Fêtes (3)

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Le reste de la semaine est passé à une vitesse folle, malgré mes insomnies et mes pleurs, je commence enfin à apprécier mon travail. Je demande à Claire durant une de nos pauses :

–Pour Noël, vous faites quoi ?

–Vu qu'il y a des cons qui veulent manger dans des restaurants à Noël, on reste ouvert.

Je déglutis :

–Sérieusement ?!

–Ouais ! Et le jour de l'an, c'est pareil.

Je déprime :

–On va devoir bosser durant les fêtes ?

–Oh ! T'inquiète, c'est généralement que deux, trois familles de richard, mes parents s'en occuperont tous seuls.

–Je me sens désolée pour eux.

–Ils ont l'habitude, tu sais. Et vu que ce sont des cons, on en profite pour leur faire cracher un maximum de thune.

–Ah ouais !?

–Bah qu'est-ce que tu crois, ils les font bosser durant les fêtes, ils n'allaient pas le faire gratuitement. En plus ma mère est la meilleure en persuasion, elle pourrait te faire acheter cinq bouteilles de vin alors que t'en as besoin que d'une seule.

–Impressionnant, tu sais faire pareil ?

–Bien évidemment, à ton avis, pourquoi ils portent mes masques.

–Ah ah ah ! C'est très bien joué de ta part.

Elle me fait un grand sourire en hochant la tête. Je lui demande :

–Du coup Noël, tu le fêtes avec Taïba…

Elle me pince le bras, ah ! C'est vrai que ses parents ne sont toujours pas au courant. Je rectifie ma phrase :

–Tu veux le fêter avec nous ?

–On m'a déjà invité, qu'est-ce que tu crois ?

–Suis-je bête !

–On arrête le service les filles !

Nous répondons tous les deux en même temps :

–Ok !

Notre service se finit en beauté, en rentrant à l'immeuble, je remarque David qui s'affaire en cuisine. Je me rapproche de lui, il est en train de manipuler du chocolat :

–Tu t'improvises chocolatier ?

–C'est pour offrir à Noël, ça passe partout comme cadeau et c'est plutôt neutre.

–Neutre ?

–Si tu fais des motifs neutres, personne ne prendra le cadeau trop personnellement.

Il y a plusieurs moules en plastique avec des motifs différents. Je lui demande :

–J'peux en faire moi aussi ?

–Vas-y ne te gêne pas, j'en ai fait beaucoup trop.

–Euh… par contre comment on fait ?

Il soupire :

–Tu ne sais rien faire par toi-même ?

Je lui crie :

–S'il te plaît montre-moi !

–Ah ah ah ! Tu vois que tu peux être gentille.

Je croise les bras et fait gonfler mes joues :

–Aller, arrête de faire l'enfant et fais comme moi.

Pendant deux heures, je m'entraîne à mouler des chocolats et je suis plutôt douée. J'arrive à faire plein de petit chocolat, David me dit :

–Et soit tu les mets dans une boîte bien rangée, mais c'est franchement pète-couille ! Soit, tu les mets en vrac dans des petits sacs, ce qui est franchement mieux !

Il sort plusieurs petits sacs en toile de jute et prépare ses paquets, qu'il referme grâce à un ruban. Il attache ensuite un fil à un petit papier qu'il noue avec le ruban. En tout, il a fait neuf sacs de chocolat :

–Il reste plus qu'à noter les noms sur le petit papier.

Chaque nom est finement écrit, je lui demande :

–C'est joli comme écriture.

–La calligraphie, c'est tout un art, même si je suis un néophyte en la matière.

Je regarde tous les noms qui sont marqués, il y a Ai, Aziz, Camille, Claire, Cynthia, Max, Rose, Shusendo et Taïba, je lui fais remarquer :

–T'en as pas fait pour toi ni Estelle ?

Il me dit sur un ton détaché :

–Estelle ? Pourquoi je lui en ferai ?

–Euh… t'as pas vu qu'elle ne te quittait pas des yeux ?

–Si, mais je ne ressens rien pour elle… mise à part de la sympathie. Et puis pour ce qui est de moi, je ne vais pas m'offrir un sac de chocolat à moi-même.

Je souris intérieurement. Ouf ! Il n'est pas intéressé par elle :

–Hé bien, je vais régler cela ! Tu recevras des chocolats à Noël et ils seront de moi !

