4. Ariane

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Je suis encore sur ces tableaux Excel, je vais voir quel prétexte je peux trouver pour aller me promener, les tableaux financiers urgents attendront encore un peu. De toutes façons, je serai plus efficace le jour de la deadline. Alors je vais aller regarder s’il y a un Fanta au frais. Pas de Fanta mais du Coca. Bonne pioche. Adalbert est dans son bureau :

— Adalbert, tu pourrais rappeler le rigolo du Ministère du Plan pour l’Accord Cadre ? On est à quatorze jours de la date d’expiration de l’accord actuel. Franchement, ça fait six mois qu’on leur court après, qu’on les invite chez nous, qu’on leur paye l’hôtel et des frais de mission exorbitant pour qu’ils aillent faire leur shopping de fromage et de pomme de terre, alors bon, ils pourraient au moins faire un petit effort.

— Oui Madame Ariane, j’ai eu Jean-de-Dieu au téléphone, il m’a confirmé qu’il pourrait nous envoyer la version électronique du document avant la fin de la semaine pour qu’on le signe et qu’on lui renvoie pour signature.

— Ok, merci c’est cool, l’essentiel c’est d’y croire. On est ensemble, comme on dit au Congo.

Allez, je vais m’occuper du dossier donations de motos et voitures. Je vais voir si je trouve des ONG locales qui fonctionnent, plutôt que de donner ça au Ministère de la Santé ou de l’Agriculture. Ils n’ont pas les moyens de payer leurs employés, alors encore moins de mettre de l’essence dans une moto ou de payer des pièces de rechange. La moto risque de se retrouver à l’arrêt au bout d’un mois, et six mois plus tard il ne restera plus qu’une carcasse mangée par les herbes, cannibalisée par les malins qui passeront par là pour réparer les motos-taxis.

Dans l’encadrement de la porte de mon bureau apparaît le gardien, un peu gêné comme toujours, comme s’il avait peur de déranger ou pire, peur de moi. Ça fait trois mois que je le croise tous les jours, mais je ne sais toujours pas comment il s’appelle. Je m’en veux, et je n’ose plus lui demander, je suis moi-même trop gênée.

— Oui, vous pouvez entrer.

Sans un mot, il me tend le quart d’une feuille A4 qui fait office de billet d’audience, pour que je puisse lire qui veut me voir. C’est la DGI, la Direction Générale des Impôts. Des charognards qui harcèlent les ONG, qui sont pourtant certainement les seules structures à payer leurs impôts rubis sur l’ongle. Le problème c’est que l’argent part directement à Kinshasa et qu’il n’est bien sûr jamais redistribué aux provinces. Alors on reçoit un défilé d’administrations réelles ou fictives qui viennent contrôler nos comptes pour trouver n’importe quel défaut de déclaration imaginaire avant de nous envoyer une amende exorbitante dont les bases de calcul n’existent que dans la tête de ceux qui les rédigent. Les ONG sont poussées à négocier et se retrouvent à payer quelques centaines de dollars qui serviront à financer la rentrée scolaire d’enfants de fonctionnaires dans le meilleur des cas, ou plus souvent des maisons, des voitures ou les frais d’entretien d’un ou plusieurs « deuxièmes bureaux ». Le deuxième bureau c’est la relation extra-conjugale. C’est une institution, la preuve que l’on est un vrai homme… La réciproque pour les femmes n’est bien entendu pas valable.

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