Fêtes (4)

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Je déjeune au rez-de-chaussée avec les autres, seul Shusendo n'est pas là. C'est une autre journée de travail qui commence pour moi, il n'empêche que même si je suis côtoyée la plupart du temps par des mecs chelous qui pensent davantage avec leurs pantalons qu'avec autre chose. J'aime bien ce boulot qui me permet de virer les gens avec la seule et unique raison qu'ils gênent le service ; c'est beaucoup trop jouissif comme pouvoir et à force les obsédés se font rares, c'est un plus non négligeable vu qu'ils m'empêchaient de faire mon boulot. Les jours se suivent les uns les autres jusqu'au vingt-trois décembre, Shusendo est rentré avec Ai dans son fauteuil roulant, elle est emmitouflée dans une couverture avec son ours en peluche. En les voyant, je leur demande :

–Alors ! Pressé de fêter Noël ?

Ai me regarde en levant un sourcil :

–Noël ?

Elle tourne la tête vers son frère, qui lui répond :

–C'est une fête religieuse, un peu comme 正月. Et on offre des cadeaux aux enfants qui sont sages.

–Ah ! Alors, vous aussi, vous priez temple et regardez soleil se lever ?

–Euh… on a bien la messe à Noël, mais on ne reste pas éveillé jusqu'à l'aurore.

–Oh ! Alors, vous sonnez cloche ?

–Les prêtres le font, oui.

Elle regarde son frère :

–C'est pas pareil du tout alors !

–C'est ce qui s'en rapproche le plus, vu que Noël n'existe pas chez nous.

Je leur dis :

–Sacré choc des cultures. Après si tu veux, tu peux assister à la messe, pour voir comment ça se passe ici.

Son visage s'illumine et me demande :

–C'est vrai, je peux !?

–Je pense pas qu'il y aura de problème à ce que tu y assistes. On peut même demander au prêtre tout de suite, je n'ai rien d'autre à faire.

Ai regarde Shusendo, elle rejoint ses mains et fait des yeux de chien battu :

–Je peux y aller ?

Il détourne le regard en râlant, je me joins à Ai en disant :

–Aller ! Dis oui !

Il croise les bras, je continue :

–Steuplait ! Steuplait ! Ai se joint à moi, Steuplait ! Steuplait ! Steuplait !

–Ça va ! J'ai compris ! On va y aller !

Nous crions ensemble :

–Ouais !

Et nous nous tapons dans la main, Shusendo se frotte les yeux et me dis :

–Bon, on peut y aller maintenant, comme ça on n'aura pas à le faire à la dernière minute.

–Oui, bien sûr !

–Laisse-moi juste déposer ses affaires et on y va.

Nous nous rendons à la seule église de la ville, j'espère juste que nous aurons le prêtre Morteille, que nous surnommions "Mon père Mortel" quand nous étions petits, parce qu'il était génial. Or si c'est l'abbé Singlait ce n'est pas gagné, lui, nous l'avions surnommé "le père Cinglé", sévère et parfois même méchant. Je tire la petite porte d'entrée et rentre dans l'église, Ai s'émerveille en disant :

–C'est grand !

L'écho résonne dans tout le bâtiment, Shusendo murmure :

–Impressionnant effectivement.

J'entends la voix aigrie de ce vieil abbé qui demande :

–Qui est là ? Et que voulez-vous ?

L'abbé descend des escaliers et apparaît devant nous :

–Excusez-nous, père Singlait, mais j'avais une question à poser à Mon père Morteille, serait-il ici ?

–Malheureusement pour vous, il est en ce moment avec monsieur le maire, je ne sais pas quand il sera rentré. Mais je peux peut-être répondre à votre question à sa place mon enfant.

Je suis abasourdie par sa bienveillance, remarque ça fait longtemps que je ne l'ai pas vu, il s'est peut-être assagi :

–J'ai amené avec moi, deux étrangers qui aimeraient participer en tant que spectateurs à la messe de minuit. On voulait être sûr de votre approbation plutôt que de débarquer à l'improviste.

–Toute âme errante est la bienvenue dans la maison de notre seigneur. Puis-je voir de plus près le visage de vos deux invités ?

–Oh ! Oui bien sûr.

Je me retourne et vois Shusendo et Ai devant une statue de la vierge Marie tenant son enfant dans ses bras. Nous nous rapprochons d'eux, une fois suffisamment rapproché, je leur dis :

–Ai t'on vœu a été exaucé, tu vas pouvoir assister à la messe de Noël.

–Génial !

Elle se rend compte qu'une seconde après de son cri et de l'écho qui va avec :

–Euh… désolée.