Je sors quatre sacs et les remplis de chocolat. J'en choisis deux ou je mets largement plus de motif à cœur. Je fais exactement pareille que David et referme impeccablement les petits paquets. Je note de ma plus belle écriture les noms David, Émile, Estelle et Jessie. James n'étant toujours pas rentré des Amériques avec son père n'aura rien. Les absents ont toujours tort après tout, j'offre le sien à David :

–Je te l'offre tout de suite ! Sinon, je risque d'oublier !

–C'est bien la première fois qu'une femme m'offre quelque chose.

–Ah bon ? Pourtant, de ce que j'ai vu, tu fais tourner les têtes de plusieurs filles.

–C'est que des cadeaux intéressés, le tien est juste pour moi sans arrière-pensée.

–Comment tu le sais ? Que les cadeaux qu'on t'offre sont faits par intérêt ?

–J'ai appris à voir clair dans le jeu des gens, c'est pour ça que je suis resté avec eux. C'est une véritable famille et on en fait partie.

–Et ta première famille ne te manque pas ?

–Mes frères et sœurs oui, mes parents eux peuvent toujours aller crever.

–T'es le frère d'une fratrie de combien ?

–J'ai deux frères et trois sœurs, on était une famille de huit.

–Était ?

–J'ai fui ma famille, je ne sais pas ce qu'elle devient.

–Et je peux savoir pourquoi ?

–C'est parce que j'étais comme prisonnier, je ne me sentais pas libre, je n'étais tout simplement pas moi.

–Pouvoir t'habiller comme tu l'entendais.

–Des tonnes de flics sont prêts à casser ceux qui ont choisi une autre voie que l'hétérosexualité patriarcale.

–Ici aussi.

–Ouais, mais ici, c'est notre sanctuaire ! Il n'y a aucune règle qui nous limite, aucune qui nous empêche d'être libre !

–Oui, moi aussi, je me sens libre d'être moi ici.

Il me montre avec sa tête les trois derniers paquets de chocolat :

–Tu comptes les offrir quand ?

–Je penche pour la nuit de Noël, un peu avant vingt heures.

Il hoche la tête :

–C'est une bonne idée.

Je range les trois paquets dans mon sac et mets une alerte sur mon téléphone. Je me connais, je vais oublier, bon ! Il reste encore six jours avant noël, il faut que je trouve quelque chose à offrir à tout le monde, autre chose que des chocolats surtout, je trouverais bien quelque chose ! Le plus important maintenant c’est retourner travailler, le soir le service est différent, le restaurant se transforme plus en bar qu’autre chose, beaucoup d'alcool passe entre mes mains ; plus que durant mes beuveries, certains clients commencent à être bien animés, je demande à Claire :

–On fait quoi de ceux qui ne peuvent plus tenir debout ?

–On enfreint la loi, on continue de les faire boire.

–Hein ?

–On a l'interdiction de vendre de l'alcool à des personnes manifestement ivres, après si on est aveugle, on ne peut pas voir.

–Euh ? On fait vraiment ça ?

–Non ! C'était une blague !

Je la regarde droit dans les yeux :

–T'es nulle en blague.

–Quoi ?!

C'est Taïba qui est sorti de nulle part qui a crié, elle continue :

–Elle est au top de l'humour !

Je la fixe :

–T'as bu combien de litre avant de venir Taïba ?

–Chais pas ! J'me suis servie sur les tables des ivres-morts !

Claire lui dit :

–J'te reconnais bien là ! Une vraie petite chipie !

–Oh, tu me connais mieux pour autre chose…aie !

Claire lui a marché sur le pied, elle reprend en murmurant :

–Désolée ! Je parle beaucoup trop…

–Quand t'as bu ! Oui, je sais ! Finit Claire.

À ce moment-là, je sens une main se poser sur mes fesses, surprise, je me retourne en tendant ma main qui rencontre avec violence la joue du tripoteur. Le bruit de la claque résonne dans tout le restaurant, l'homme masse sa joue rouge de douleur en me disant :

–Mais ça va pas !?

–On touche avec les yeux ! La prochaine fois, vous garderez vos mains dans vos poches !

–C'est de vot' faute aussi, à mettre des vêtements aussi aguicheurs !

J'entends Taïba demandé :

–J'peux lui casser les couilles ?

–Fait ça dehors, lui répond Claire.

–Ici aussi y'a l'écriteau "interdit aux fouteurs de merde" ?

