VIII Parfois, c'est inattendu...

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Soan

Le réveil ne sonna pas ce matin. Le week-end était vraiment le meilleur des moments de la semaine. Je repensais à tout ce qui s'était passé hier. Je brûlais les étapes avec Ju et je devais lui laisser du temps pour se remettre de tout ce qu'elle découvrait. Il y avait eu des disputes, des cris et de mauvais souvenirs qui remontaient... Je me posais vraiment beaucoup de questions sur ma mère et mon frère. "Comment se faisait-il que je n'aie plus aucune nouvelle ? Comment était-il possible qu'une famille puisse autant se déchirer ?" Je regardai le plafond essayant de me remémorer de bons moments passés tous ensemble. Il n'y en avait pas beaucoup... Depuis notre dernier échange, tous les liens étaient coupés. Cela faisait cinq longues années que j'essayais de tenir le coup. Heureusement que Lucas n'était jamais très loin. Depuis toujours, il était un ami bienveillant.

Notre rencontre d'hier nous avait appris un nouvel élément : les pouvoirs pouvaient se transposer dans le réel. Il avait essayé de me téléphoner hier soir, mais j'avais loupé son appel. J'irai certainement chez lui cet après-midi pour reparler de tout ça.

Je décidai de me lever et d'aller voir mon père, toujours enfermé. J'ouvris la trappe pour voir comment il allait :

  • Papa ? questionnai-je doucement.
  • Mon fils, comment vas-tu ? me renvoya-t-il en souriant.
  • Tu as tout rangé ? m'étonnai-je.
  • Oui, je me sens beaucoup mieux. Cet épisode était dur, mais j'ai fini par reprendre le dessus.
  • Tu veux sortir ? lui proposai-je.
  • Non, je ne préfère pas. Je vais bien. Je préfère rester ici jusqu'à demain.
  • Sors au moins prendre le petit-déjeuner avec moi Papa, insistai-je.
  • Très bien, ouvre-moi fils.

Je mis la clef dans la serrure, puis la tournai avec beaucoup d'appréhension. "Et si c'était trop tôt ?" Une fois la porte ouverte, il me serra dans ses bras de façon trop brusque à mon goût. Nous allâmes au salon pour nous attabler. Je sortis couteaux, cuillères, beurre et confiture pour les tartines et il m'attrapa par le poignet.

  • N'oublie pas mon cachet surtout.
  • Oui tout de suite, lui dis-je en me dégageant.

Je rajoutai un calmant dans sa boisson et nous mangeâmes sans trop parler. Je voyais bien qu'il tenait de moins en moins en place. Il n'était pas tout à fait revenu à lui. Finalement, une journée de plus enfermé dans son garde-fou, bien à l'abri de lui-même, n'était pas de trop.

Une fois tout avalé, je le reconduisis, sans trop de difficultés, dans sa chambre. Je refermai bien la porte derrière moi, le laissant ainsi aux pouvoirs merveilleux de la médecine. Je le vis par la trappe, se coucher sur un matelas d'infortune, s'emmitouflant dans une couverture de honte. Il pleurait, recroquevillé sur lui-même, sans avoir quelqu'un vers qui tourner son esprit pour partager un peu sa misère. Il resta là, seul avec tout ce que cela comprenait. Pas d'issue de secours pour lui. Il devait se battre contre lui-même sans essuyer une défaite. Le dur combat de sa vie résidait dans la maîtrise du monstre qui vivait en lui. Et il avait pour seule alliée, une plaquette de cachets...

Je pris mon sac, ma veste et mon casque puis sortis en courant de cet endroit déprimant.

Arrivé au bas de l'immeuble, je vis encore cet homme qui me regardait... Je traversai la rue pour rejoindre le parc d'en face. J'ôtai chaussures et chaussettes et mis mes pieds dans l'herbe humide. J'étendis ma veste sur le sol et me couchai dessus. Les mains dans l'herbe, je profitais de cet instant avec tous les sens possibles. J'entendis les cris et les rires des enfants qui jouaient plus loin. Je me redressai sur les coudes pour les observer. Ils étaient pleins d'innocence et de joie. Leurs parents jouaient avec eux, débordant d'amour. Je vis Judith qui poussait Mila sur la balançoire. Elles riaient toutes les deux. Soudain, cet homme s'approcha d'elles. Je me redressai complètement, sur le qui-vive. Je les observai et je vis Judith prendre Mila pour aller plus loin. Elle regardait derrière elle s'assurant qu'il ne les suivait pas. Sa démarche me rappelait vaguement quelqu'un. Cet homme m'avait l'air familier. Les épaules basses portant sa lourde déception, il partit loin de nous. Les deux sœurs finirent par traverser la rue et se dirigèrent vers la supérette. Je ramassai mes affaires et partis dans leur direction.

