XXV Parfois, il faut respirer...

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  • Mais papa ! m'écriai-je. Qu'est-ce qu'il te prend ?
  • Judith ? s'étonna-t-il. Mais qu'est-ce que tu fiches ici ?
  • C'est plutôt à moi de te demander ça, non ?

Alec, cloué au sol, se débattait. Il se retourna et, d'un geste rapide, dégagea ses bras. Ses manches se relevèrent juste assez, laissant un tatouage apparaître : "tornaré". Il joignit ses poignets et au contact, il les fit disparaître tous les deux.

Alec

Transportés dans un monde où j'étais bien plus à l'aise pour me battre, les règlements de comptes débutèrent. Je commençais à en avoir ma claque de son mauvais caractère. Je sortis mon lasso et l'emprisonnai dedans.

  • Alors Nic ? l'interpellai-je en reprenant mon souffle. Tu ne veux pas te calmer et me dire les choses tranquillement ?
  • Détache-moi ! cria-t-il plein de nerfs. Espèce de faible ! Tu n'es rien sans ton lasso !
  • Okay, comme tu voudras ! dis-je en le libérant.
  • Et maintenant tu ne veux pas...
  • Viens par là, m'attrapa-t-il.
  • Attends Nic ! On pourrait peut-être juste discuter comme des hommes.
  • Tu n'es pas un homme ! s'énerva-t-il.

Il commençait sérieusement à me fatiguer. Nic était un homme bien trop impulsif et cela nous mettait tous en danger. Il attirait l'attention et les mauvais commençaient à arriver. Je lui flanquai une bonne droite et il alla s'écraser contre l'arbre. Je fondis sur lui et le coinçai sous moi.

  • Tu vas te calmer et respirer un bon coup ! ordonnai-je. Avec tes conneries d'égo tu les attires. Mais qu'est-ce que tu cherches à la fin ?
  • Ferme-la, Alec ! Tu savais qu'il y avait des conditions !
  • Écoute Nic, dans tous les cas, nous devons en parler calmement. Alors, ou tu te calmes ou je te pique, okay ?
  • Tu as gagné en force, trou du cul. Allez, lâche-moi ! se défit-il.
  • Viens, allons dans notre cachette, nous pourrons discuter librement.

Nous traversâmes la forêt et rejoignîmes notre planque. Bien enterrée, elle se dissimulait parfaitement sous les feuilles qui jonchaient le sol. Nic alluma une torche et s'assit à sa place habituelle. Moi, en face de lui, je le laissai commencer.