–Ce n'est rien mon enfant, je me présente, je suis l'abbé Singlait, je vais animer la messe avec le père Morteille.

Ai penche sa tête en signe de révérence :

–Enchantée de vous rencontrer.

Elle se relève et regarde l'abbé dans les yeux :

–Je vois que vous regardiez la vierge Marie et son fils Jésus.

Ai tourne la tête vers la statue et demande :

–Ce sont eux vos dieux ?

Il les regarde sévèrement et demande :

–Vous ne connaissez donc rien au catholicisme ?

Je prends leur défense avant qu'il ne commence à les insulter de sauvages :

–C'est de ma faute, je n'ai pas jugé bon de les prévenir sur notre foi.

Ses yeux me jettent des éclairs, il s'apprête à me faire un sermon quand j'entends la porte d'entrée grincer et vois le prêtre Morteille rentrer, il nous remarque et demande :

–Oh ! Des visiteurs ! Que nous vos donc cette visite ?

L'abbé nous montre de la main :

–Cette enfant m'a demandé si ses amis étrangers pouvaient assister à la messe de minuit, comme je vous connais, j'ai accepté à votre place, malheureusement, ils ne connaissent rien de notre foi.

Il se rapproche de nous en disant :

–Qu'à cela ne tienne ! Il suffit qu'on leur explique.

Je lui dis :

–Je vous remercie Mon père.

J'entends Ai chuchotée :

–Ils sont tous de la même famille ?

Cette phrase n'est pas tombée dans l'oreille d'un sourd et l'abbé allait lui remonter les bretelles, juste avant que le prêtre n'éclate de rire :

–Ah ah ah ! Non ! Nous ne sommes pas de la même famille, c'est un titre.

–Ah ! Euh… désolé.

Il rit de plus belle :

–Tu n'as pas à t'excuser, mon enfant. Allez ! Suivez-moi, je vais vous expliquer dans les grandes lignes notre religion.

Nous nous déplaçons autour des bancs en expliquant de manière compréhensible le christianisme. Il en profite pour nous montrer les vitraux et les différents objets de messe, puis il finit par la bible, Ai lui dit :

–C'est un gros livre.

–Et oui, on peut faire plus petit, mais je risque d'avoir du mal à lire.

Il continue en nous montrant le premier rang :

–Vous pourrez vous mettre ici, comme ça vous pourrez voir sans gêner la circulation avec votre fauteuil.

Shusendo regarde le couloir du milieu et demande :

–Pourquoi ? La rangée du milieu est une meilleure place pour voir, non ?

–Durant la messe, il y a l'hostie et tout le monde fait la queue dans ce couloir.

–Hostie ?

–C'est le corps du Christ, on l'accompagne de son sang et les fidèles reçoivent tous une part.

Ai plisse les yeux :

–Vous mangez un humain ?

Le prêtre éclate à nouveau de rire, tandis que l'abbé lui jette un regard noir :

–Non, c'est une image, il prend une coupole qui est sur l'autel, tu vois, ce sont juste des petits morceaux de pain, c'est son corps et son sang, c'est du vin.

–Ah… J'ai eu peur.

–Ah ah ah ! Oui effectivement ça peut faire peur. Bon bah je crois qu'on a fait le tour.

Je lui dis :

–Je vous remercie, Mon père, d'accepter leur présence parmi nous demain soir.

–Ce n'est rien mon enfant.

J'entends Shusendo dire :

–Bah, je sais pas.

Le prêtre leur demande :

–Un problème ?

–Ai demande si elle pouvait venir en 着物.

–Ki…mono ?

–Un habit traditionnel, qu'on utilise lors de grandes occasions et pour les fêtes religieuses.

–Montrez-moi à quoi ça ressemble au juste.

Il sort son téléphone et nous montre une photo d'Ai qui est habillé par de long vêtement à motif floral, elle est vraiment beaucoup trop mignonne habillée comme ça. Je sais que Morteille lui ne résiste pas face à tous ce qui est mignon et dira oui, le prêtre réfléchi quelques secondes et finit par dire :

–Ce sera avec un grand honneur de te recevoir avec ses habits.

J'avais raison, il n'a pas résisté, l'abbé proteste :

–Mais vous n'y pensez pas !

Morteille le coupe :

–Je sais ce que j'ai dit et puis nous sommes pareils avec nos accoutrements religieux.

Ai baisse la tête en disant :

–Je vous remercie infiniment.

–Ce n'est rien, revenez demain pour dix-huit heures, je vous attendrais avec impatience.