Claire acquiesce :

–En quelque sorte, nous c'est plutôt "on se réserve le droit de ne pas servir les clients".

–On peut faire ça ?

–Faut un motif valable, lui, il m'a l'air d'être ivre et en plus, il perturbe le service, ses deux motifs sont OK.

–Donc il n'y a pas de problème pour qu'on le sorte ?

–Non aucun, après, tu peux lui laisser une seconde chance, mais tu fais comme tu veux.

–C'est noté.

Je vois Taïba susurrer à l'oreille de Claire :

–Tu peux me faire mon cocktail favori ?

–Et pourquoi ?

–Fais-le et je t'appellerai trésor.

–J'peux pas résister quand tu me dis ça.

Claire et Taïba retournent au bar, je débarrasse les tables des cadavres de bouteilles et des restes de repas sur un grand plateau. Je m'apprête à passer derrière le bar pour vider les assiettes et jeter les déchets quand je sens une main agripper mon fessier, je sursaute en laissant tomber mon plateau, j'entends la vaisselle et les verres se briser. Je me tourne vers celui qui a osé faire ça et c'est le type de tout à l'heure, j'enrage et en plus avec son sourire de benêt ; il me sort de mes gonds, je lui chope le poignet et le force à me suivre :

–Je crois que j'ai touché le gros lot les gars !

J'ouvre la porte d'entrée et la bloque, d'un coup, je me mets derrière lui en faisant une clef de bras ; l'homme résiste à peine, je le pousse avec mon pied et il tombe la tête la première sur bras ;la neige :

–J'ai dit ! On touche avec les yeux !

Je claque la porte et part chercher une pelle et un balai, je ramasse et jette ce qui a été brisé, une fois le tout terminé Claire vient me voir en disant sèchement :

–Va prendre ta pose !

–Non, ça va t'inquiète !

–Rose ! Tu prends ta pose !

Je crie :

–Pourquoi ?!

Elle baisse d'un ton :

–On a l'impression que tu vas tuer quelqu'un, alors tu te prends dix minutes, tu reviens calme et avec le sourire.

J'abdique face à elle :

–Très bien.

Je prends un soda et sort par la porte de service, elle est à deux pas de l'entrée client, mais elle débouche dans la ruelle, là où nous sortons les poubelles. Je vais au coin du restaurant pour voir si le type à la main baladeuse est parti, je m'appuie contre le mur et remarque seulement l'empreinte qu'il a laissée dans la neige. Je bois tranquillement ma cannette de soda, je vois Taïba sortir et venir vers moi :

–Franchement, c'était trop bien ! S'il fallait noter, j'aurais mis un beau huit !

–Qu'est-ce que tu crois ? J'apprends que des meilleurs !

–Un conseil, si jamais il revient vers toi en disant qu'il veut porter plainte, tu lui dis que tu l'as devancé pour harcèlement sexuel, tu vas voir, il va se calmer direct !

–Merci du tuyau !

Elle sort son paquet de cigarette et me le tend :

–T'en veux ?

J'en prends une entre les doigts et la pose entre les lèvres, Taïba me l'allume direct :

–Tu vas en avoir besoin si tu dois attendre dix minutes dans le froid.

Elle retourne à l'intérieur. Je respire un bon coup, il n'y a pas grand monde dehors, la fumée de cigarette prend la teinte des néons de la ville avec la neige aux alentours, cela donne une image féerique à cette nuit noire ; cette pause me fait le plus grand bien. J'entends des rires approchés, je les reconnaîtrai entre mille, je ne peux m'empêcher d'esquisser un sourire :

–Qu'est-ce que vous faites par ici ? Double E ?

Émile surpris de me voir me demande :

–Qu'est-ce que tu fais là ?

Vexée par cette demande, je lui réponds :

–Je travaille ici j'te rappelle ! Ou si tu préfères, c'est là que tu t'es pris un râteau !

Je finis ma clope pendant qu'Estelle lui dit :

–Tiens ! C'est vrai que tu n'en as plus reparlé, du coup, tu t'es fait larguer en combien de temps ?

Je jette mon mégot et ma canette vide en lui répondant :

–Au bout de deux minutes.

–Vous savez les filles, je suis là et j'ai un cœur fragile ! Nous dit Émile.

Je lui dis sur un ton qui se veut compatissant :

–Oh ! Notre petit Émile au cœur tout mou ! Il m'avait manqué celui-là !