  • Bon, tu as deux minutes pour m'expliquer pourquoi Rodrigues est le voisin de ma femme, exigea-t-il.
  • Mon père est venu ici à cause de Judith.
  • Quoi ? S'il touche à...
  • Ne t'emballe pas Nic. Depuis que ma mère est hors-jeu, il nous fallait un autre réparateur de boîte, et tu le sais très bien ! déballai-je.
  • Mais Judith ne sait pas...
  • Si, elle sait ! Elle a réparé la boîte d'Agathe et créé la boîte de Mila.
  • De Mila, dis-tu ?
  • Oui, de Mila... fis-je en baissant la voix. Elle m'a choisi et je m'occupe d'elle.
  • C'est toi qui t'occupes de Mi ?
  • Oui, c'est moi.
  • Mais je...
  • Et cette nuit, j'ai retrouvé Judith chez moi, elle cherchait au sol les souvenirs de ce qu'il s'était passé. Certainement pour retrouver les morceaux de la boîte de Soan.
  • Mais...
  • Elle est notre chance Nic ! À nous trois, nous pourrions sauver Maria, Rodrigues et Beny !
  • Beny est mort, Alec, arrête avec ça.
  • Nous n'en sommes pas sûrs et tu le sais. Perdrais-tu confiance ?
  • Non, non, mais on parle de ma fille, là ! dit-il en tapant du poing sur la table.
  • Je te ferai dire que ma mère est presque morte ! m'emportai-je. Mon frère n'a plus de boîte et mon père erre dans la forêt comme un fou ! Alors, ne viens pas faire le pauvret avec moi !
  • Je...
  • Tu les as toujours mises de côté ! Tu les as laissées à leur sort ! On n'échappe pas à son destin ! Si la boîte de Mila a pris vie, c'est que les choses vont se gâter. On doit se bouger et faire bloc. Judith a de nombreux pouvoirs, elle est forte et elle monte Zorig.
  • Zorig ? s'étonna-t-il.
  • Oui, la monture de Beny. C'est un signe, tu ne crois pas ?
  • Certainement... concéda-t-il en s'adossant au mur.
  • De toute manière, Judith n'en fait qu'à sa tête, affirmai-je. C'est une fonceuse. Les choses ont commencé sans nous et elle pourrait très bien les mener à bien sans notre aide. C'est juste trop risqué pour elle. Avec Lucas et toute la bande, nous pourrions tout faire basculer et enfin nous libérer. On doit faire alliance avec eux. À nous tous, nous serions invincibles.
  • Il faut tout leur dire et les préparer, lança-t-il en regardant devant lui. Ils ne peuvent pas y aller comme ça !
  • Nous allons réparer la boîte de Soan. Puis, nous allons reformer la boîte de mon père. Ensuite, en réunissant certaines de nos possibilités, nous pourrions remonter le temps et voir si Beny est bel et bien mort. Si c'est le cas, nous verrons avec Lucas s'il veut, ou pas, être de la partie. Et s'il est bien vivant, nous reformerons notre clan. Beny, toi, papa, maman et moi ! Los Cuervos serait enfin reconstitué.
  • Quel est le prix à payer, Alec ? dit-il en se tournant vers moi. Regarde-nous ! À vouloir faire les sauveurs, on y a laissé nos familles. Elles sont détruites !
  • Et combien en avons-nous sauvées ? Tu as bien vu ce que les enfants subissent là-bas ! On ne peut pas les abandonner.
  • Oui, je sais... souffla-t-il. Où as-tu mis les débris de Soan ?
  • Ils sont dans la taverne de Maudit.
  • Quoi ? Mais qu'est-ce qu'il t'a pris de les mettre là-bas ?
  • Après chaque maison dévastée, il m'y enfermait pendant des heures parce que je pleurais. J'ai creusé un trou et les y ai cachés. Maintenant que j'en suis sorti, je sais qu'il y enferme quelqu'un d'autre.
  • Qui ça ?
  • Mon frère...
  • Ton frère ? Mais bordel ! Comment on va faire ?
  • Tu dois en informer Soan. Il faut prendre son apparence et lui, doit rester éloigné le temps que j'y aille.
  • Tu ne peux pas y aller seul ! C'est de la folie !
  • Je sais ! Tu vas venir avec moi !
  • Quoi ?
  • Tu seras Soan, et moi, je serais une fouine dans ton sac. Je me chargerai des morceaux et toi, tu feras diversion. Qu'est-ce que tu en dis ?
  • Tes pouvoirs se sont améliorés ?
  • Oui ! affirmai-je. Je les perfectionne !
  • Ton plan m'a l'air d'être le meilleur, avoua-t-il. Quand est-ce qu'on y va ?
  • Le plus tôt sera le mieux. Toi, tu t'occupes d'avertir Soan et ramène-lui cette seringue tant que tu y es, et moi, je m'occupe d'aller en reconnaissance.
  • Okay ça marche. Il faudrait quand même prévenir Judith. Et je ne veux plus que ton père s'approche de ma famille. Cette condition est toujours d'actualité. Compris ?
  • Oui, je m'occupe de mon père et de Judith !

Nous nous tapâmes dans la main et nous sortîmes, bien heureux d'avoir trouvé une nouvelle issue à notre vie de fugitif. Nous arrivions à passer au travers des mailles jusqu'à présent, mais vu le sort de Beny, nous savions très bien que la traque ne s'arrêterait pas là.

Alors que nous étions en train de recouvrir la porte de notre planque, nous vîmes Gislann qui traversait la forêt en courant et en pleurant. Elle fuyait comme si elle était poursuivie.

Nic voulut s'élancer à sa poursuite mais je le plaquais au sol. Je lui masquai la bouche avec ma main et il se débattait comme un lion en sortant des sons gutturaux.