Nous partons de l'église et nous rentrons à l'immeuble, le lendemain, j'en profite pour donner mes chocolats à Jessie qui est vraiment au plus mal, durant l'après-midi Shusendo aide Ai à enfiler son habit ; ils mettent plusieurs heures avant de finir et le résultat est parfait. Je la regarde sous toutes les coutures, elle est réellement beaucoup trop mignonne habillée comme ça, je ne peux m'empêcher de gémir :

–Han ! T'es trop mignonne !

Je ne résiste pas et je la prends en photo. Taïba, Claire, Aziz, David et Cynthia me rejoignent de ce côté en poussant, eux aussi, un gémissement attendri. Je vois des larmes monter aux yeux de cette dernière, je lui demande légèrement amusée par sa surréaction :

–Ça va aller Cynthia ?

Elle se positionne à côté du mur et le frappe en hurlant :

–Her cuteness it's OVER NINE THOUSAND !

Ai se crispe et le rouge lui monte aux oreilles, ce qui la rend encore plus attendrissante. J'entends Taïba demandée à Claire :

–Je veux un enfant comme ça, on en fait un aujourd'hui ?

C'est maintenant Claire qui rougit, j'ai l'impression de voir deux tomates côte à côte. Je demande au groupe :

–Qui vient pour la messe de minuit ?

David qui s'est habillé au féminin, me répond le premier :

–Sans moi.

Taïba et Claire me disent en même temps :

–Non ! Taïba ajoute, De plus, ils n'acceptent pas les homos.

Cynthia acquiesce :

–Ironique quand cette même religion prêche l'amour entre les hommes. Et pour moi, c'est non aussi.

Aziz me dit :

–Le christianisme n'est pas venu jusqu'à ma porte, et de ce que j'avais compris, la plupart du temps, ils nous insultaient juste de sauvage.

Max qui est en train de lire me répond :

–Pas fan des crétins, euh des chrétiens !

Je regarde Gloriam qui n'a pas dit un mot depuis tout à l'heure. Lui aussi est habillé en femme. Il est plus intrigué par les décorations de Noël, je l'interpelle :

–Et toi Camille, tu veux venir ?

–Je sais pas, je risque de faire une bêtise, non ?

–Mais ne t'en fais pas, tu peux juste regarder.

–Bah pourquoi pas.

Il regarde les autres, Max le rassure :

–Tes choix t'appartiennent. Tu sais parfaitement t'en sortir maintenant, non ?

Il hoche la tête :

–Bon bah, je viens.

Je regarde mon téléphone, dix-sept heures cinquante, je panique :

–Vite ! On va être en retard !

J'attrape mon manteau et on rejoint l'église, l'abbé Singlait entrave la porte et dès qu'il nous voit arrivé, il nous dit toujours de sa vieille voix aigrie :

–On vous attendait, prenez place, la messe va commencer.

L'église est noire de monde, des regards indiscrets se tournent vers nous au fur et à mesure que nous avançons vers le premier rang. La plupart sont des retours sont positifs, du genre "elle mignonne" où "je voudrais les mêmes habits" en plus des gémissements attendris. Malgré tout ça, j'entends quand même un où deux commentaires "c'est quoi ce cirque ?" et "qui sont ses guignols ?" Heureusement que Taïba n'est pas venue, je tourne la tête vers Shusendo. Il leur jette un regard noir, ses yeux brûlant de haine envers tous ceux qui osent insulter sa sœur, Gloriam lui se tourne dans tous les sens pour admirer les illuminations et la taille du plafond. Comme l'avait dit Morteille, il nous a fait une place au premier rang et je reconnais une tête qui est juste à côté. Estelle et ses parents, nous nous mettons en place, je suis à ses côtés, je laisse le banc pour mes amis, je lui glisse :

–Ça fait longtemps qu'on n'a pas été à l'église ensemble.

–Tu l'as dit, qui sont ceux qui t'accompagnent ?

–Je te présente Camille, ma voisine, Shusendo qui est aussi mon voisin et il est avec sa petite sœur Ai.

Elle jette un œil et me dit :

–Han ! Elle est trop mimi.

Je lui souris :

–J'ai eu la même réaction, si tu le veux, je t'enverrai une photo que j'ai prise.

–C'est beaucoup trop gentil, ils sont pratiquants ?

–Non, ils voulaient en savoir plus et le père Morteille à accepter de les recevoir et leur permet d'assister à la messe de minuit.

Le père d'Estelle se penche vers nous :

–Le père Morteille à autoriser ce cinéma ?

J'avais oublié à quel point il pouvait être irritant son père, il a tout d’un entrepreneur, costard cravate, coupe au carré, barbe rasé, chaussures en cuir ; le genre de personne qui n’est pas habitué à ce qu’on lui dise non, je lui réponds le plus calmement possible :

–Il a même insisté pour qu'elle se présente avec son habit religieux traditionnel.