–Il n'a jamais eu de chance avec les filles ! Le pauvre ! Complète Estelle sur le même ton.

–Je vais finir ma vie, vieux garçon, avec des chats pour me tenir compagnie.

Il a l'air déprimé, j'essaie de lui remonter le moral :

–Je sais ce qu'il te faut ! Un gros câlin de tes deux meilleures amies !

Estelle et moi nous lui faisons en même temps un câlin, il essaye de nous dégager gentiment puis il finit par abandonner, la chaleur de leurs corps me fait sourire, Émile finit par dire :

–Merci les filles ! Mais si vous continuez comme ça, on va croire qu'on est polygame.

Je lui dis :

–On s'en fiche de ce que disent les autres, non ?

–Rose à raison, Émile, soit un peu plus toi-même !

J'entends la porte de service s'ouvrir et Claire qui me dit :

–Ta pause est finie Rose !

Je lâche mes deux amis :

–Aller faut que je retourne bosser ! Vous venez que je puisse vous offrir un verre !

Estelle est enthousiaste à l'idée et me fait :

–Allez ! On va où ?

–Rentrer dedans et rester au niveau du bar, je vous rejoins.

Je rentre par la porte de service et je les retrouve à l'endroit indiqué, je m'accoude au bar en disant :

–Alors qu'est-ce que je vous sers ?

–Fais-moi la surprise ! Me répond Estelle.

–T'en que c'est pas de l'alcool pur ! Fini Émile.

–J'ai exactement ce qu'il vous faut !

Je leur prépare mon cocktail préféré et leur sert un verre :

–Et voilà pour vous ! Je vous l'offre.

Estelle le porte à ses lèvres en me demandant :

–Sympa ! C'est quoi ?

–Un mojito.

–Aucune idée de ce que tu me racontes ! Dis Émile en buvant.

–C'est une boisson cubaine, celui qui l'aurait inventé serait le célèbre Francis Drake.

–Qui ? Me demandent-ils en même temps.

–Aucune idée ! Je fais que répéter aveuglément ce qu'on m'a dit, je sais juste que c'est un Anglais.

Émile entre deux gorgées me demande :

–Pourquoi tu nous dis tout ça ?

Estelle ajoute :

–En plus, tu pourrais laisser les Rosbifs là où ils sont.

Je soupire :

–J'suis obligée ! C'est le métier qui veut ça !

Ils disent simultanément :

–Ma pauvre !

Nous éclatons de rire en même temps, si seulement cet instant pouvait durer indéfiniment, je veux des rêves comme ça, les voir me fait sourire, Émile me demande après avoir fini de rire :

–Du coup, tu fais quoi à Noël ? Vu que tes parents sont partis le fêter en famille sans toi.

–Je vais le fêter avec mes voisins d'immeubles.

–Vous serez combien ?

–Alors attends ! Je compte sur mes doigts en énumérant, il y a moi, Max, Cynthia, Aziz, Taïba, David, Camille, Shu, Claire et la petite dernière Ai. On sera dix ! Vous voulez venir ?

Estelle soupire :

–J'aurais bien aimé, mais tu sais comment sont mes parents, très religieux et conservateurs, elle imite son père,"Noël, ça doit se faire en famille ! Tout comme le nouvel an !" J'te jure dès fois !

Émile lui me répond :

–Et pour moi, j'ai pas envie de laisser ma mère toute seule.

Je hoche la tête :

–Je vous comprends ! D'ailleurs en parlant de Noël, il faut que je vous donne ce que j'ai préparé avant que j'oublie !

Je vais chercher les deux paquets à leur nom dans mon sac à main et leur donne délicatement en disant :

–Joyeux Noël !

Ils prennent les paquets en me disant merci. Estelle ajoute :

–Ils sont si mignons !

–J'en ai fait un autre pour Jessie, d'ailleurs, elle est pas avec vous ?

Émile me répond :

–Elle a chopé la crève la pauvre.

–Et t'en a pas fait pour James ?

–Non, il est pas là et on ne sait pas quand il va rentrer d'Amérique, donc je lui en ai pas fait, les absents ont toujours tort après tout !

–Je vois ce que tu veux dire, me dis Estelle le sourire aux lèvres.

La suite de la soirée s'est passée sans accrocs, j'ai même dormi sans faire de cauchemar avec l'autre cinglé.

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