XXVIII Parfois, il pleut...

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Alec

En ce lundi matin, je me réveillai anxieux. Nic n'avait pas refait surface et je commençais à vraiment m'inquiéter. Je me levai et allai me servir un café. Les morceaux de la boîte de Soan étaient posés devant moi, sur la table, et je pris mon petit-déjeuner en les observant. Je levai les yeux et regardai ce petit studio dans lequel je vivais la semaine. Je repensais à mon frère qui lui, vivait avec mon père et mon cœur se serra à cette idée. De l'avoir près de moi hier m'avait troublé. Il me manquait terriblement et j'avais de plus en plus de mal à supporter toute cette situation. Le voir sans pouvoir lui parler, mentir, feinter, était un terrible supplice. Il fallait vraiment que tout cela cesse et que notre famille soit de nouveau réunie.

Je me levai et déposai ma tasse dans l'évier. Je cachai les débris, pris mon sac et partis en direction de l'école.

Judith

Assise dans le bus à côté de Soan, j'écoutais Mila parler à son meilleur ami. Ces deux-là étaient vraiment inséparables. J'appuyais ma tête contre l'épaule de So et il m'entoura de son bras. Je fis le chemin le sourire aux lèvres en savourant ce court trajet en bus. Mila rayonnait en racontant toutes sortes de choses réelles ou pas au chauffeur et moi, je restai là dans le silence à me réjouir de tous les petits et bons moments que m'offrait la vie.

J'avais suivi le conseil de mon père et avais fait en sorte que ma mère ne rêve pas. Si j'arrivais à maintenir mon petit manège plusieurs jours, elle pourrait dormir en reposant son corps et son esprit et ainsi, elle pourrait remonter la pente gentiment. Peut-être bien que je me berçais d'illusions mais si mon père se dépêchait de revenir comme il me l'avait promis, et que nous formions de nouveau une famille alors ma mère s'en sortirait. Il fallait juste qu'elle tienne bon d'ici là.

Je pris la main de So et regardai nos doigts qui s'entrecroisèrent. Cette nuit, quelque chose de décisif s'était produit et j'espérai que la mission ait réussi. J'allai procéder à la réparation de sa boîte prochainement et le libérer ainsi de ces maudits qui le gardaient sous leur joug.

  • On est arrivé ! s'écria Mila.

Elle me tira de mes pensées et, après avoir salué son ami, nous allâmes la déposer à l'école.

  • Tu as des nouvelles d'Élé ? s'enquit Soan.
  • Oui, elle passe la matinée avec sa mère, dis-je en montant les marches du lycée. Elle ne viendra que cet après-midi.
  • Comment va Emma ?
  • Ça va. Elle a repris un peu de poids et elle remonte la pente. Et toi, ton père, toujours pas réveillé ?
  • Non, toujours pas.
  • Pourquoi tu n'es pas passé hier ? demandai-je. Tu as tout juste répondu à mes messages.
  • Je voulais rester seul. J'ai croisé ton père et il m'a raconté son plan. Je ne sais pas trop si c'est une bonne chose pour lui. J'ai peur qu'il ait perdu le contrôle et que les choses aient dégénérée.
  • T'inquiètes pas ! le rassurai-je. Mon père est coriace !
  • Oui, c'est aussi ce qu'il m'a répondu. Mais bon, je pense qu'il ne sait pas où il a mis les pieds, confia-t-il en m'ouvrant la porte donnant sur le couloir des salles de classe. Je n'ai pas eu de nouvelles de lui ce matin et toi, tu sais quelque chose ?
  • Non, je n'ai pas eu de ...
  • Judith ! m'appela Alec.

Je me retournai et le vis s'approcher de nous.

  • Mr Aubry ? Bonjour !
  • Soan, le salua-t-il en lui tendant la main que Soan saisit. Judith, je dois te parler, accompagne-moi dans mon bureau, s'il te plaît.
  • Oui, bien sûr je... So, on se rejoint à la fin du cours.
  • C'est pas le mec du parc ça ? me glissa-t-il à l'oreille. Ça va aller ?
  • Oui, ne t'en fais pas, je t'expliquerai, chuchotai-je.
  • Ça marche alors, dit-il en déposant un baiser sur ma main qui était dans la sienne. À tout à l'heure. Monsieur Aubry, le salua-t-il en reculant vers la salle de cours.