Judith

  • Bonjour Monsieur Alrich!
  • Bonjour ma petite Judith, m'accueillit le vieil homme. Je suis content de te revoir. Cela fait quelques jours que ta sœur et toi ne me rendez plus visite. Ta mère va mieux ?
  • Oui, ça peut aller. Nous venons vous prendre quelques bonbons et deux pains au chocolat.
  • Très bien les filles, alors aujourd'hui je vous offre les bonbons ! Allez donc vous choisir ceux que vous voulez !
  • Mais je...
  • Tu ne dis rien Judith et tu y vas !
  • Okay, me résignai-je.

J'emmenai Mi qui trépignait d'impatience. Nous prîmes un panier et nous allâmes le remplir de bonbons. Au moment de régler nos petits achats, je donnais bien plus que ce que ce cher Monsieur Alrich me demandait, lui criant de garder la monnaie en m'enfuyant.

En sortant précipitamment, je bousculai Soan.

  • Mince, pardon !
  • Eh bien ! dit-il surpris, où vas-tu comme ça ?
  • Je fuis Monsieur Alrich. Il est tout le temps en train de nous offrir des petits trucs. Ça me gêne tellement... Enfin bref, comment tu vas depuis hier ?
  • Ça va merci et vous deux alors ? Je vous ai vu dans le parc en train de jouer.
  • Il y a un monsieur très bizarre qui est venu nous embêter tout à l'heure ! lui raconta Mi. Ma sœur lui a dit de...
  • Mi, ça suffit ! la repris-je. Arrête un peu de tout répéter !
  • Tu as des ennuis Ju ? me questionna-t-il en me sondant du regard.
  • Mais non, ce n'est rien, laisse tomber ! Ça vous dit qu'on aille se balader autour du lac ?
  • Je dois être rentré pour midi, est-ce que c'est loin ? demanda-t-il.
  • Ne t'en fais pas, c'est juste derrière le parc, à quelques minutes à pieds.
  • Okay, allons-y alors ! me dit-il enthousiaste.
  • Un bonbon pour la route ? lui proposai-je en lui tendant mon paquet, bien rempli.
  • Pourquoi pas ?

Il plongea la main dans le sac puis nous fîmes la route en plaisantant. Mi marchait devant nous en courant, en sautant et en rigolant, la bouche pleine de sucreries. Ce moment était juste parfait. Les paquets finis et le tour du lac fait, nous rentrâmes tranquillement. So portait Mi sur son dos et moi je portais son sac. Un échange qui m'allégeait grandement. Arrivés sur le palier, Mi rentra directement. Je rendis le sac à Soan qui le récupéra en me frôlant la main.

  • Merci pour elle, lui dis-je en montrant Mi, elle aime trop qu'on la porte.
  • Ça m'a fait plaisir de passer du temps avec vous. Judith, je suis désolé pour ce qu'il s'est passé hier soir. Je ne veux pas t'en rajouter tu sais...
  • J'y ai réfléchi moi aussi et je pense qu'on ne devrait pas aller trop vite. C'est pas que je ne veuille pas mais c'est juste qu'avec tout ce qu'il se passe, je ne sais plus trop où je vais. En plus, je préfèrerais qu'on se connaisse mieux avant que... enfin, tu vois de quoi je parle.
  • Je comprends ne t'inquiètes pas. Prends le temps qu'il te faut.

Puis m'embrassant sur la joue cette fois-ci, il rentra chez lui. Faisant de même, je refermai la porte laissant sur le palier de nombreux sentiments qui s'entremêlaient, créant une alchimie naissante entre deux enfants qui se rattachaient l'un à l'autre.

Je servis le repas et constatai avec mépris que ma mère ne s'était toujours pas levée.

  • Ju, elle est où maman ?
  • Elle doit sûrement dormir encore ma chérie. Viens, mets-toi à table, je vais te servir de quoi manger.
  • Tu sais, j'ai fait un méchant rêve cette nuit, me dit-elle, soudainement.
  • Ah oui ? lui répondis-je tout ouïe. Raconte-le moi, je veux tout savoir !
  • J'ai rêvé que Cassandra me volait mon stylo quatre couleurs, commença-t-elle à voix basse. Elle le jeta par terre pour le casser ! Je me suis mise en colère et tout d'un coup il a plu et fait des orages. On aurait dit que j'avais un super pouvoir, Ju !
  • Un super pouvoir ? Wouah ! Tu en as de la chance toi ! Allez n'y pense plus ma puce, tiens, mange et reprends des forces. Cet après-midi tu vas à l'anniversaire de ta nouvelle amie Lucie et nous devons encore lui concocter un petit cadeau. Alors dépêche-toi !
  • Des œufs et des haricots ? Encore ? me dit-elle en faisant la moue.
  • Oui, ma puce. Ne fais pas cette tête de pauvrette... Allez !
  • Okay, okay... souffla-t-elle.