  • Tais-toi Nic, putain ! chuchotai-je. Tu vas nous faire repérer.

Il ne cessait de geindre. Nous vîmes Lucas et Irène la rattraper. Gal les transportait. Irène banda son arc et flécha sa sœur d'un tranquillisant. Elle s'évanouit d'un bon et avec ma main tendue, je transformais la composition du sol pour qu'il devienne moelleux et que sa chute soit douce. Ils me regardèrent et me firent un signe de la tête. Je le leur rendis puis ils prirent délicatement Gislann, et la hissèrent sur le dos de Gal. Lucas monta ses bras au ciel, tapa ses poignets et nous les vîmes disparaître.

Nic se relâcha, et je sortis de sur cet homme décomposé. Il me regarda apeuré et murmura :

  • Tu as vu les écailles sur ses yeux, toi aussi ?

Il se redressa, me regarda et se dissipa.

Irène

  • Son état empire. Valéria, ma fille, apporte-moi du ginseng, de la sauge et du gingembre. Ah, j'allai oublier, un peu de maté aussi, s'il te plaît.
  • Oui, j'y vais.
  • Lucas, apporte-moi une plume de Gal que je puisse remuer tout ça.
  • Très bien !

Valéria me rapporta le tout et sortit rejoindre sa sœur. Je pris tous les ingrédients et les fis infuser quelques instants. Ma sœur se mourait bien trop vite et ses écailles étaient de plus en plus épaisses. Elles mettaient plusieurs jours à tomber et cela en devenait inquiétant. Bien que nous ne soyons pas très proches, elle restait ma sœur. Vu notre gémellité, plus elle s'éteignait, plus je m'affaiblissais. Elle devait reprendre du poil de la bête. Elle se laissait aller encore une fois à son désespoir. Son côté obscur et dépressif refaisait surface. Il y a de ça quelques années, nous avions réussi à le vaincre. Ses écailles étaient apparues, mais avaient disparu au bout de quelques jours. Il fallait savoir qu'une journée dans ce monde équivalait à une semaine dans le monde réel. Tout se répercutait plus intensément ici. Nos sentiments étaient plus forts et plus sincères. Qu'ils soient bons ou mauvais.

La plume de Gal faisait chatoyer le breuvage. Il prenait toute sorte de couleurs. Je remuai encore quelques instants et le posai sur la table. Je pris la tête de ma sœur et la lui penchai en arrière, elle ouvrit la bouche et je vis un bâillon qui se formait dans la bouche. Inquiète, je retournai son visage pour regarder dans ses oreilles et n'y vis rien. Je regardai dans ses narines, rien ne s'y logeait non plus. Je la libérai de ce petit bâillon et lui fis vite avaler mon breuvage revigorant et réparateur. J'allai ensuite, écraser un mélange de thym, de mauve, de pélargonium et d'eucalyptus et en garnis ses orifices et ses yeux. Je la laissai se reposer et se remettre. La potion ferait effet dans quelques minutes et le réveil devrait être douloureux. Nausées et vomissements seraient de la partie, elle gémirait de douleur et de mal-être puis, se réveillerait dans le monde réel sans s'en souvenir.

Quand Lucas entra, il la vit ayant les orifices bouchés de plantes. Il vint s'asseoir à table avec moi, la regarda et me dit :