Alec pressait le pas sans dire un mot. Il ouvrit son bureau et nous entrâmes. Il referma vite la porte et me dit :

  • Des nouvelles de ton père ?
  • Non. Des nouvelles de la boîte ? lui renvoyai-je.
  • Oui, j'ai tous les morceaux. Par contre, j'ai perdu ton père.
  • Comment ça perdu ?
  • Il a perdu le contrôle, avoua-t-il nerveux.
  • Mais encore ?
  • Ils l'ont cherché, ces maudits font toujours ça... Sauf que lui, il a perdu les pédales, il s'est emporté et les a fracassés. Ils ont lancé le code rouge, et plusieurs troupes sont arrivées et ont fini par avoir raison de lui.
  • Et ? m'inquiétai-je.
  • Et je ne sais pas, Judith ! s'emporta-t-il en se passant les mains dans les cheveux. Je vais y retourner pour voir où ils l'ont mis et je te donnerais des nouvelles dès que j'en aurais.
  • Mon père est fort, il s'en sortira.
  • Ton père est impulsif ! s'énerva-t-il.
  • Oui, peut-être mais...
  • Mais quoi ? me dit-il en me foudroyant du regard. Il est entre leurs mains et ils vont lui faire Dieu sait quoi. Il devait nous protéger lors de la réparation. Soan est l'un d'eux pour l'instant et quand il sera avec nous, ils le sauront. J'ai besoin de personnes supplémentaires pour veiller sur vous à ce moment-là. Vous allez vous faire attaquer, c'est évident. Tu ne pourras pas lutter et réparer la boîte de Soan en même temps. Il va falloir réfléchir et ne pas faire n'importe quoi. C'est une chance extraordinaire pour mon frère et il est hors de question qu'ils viennent l'entraver.
  • Calme-toi, Alec, tempérai-je. On trouvera une solution.
  • Bon, soupira-t-il, oui, on va trouver ça !
  • Tu verras, ça va aller, dis-je en m'asseyant.
  • Tiens, Judith, me dit-il en sortant les morceaux de la boîte de Soan de son sac. Voici les débris de la boîte.
  • Euh... fis-je perplexe.
  • Tu dois les avaler.
  • Hein ? Mais je...
  • N'aie pas peur, Judith, je vais te montrer.

Je pris les morceaux de la boîte dans mes mains et à mon contact, ils scintillèrent. Alec se rapprocha de moi et pencha ma tête en arrière. Il prit les morceaux et ils se transformèrent en liquide épais, au fur et à mesure qu'ils coulaient au goutte-à-goutte dans ma bouche. J'étais en train d'avaler des gouttes de lumière. Chaque morceau contenait deux gouttes jaune, et une rouge. Il regardait les gouttes descendre le long de mon gosier. Elles s'éteignirent et je me redressai perturbée et angoissée.

  • La boîte de mon frère est en toi maintenant. Prends-en soin, Judith.
  • Je...
  • Ne doute pas, s'imposa-t-il en me saisissant par les épaules et avec un regard percutant.
  • Alec, j'ai peur tout d'un coup, et si je n'y arrivais pas ? lançai-je en baissant les yeux.
  • Regarde-moi, Judith, ordonna-t-il. Tu vas y arriver ! Le doute tue le pouvoir. Tu ne dois pas te laisser gagner par lui. Je suis là, et j'ai prévu du renfort pour toi.
  • Ah, oui ?
  • Oui, Lucas et Irène seront là, ainsi que nos cousines. Ma mère sera aussi de la partie.
  • Ta mère ? Mais je pensais qu'elle était trop faible.
  • C'est son fils, prononça-t-il en se détournant de moi. J'ai dérobé sa boîte à Maudit qui la gardait cachée. Je la lui ai remise. Elle risque d'y laisser la vie cette fois-ci, mais elle ne veut rien entendre. D'un autre côté, elle sait que tu auras besoin de soutien car Soan a un cœur spécial. C'est pour ça que ton père doit être là. Il y a trop de personnes en jeu.
  • Je comprends mieux ton inquiétude.
  • Nous allons faire bloc et nous y arriverons ensemble.
  • Oui, tu as raison, dis-je en entendant la sonnerie de la fin du cours. Je devrais y aller maintenant. Quand est-ce qu'on fait ça ?
  • Laisse-moi un jour ou deux, que je puisse chercher ton père, dit-il en me raccompagant à la porte. Au plus tard mercredi. Tu rêves quand tu es prête. Je te rejoindrais où que tu sois, au moment que tu auras choisi. On attend tous après toi.
  • Okay. Et les morceaux ? demandai-je en me touchant le torse.
  • Tu risques d'avoir un peu de vertiges et de nausées. C'est normal, ce n'est pas ta boîte et ton corps fera sûrement un rejet, mais d'ici mercredi ça devrait aller. Il faut une journée complète de l'autre monde pour que ton corps l'expulse et tu sais que ça équivaut à une semaine ici.
  • Très bien. Et pour le jour J, je fais comment pour la sortir ?
  • Ne t'en fais pas pour ça. Des femmes formidables te guideront.
  • Bon, tout m'a l'air mis en place. On se donne rendez-vous mercredi au plus tard alors.
  • Super ! m'enlaça-t-il. Reste forte d'ici là et ne doute pas, okay ?
  • Okay, Alec ! fis-je en me dégageant. Allez, j'y vais.
  • À très vite ! fit-il en m'ouvrant la porte.

