Chapitre 3 : Le petit pansement

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Monsieur Humbert est assis sur le lit, collé à sa femme, le bras sur ses épaules. Une photographie, ou plutôt un tableau, un moment tendre auquel Emma n’a jamais assisté jusqu’ici.

A son arrivée, elle avait trouvé la porte ouverte. Les températures ont grimpé cette semaine, le printemps s’installe gentiment. Emma était donc entrée, fait une pause dans le hall au carrelage en damier, jeté un coup d’œil dans la cuisine en appelant Monsieur Humbert.

Sa voix lui avait dit de monter, qu’ils étaient tous les deux dans la chambre.

Elle a cédé à ses pieds fatigués, et abandonné ses escarpins bleus au bas de l’escalier.

Ils sont adorables. Ils se regardent avec complicité.

- « Bonjour, peut-être que je vous dérange ? » questionne Emma avec malice.

- « Ah, vous voilà, ma petite Emma. »

La sacoche posée légèrement sur le fauteuil bleu annonce le début des soins.

Monsieur Humbert est resté cette fois. Il a pris sur lui, s’est sermonné, a décidé. Il sera là à chaque fois désormais. Médical ou amical, il assistera à chaque geste.

Dans le miroir, tous les matins, il s’entraine à créer des expressions faciales correctes. La joie, la tristesse, l’ennui, la colère (celle-là, il n’en a pas trop l’usage, mais c’est utile de la reconnaître), la déception, l’attention… Les personnes qui ont le syndrome d’Asperger vivent dans un labyrinthe dont ils doivent étudier le plan avec minutie, mais parfois le plan est faux, et c’est là que tout se complique. L’être humain est complexe, mais le cerveau d’un Monsieur Humbert est magnifiquement extraordinaire.

Heureusement Clémence a tout compris, ou elle devine plutôt ; l’amour et l’habitude font des miracles. Monsieur Humbert – au fait, c’est Jean – a peur pour lui, mais il la surmonte chaque jour car il a peur pour elle.

- « Monsieur Humbert, je vous nomme infirmier assistant ! Vos allez poser ce pansement, il faut se lancer maintenant ! » rit Emma.

Il a saisi le ton taquin, et ses mains fébriles prennent avec délicatesse la compresse pliée en quatre sous les quelques centimètres de sparadrap. Il le place sur l’auréole rosée autour de la veine bleue qui affleure.

- « C’est très bien fait ! ». Verdict de professionnelle. « Mon apprenti est doué. Je vous emmènerais bien avec moi pour mes autres visites, mais Clémence ne sera pas d’accord ! » Les gloussements sont unanimes.

Clémence se racle la gorge, et annonce :

- « On a quelque chose à vous dire… »

Les mots solennels lui sautent aux yeux. Les yeux de l’infirmière papillotent de surprise attendent, s’attendent à tout ; son cœur bat un peu plus vite.

- « Jean et moi, on a depuis quelques temps un projet qui nous tient à cœur. » Emma cache son malaise ; il faut qu’elle bouge ; elle retire sa sacoche du fauteuil et s’assoit. Son dos se cale bien au fond, sa colonne vertébrale bien droite a besoin de repos. Elle cède finalement et s’affaisse.

- « On sait bien que ça ne semble pas raisonnable… on part.

- Vous partez ! Où ? Des petites vacances, bonne idée ! espère-t-elle. Elle prétend, elle joue à. Son attitude enjouée peut à peine cacher la panique que Clémence a perçu dans ses cils. Elle a compris.

- « Nous partons en Suisse.

- C’est loin, ça. » Les yeux d’Emma commencent à briller dangereusement .

- « Vous partez combien de temps alors, la comédie continue, parce qu’il va falloir qu’on s’organise pour les soins. »

- « On reste, ma chère Emma. »

Non ! Pas ça !

- « Moi, en tout cas. Jean reviendra, lui, un peu plus tard. »

Non. Impossible.

Les doigts d’Emma se sont crispés, et ses ongles ont essayé de rentrer dans la garniture des bras du fauteuil.

- « J’ai quelque chose à vous demander Emma. »

Les larmes empêchent la jeune femme de voir nettement le sourire triste de Clémence, et son visage qui se tourne vers Jean. Elle le regarde fixement, mais continue de parler à Emma.

- « Mon mari aura bien besoin de vos visites, en amie. Et vous l’avez constaté, son café est délicieux, et ses biscuits, je n’en parle même pas ! »

Comment fait-elle ?

A présent les larmes glissent lentement ; l’une d’elles traîne un peu le long de son nez, termine sa descente à la commissure de ses lèvres tremblantes. Elle n’arrive plus à prononcer le moindre mot. Elle ne saurait même pas quoi dire de toute façon ; et puis sa gorge est anesthésiée de douleur.

Elle s’avance, prend les mains ravinées de Clémence. Le regard délavé d’Emma se suspend à la vie de Clémence, tente de la retenir, sans parvenir à la faire plier. C’est trop tard. Sa décision est prise depuis longtemps. L’adieu est pour aujourd’hui. Je n’ai rien vu.

Emma viendra prendre son café chaque semaine au retour de Jean. Il lui racontera les souvenirs de Clémence. Ceux qui l’apaisaient, ceux qui l’empêchaient de dormir les derniers temps. Il continue de tester son second degré sur Emma-la-Bleue.

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