  • Le processus est avancé ?
  • J'ai retrouvé un bâillon qui prenait naissance dans sa gorge et qui remontait dans sa bouche.
  • Combien de temps lui donnes-tu ? demanda-t-il.
  • Elle est déjà aveugle, elle sera bientôt muette, déclarai-je. Une fois qu'elle ne pourra plus crier, il sera de plus en plus difficile de la retrouver dans la forêt. J'ai bien peur que la surdité ne la gagne rapidement. Quand elle n'entendra plus non plus, ses narines se boucheront et elle s'éteindra. Je ne connais pas les délais. La mort vient et nous prend bien trop vite. Tu sais ce qui rôde dans cette forêt n'est-ce pas ?
  • Oui, malheureusement...
  • Tu comprends pourquoi je ne peux pas te donner une estimation de temps. Ce que je me demande, c'est pourquoi elle abandonne encore une fois.
  • Je me suis posé la même question. Et quand j'ai vu Nic dévasté dans la forêt, j'ai vraiment ressenti toute sa peine, avoua-t-il.
  • Celui-là aussi ! m'énervai-je. À faire les chevaliers avec les autres, il en oublie sa famille. Si ma sœur n'a plus la force de lutter et qu'elle finit par s'éteindre, qu'adviendra-t-il de mes nièces ?
  • Judith est forte, Irène.
  • Tout le monde se repose sur elle sans vraiment penser à elle. Elle ne peut pas tout supporter, Lucas, ce n'est qu'une enfant, il ne faut pas l'oublier.
  • Oui, c'est vrai, affirma-t-il. Mais nous sommes là nous ! Nous prendrons soin d'elles.
  • Le monde réel est régi par des règles Lucas, contestai-je. Leur père n'apparaît sur aucun papier et je suis terrée à l'autre bout de la terre. Je te rappelle que je vis sous un autre nom, ainsi que Val et Agathe et ta mère aussi d'ailleurs. Comment allons-nous faire ?
  • Je... réfléchit-il.
  • Même toi, tu ne peux pas sortir de l'ombre. Tout cela m'angoisse, Judith est grande, mais Mila ?
  • C'est compliqué... concéda-t-il.
  • Il faut que les choses rentrent dans l'ordre dans la tête de ma sœur. Il n'y a que par ce biais-là que leur trio n'éclatera pas.
  • Comment faire, Irène ?
  • Nous devons continuer de veiller sur elle. J'inventerai d'autres potions, d'autres mélanges, il doit bien y avoir un remède !
  • Irène, tu sais bien que cela doit venir d'elle.
  • Oui, je le sais... soufflai-je. Le seul moyen pour retarder tout ça est de continuer à veiller à l'entrée de la forêt. Nous devons l'empêcher d'y rentrer et de s'y perdre. Judith ne doit pas avoir à se soucier de tout ça. Si elle veut réparer la boîte de Soan, elle doit rester concentrée. Cela va lui demander beaucoup d'énergie et nous devons tous être là pour la soutenir. Cela sera éprouvant pour elle. Surtout que la vie de Soan va lui être exposée et cela risque d'autant plus de l'ébranler. Tu sais tout comme moi que Soan ne se souvient pas lui-même de tout ce qu'il s'est passé, et j'ai peur que la haine ne le gagne avant que sa boîte ne soit réparée. Une fois qu'elle sera exposée, rien ne pourra être dissimulé.
  • Oui, je sais...
  • La boîte de Soan renferme un cœur pur. Et je pense qu'il faudra être deux dans sa reconstitution, annonçai-je.
  • À qui penses-tu ?
  • À Iris, annonçai-je.
  • Mais je pensais qu'elle ne...

Quatre coups secs se firent entendre. Je les renvoyai puis ils nous revinrent en écho. Nul doute, le code familial résonnait. J'ouvris le passage en feuille qui nous cachait et Alec apparut.

  • Ma tante ! me serra-t-il contre lui.
  • Mon petit, lui rendis-je. Ça faisait trop longtemps !
  • Lucas, le salua-t-il. Viens par là !
  • Pas trop fort Alec ! s'étouffa-t-il.
  • Je croyais que tu ne referais plus surface... fis-je les larmes aux yeux.
  • C'est pour ça que maman et toi me l'avez gravé dans la peau. Je reviendrai toujours tatie ! m'embrassa-t-il. Comment va Gislann ?
  • Pas super, dit Lucas, elle commence à être muette et nous ne savons pas combien de temps il lui reste.
  • Quelle tristesse... se détourna-t-il. Je suis venu pour vous dire que Nic et moi avons enfin trouvé un plan !
  • Ça tombe bien, m'exclamai-je, parce que nous aussi ! Il inclut juste une personne de plus.
  • Ah oui ? m'interrogea-t-il. Qui ça ?
  • Ta mère, mon chou. Ta mère...

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