Il retourne à sa place en disant :

–Quel blasphème.

Je suis sûre qu'en ce moment Shusendo doit l'insulter de tous les noms d'oiseau qu'il connaît, le prêtre arrive et commence la messe, elle se finit dans le calme, Morteille vient directement à notre rencontre :

–Je suis ravi de te voir, il t'a fallu bien du courage pour venir.

–J'étais gênée, mais ils ont tous été gentils avec moi.

–Oui, j'ai vu ça. Alors qu'en avez-vous pensé ?

–C'est totalement différent de qu’on fait chez nous.

–J'imagine le choc que ça doit être de vivre si loin de chez soi.

–Tant que je suis avec mon frère, ça me va.

Shusendo lui demande :

–On va pouvoir rentrer ? Un bon repas nous attend à la maison.

–Oh oui bien sûr, aller vous sustentez, sachez que vous serez toujours les bienvenus ici.

–Mon père, vous n'y pensez pas !

C'est le père d'Estelle qui vient de crier :

–Arrêté tout de suite cette mascarade !

–Allons, calmez-vous, pourquoi cela vous gêne-t-il autant ?

–Tout cela devient grotesque, ici, il y a des règles et il faut qu'ils les respectent !

–Aujourd'hui c'est Noël, c'est le partage, refusez-vous donc, cette tradition si chère à nos cœurs qu'est l'échange et le pardon.

–Ils ne sont clairement pas chrétiens, donc je vous demande d'arrêter ceci !

–Je leur ai dit qu'ils seraient toujours les bienvenus.

–Mais !

–Suffit ! Morteille est en colère, je ne reviendrai pas sur ma parole, ses enfants seront toujours les bienvenus.

Il tourne les talons et sort en colère, le prêtre se retourne vers nous :

–Désolé pour cette scène.

Ai lui répond :

–C'est plutôt nous qui sommes désolés de vous causer autant d'ennuis.

–Ah ah ah ! Ne vous en faîtes pas, c'est juste un casse-pied, il n'est pas méchant. Allez-y ! Rentrer chez vous avant que le repas ne soit froid.

–Je vous remercie, au revoir !

–À la prochaine !

Shusendo commence à partir, je tourne la tête et vois Gloriam parler avec un garçon, je n'avais pas remarqué qu'il s'était éloigné, je le préviens :

–Camille, on y va !

Il tourne la tête vers moi et me répond :

–Oh ! J'arrive !

Il vient vers moi en faisant au revoir de la main à celui à qui il parlait, il me glisse :

–Merci, j'ai cru que je m'en sortirai jamais.

–Qu'est-ce qu'il te voulait ?

–Il voulait me parler et il m'a posé plein de questions, il m'a dit qu'il m'aimait bien.

Je tourne la tête vers le garçon, on aurait pu lire sur son visage "Je suis amoureux !"

–Je crois qu'il t'aime plus que bien là, il est raide dingue de toi.

Gloriam soupir :

–Il m'a proposé un rendez-vous. J'ai refusé en lui disant "peut-être la prochaine fois".

–Un rendez-vous amoureux dès la première rencontre ? Pas de doute, tu lui as tapé dans l'œil.

Il me répond, effaré :

–Je ne l'ai pas frappé !

J'éclate de rire, il me demande :

–Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a de si drôle ?

–Rien laisse tomber.

Nous rentrons à l'immeuble, le repas est succulent et l'alcool est encore mieux, nous passons au dessert, une délicieuse tarte aux fruits qui feraient des jaloux, nous finissons le repas sur cette note sucrée quand Max nous dit :

–Aller ! C'est l'heure des cadeaux !

Et merde ! J'ai complètement oublié les cadeaux, bon tant pis ! Nous recevons les chocolats faits par David, puis Max me donne deux petits cadeaux bien ficelés, je les ouvre pendant qu'il me dit :

–On s'est dit que ça te serait utile.

Dans le premier il y a un pistolet électrique et dans l'autre une bombe lacrymogène avec une alarme portative :

–Au cas où.

Je souris :

–Merci beaucoup.

–De rien.

Max donne un cadeau à Gloriam :

–C'est quoi ?

–Ouvre-le, tu verras bien.

Il fait ce qu’on lui dit et sort un téléphone portable :

–Vu que maintenant, tu t'en sors très bien, tu vas pouvoir sortir et nous joindre à tout moment.

Tout le monde est heureux, ce royaume est des plus parfaits, nous sommes de joyeux lurons, le nouvel an se passe exactement pareil, sans la messe et avec plus d'alcool :

–Bonne année !

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