Elle se pinça le nez et avala ce modeste repas. Une fois ingéré, nous filâmes dans notre chambre préparer un petit quelque-chose pour Lucie. Quelques instants plus tard, nous regardâmes cette carte d'anniversaire improvisée. Le rendu était plus que bon. Satisfaites, nous mîmes le tout dans une enveloppe puis Mi y ajouta quelques bracelets et colliers en perle. Le paquet dans le sac, nous nous apprêtions à sortir. En passant devant la porte de la chambre de ma mère, je l'entendis chuchoter des choses. Je me hâtais de sortir pour que Mila ne l'entende pas elle aussi.

Une fois dehors, nous allâmes attendre le bus.

  • Une heure de bus Mi, tu es sûre ?
  • Oui, ma copine habite dans une belle et grande maison, tu sais. Elle est chic, elle !
  • Ah elle est chic, elle ? dis-je en rigolant.
  • Le bus est là ! s'exclama-t-elle.

Une fois installée, Mila me raconta tout ce que j'ignorais sur sa super et chic, nouvelle meilleure amie. Elle habitait une très grande maison. Lucie lui avait expliqué le trajet que nous devions faire et une fois que les maisons rouges étaient passées nous serions arrivées. Je la regardais parler comme une grande avec des gestes et des manières. Elle portait un serre-tête rose, une jupe tutu avec collants et un petit haut brillant. Elle avait l'air d'une vraie chipie. Son apparence contrastait avec son caractère et cela en était que plus drôle. Nous rigolions toutes les deux comme de vieilles amies se racontant les derniers ragots. Le trajet passa vite et je ne vis pas la direction que prenait le bus.

  • C'est là, Ju ! s'écria-t-elle.

Je reconnus directement l'arrêt de bus. La maison de Lucas n'était pas loin... Je me laissai guider par Mi qui me mena jusqu'à chez lui.

  • Mi, tu es sûre que c'est là ? lui demandai-je, stressée.
  • Oui sûre et certaine ! Lucie m'a dit que sa maison avait un très grand portail ! Il faut appuyer sur le bouton noir et quelqu'un nous ouvrira ! Tu as déjà vu ça, Judith ? Un portail qui s'ouvre tout seul ? C'est magique ! Allez, Ju appuie sur le bouton !
  • Euh Mi, je... Bon okay ! Voilà, j'appuie !

Mes sentiments étaient très partagés. Je bouillais de colère et d'incompréhension. Comment se faisait-il qu'elle habite ici ?

  • Bonjour les filles ! Entrez donc, Lucie vous attend ! nous dit Ancelin dans l'interphone.

Le portail s'ouvrit sur un long chemin blanc et bétonné, bordé d'une pelouse magnifiquement bien entretenue. Je n'avais jamais vu une allée aussi parfaite. La maison devant nous était une grosse bâtisse récente. Tout paraissait hors norme. Tout ce luxe me ramena à ma misère. Comment Soan pouvait-il avoir un meilleur ami vivant dans une telle opulence ? Et comment Valéria pouvait-elle en être tant amoureuse ? Toutes ces questions se transformèrent en un épais mystère...

Nous arrivâmes devant la porte d'entrée et nous toquâmes gentiment.

  • Ju, m'interpella Mi. J'ai oublié de te dire quelque chose : Lucie a un frère. Il s'appelle...

La porte s'ouvrit sur Lucas.

  • Judith ! me salua-t-il. Content de te voir !
  • C'est ton ami, Ju ? me demanda Mila.
  • Euh...
  • Mais oui Mila ! Ta sœur et moi sommes bons amis. C'est bien qu'elle soit là, je ne serais pas tout seul. Va vite rejoindre Lucie dans le salon.

Elle partit en trottinant. Toute contente, elle se retourna pour me faire signe de la main. Je lui renvoyais son sourire ne laissant rien transparaître puis, d'un geste brusque et inattendu, Lucas me tira par le bras et me conduisit dans une pièce. Il ferma la porte puis me dit :

  • Il faut qu'on parle et cette fois-ci, tu ne vas pas t'échapper !

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