Je sortis de son bureau complètement chamboulée. Je marchai vers mon cours suivant quand Soan m'attrapa le bras et m'entraîna dans les escaliers. Tout le monde était entré en cours et nous étions seuls. Il me coinça dans un coin et me releva la tête pour que je le regarde dans les yeux.

  • Qu'est-ce qu'il te voulait ?
  • Euh...

Ma gorge et mon plexus commencèrent à laisser s'échapper la lumière de ce qui avait en moi. Il posa sa main sur mon cou et la descendit pour suivre la lumière. Mon pouls s'accélérait faisant palpiter mon cœur comme un tambour.

  • Ta boîte est en moi, Soan, soufflai-je. Et elle doit y rester pour le moment.
  • Je suis trop heureux que tu l'aies. Ton père a donc réussi ! sourit-il.
  • Oui, et pour l'instant, nous n'avons pas de nouvelles de lui.
  • Qui ça nous ?
  • Euh...
  • Monsieur Aubry est dans le coup ?
  • Euh... Oui, il est avec nous.

Il s'éloigna de moi et fit quelques pas sur le palier. Mon corps s'éteignit et s'apaisa.

  • Quand aura lieu la réparation ?
  • Je ne sais pas, je lui laisse jusqu'à mercredi pour retrouver mon père. On aura besoin de lui pour nous protéger.

Il se rapprocha de moi et mon corps réagit immédiatement. Il m'embrassa et me sourit.

  • Je te fais de l'effet dis donc ! plaisanta-t-il.
  • Oui, je te le confirme ! l'attirai-je encore plus près de moi.

Il entoura mon visage de ses mains chaudes et plongea son regard dans le mien. Il m'embrassa encore et je passais mes mains sous ses habits. Sa peau frissonna sous mes caresses et il se colla contre moi. Nos langues se rencontrèrent et une forte nausée m'envahit. Je le repoussai brusquement et m'appuyai contre mes genoux, la tête baissée, prête à vomir. Il voulut se rapprocher de moi mais je tendis la main pour lui faire comprendre qu'il ne valait mieux pas. Je respirais fort et mal. Je réussis néanmoins à formuler.

  • Soan, reste loin. Je ne dois pas faire de rejet d'ici mercredi.
  • Oui, Judith, excuse-moi. J'aurais pas dû...
  • Elle doit rester à l'intérieur. Tu comprends ?
  • Oui, bien sûr. Ça va ?
  • Ouais, ça va. Juste, reste loin, hein?
  • D'accord, d'accord... dit-il en levant les mains.

Le reste de la journée se déroula sans trop d'incidents. Élé fit son apparition l'après-midi, et me raconta sa matinée passée avec sa mère. Je lui racontais, dans les grandes lignes, les événements survenus et elle n'en revint pas. Elle me proposa de rester avec moi jusqu'à mercredi et de dormir chez moi et j'en fus ravie. J'allais enfin pouvoir profiter d'elle et vraiment décharger tout ce que j'avais sur le cœur. S'il y avait bien quelqu'un qui pouvait me soulager, c'était bien elle et de l'avoir jusqu'à mercredi près de moi était salvateur. Il me tardait qu'une chose : quitter ce lycée et me retrouver avec elle. Nous entrâmes en cours de chimie le sourire aux lèvres, trop heureuses de s'être retrouvées.

