. Pourtant, une petite voix me dit que ce n’est pas son genre… Je la repousse, mais elle revient à la charge, la garce. Insidieuse, énervante comme une guêpe, attirée par le suc de mon angoisse grandissante ; elle décrit à chacun de ses tours un nouveau scénario, explorant l’étendue du malheur potentiel… Je la connais bien, elle se nourrit de mon imagination et m’empêche souvent de dormir. Je passe en revue tous les sites de faits divers scabreux à la recherche d’un accident de train ou de métro, d’un attentat terroriste ou d’une catastrophe naturelle, tandis que les chaînes d’information tournent en boucle à la télé. Rien.

Des images de femmes violées et assassinées se détachent maintenant à l’horizon de mon champ des possibles. J’hésite encore à appeler la gare. Je déteste appeler des inconnus au téléphone, on s’embourbe inévitablement dans un marécage de conventions dont on ne peut espérer émerger qu’une fois le combiné raccroché. Mais cette fois, il ne s’agit pas de prendre rendez-vous chez le dentiste. Je décide d’attendre encore une demi-heure avant d’appeler.

Je recommence un tournoi pour patienter mais rien n’y fait, je n’arrive pas à me concentrer sur l’écran. Mon regard se tourne inlassablement vers mon téléphone qui lui, reste imperturbable. Quarante minutes plus tard je me décide à appeler la gare, espérant fortement voir Alice débarquer d’un moment à l’autre pour mettre fin à ce calvaire.

Après cinq minutes de musique électronique, une voix artificielle m’informe que la conversation va être enregistrée. La voix suave d’un standardiste surgit soudain du haut-parleur de mon portable :

— Services SNCF bonsoir, Jean-Paul à votre écoute.

— Bonsoir, excusez-moi de vous déranger, je voudrais savoir s’il y a eu des retards de trains à l’arrivée de Montparnasse ce soir.

— Hum, de quel train vous parlez ? Vous avez le numéro ?

— Le numéro du train ? Non, je ne l’ai pas. Il venait de la Roche-Sur-Yon, il devait arriver vers 21h50.

— La Roche-Sur-Yon ? Attendez que je regarde ça… Je ne vois rien. Vous êtes sûr qu’il y avait un train ?

— Oui, je suis sûr ! Il venait peut-être des Sables d’Olonne… Vous pourriez vérifier s’il-vous-plait ?

— Les Sables ? Ah oui, c’est bien ça, vous auriez dû le dire tout de suite ! Le TGV a quitté les Sables à 18h07, il a fait un arrêt à la Roche-Sur-Yon et est reparti à 18h39. Il est passé à Nantes à 19h27 et est arrivé à 21h49 à Paris, comme prévu.

Rien à en tirer. Je raccroche, dépité.

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