Éléonore

Durant le cours, je pensais à ce qui s'était passé dans la vie de ma meilleure amie. Cette fille était vraiment la personne la plus forte que je connaissais. Je ne savais pas comment elle pouvait supporter l'absence de son père, l'alcoolisme de sa mère et en plus tous ses rêves et leurs mystères. Il me tardait la fin des cours pour que nous puissions nous retrouver et que je puisse lui poser toutes les questions qui me taraudaient l'esprit. Pensive, je regardais par la fenêtre la pluie qui tombait soudainement. L'automne était bien là, avec ses temps changeants. Les gouttes s'abattirent sur la vitre avec violence et je les observais glisser tout le long. La sonnerie annonçant la fin des cours retentit et j'en fus soulagée. Enfin, cette journée prenait fin.

Ju rangea ses affaires et nous partîmes. Je la vis sourire discrètement à Soan puis nous quittâmes l'école. Nous attrapâmes le premier bus et nous nous y réfugiâmes. La pluie recommençait à tomber fortement et, après avoir salué notre ami le chauffeur, nous nous installâmes au fond du bus, seul endroit où il restait deux places.

Arrivé devant chez elle, le bus s'arrêta et elle descendit. Moi je rentrais chez moi préparer quelques affaires et je la rejoindrais ensuite pour des petits moments entre filles bien mérités. Nous allions enfin pouvoir souffler un peu.

Je me retournai pour lui faire signe par la vitre arrière pendant qu'elle s'apprêtait à traverser. Il pleuvait toujours intensément et le bus attendait pour se réinsérer dans la circulation. Soudain, je vis une voiture arriver à toute allure et Ju qui allait s'engager sur le passage piéton. Elle se mit à courir pour traverser et je n'eus pas le temps de crier, que la voiture la percuta de plein fouet. Son corps s'écrasa contre le capot de la voiture et sa tête heurta le pare-brise en le brisant sur le coup. Son corps fut projeté plusieurs mètres plus loin et mes cris s'étouffèrent dans mes pleurs. J'entendis la voiture aller en percuter une autre qui était stationnée dans le sens opposé. Je me précipitai vers la porte en tapant dessus pour que le chauffeur l'ouvre. Nos regards se croisèrent et je vis qu'il était choqué par ce qui venait d'arriver. Il m'ouvrit en vitesse et descendit lui aussi. Je passai devant la voiture accidentée et le chauffeur de la voiture releva la tête et me toisa. Il avait une grosse cicatrice sur le visage et je remarquai que sa voiture n'avait pas de plaque d'immatriculation. Il redémarra brusquement et s'enfuit. Je me précipitai vers Judith qui était inconsciente. Je la touchai délicatement et le chauffeur, au téléphone avec les secours, lui prit le pouls et vérifia sa respiration.

  • Pas de pouls, me dit-il.

Je ne l'entendais plus. Ses lèvres bougeaient mais je ne captais plus les sons qui en sortaient. Je ne répondais plus. J'étais complètement choquée.

  • Élé ! hurla-t-il. Élé ! Judith a besoin de nous, reviens-nous !
  • Je...
  • Je dois lui faire un massage cardiaque, tiens-moi le telephone que nous puissions rester en ligne avec les secours.

Je me repris et attrapai son mobile. Il déchira les habits de ma meilleure amie et commença à compter. Son pauvre corps était de nouveau pressé par les gestes salvateurs du chauffeur.

Une Gis affolée et bouleversée fit son apparition. Elle n'était pas assez vêtue pour être sous une pluie battante. Elle vint prêter main forte et nous entendîmes la sirène des secours qui arrivaient. Ils prirent vite Judith en charge et son pouls revint cogner en elle. Son coeur de battante, bien qu'instable, reprit du rythme, nous soulageant tous de son bruit raisonnant dans le scope du Smur.

La police arriva et le camion enfermant ma moitié et sa mère, s'enfuit vers l'hôpital. Moi, je restais là, sous un ciel qui pleurait pour moi toutes les larmes que je n'avais plus.

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