Déception (2)

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Il ouvre un fichier qui est nommé “Projet E.S”, encore ce sigle ? Il y a une multitude de formules et de langues différentes, je me demande bien ce que ça dit, je vois Aziz qui serre les dents, je lui demande :

–Qu'est-ce que c'est ?

Aziz ne me calcule pas et continue de parcourir le fichier :

–Ces enfoirés en faisaient partie ?!

–Tu peux expliquer ?

Il me regarde et se calme un peu :

–Ça ne concerne plus uniquement Don’yoku, ça me concerne moi et Gula.

–Et pourquoi “ces enfoirés” ?

–Hugh et Ken sont dans un groupe qui ont créé le projet E.S.

–E.S ?

–Tu connais la révolte des enfants ?

La révolte des enfants, c'est le projet E.S ? Les informations en avaient parlé, surtout du boucher du désert, l'enfant ayant fait le plus de victime, je lui réponds :

–La guerre qui a été provoquée par des enfants en Centrafrique ? Oui, même si maintenant, je doute que ce soit vrai, avec tout ce que j'ai appris dernièrement.

–Et bien la guerre a bien été provoquée par des enfants, mais elle a été orchestrée par d'autres personnes.

–Comment ça se fait ?

–Comment expliques-tu le fait que des enfants rivalisent avec une armée entraînée ?

Je réfléchis à voix haute :

–Donc Ken et Hugh étaient leur soutien médical.

–On dirait bien.

Gloriam apparaît dans l'ombre d'Aziz :

–Ce n'était pas Max, peut-être que c'est l'ombre qui s'est réveillée.

–Ils ont fini leur reconnaissance ?

–Ils allaient finir.

–Dis-leur de nous rejoindre dans l'aile gauche du château.

–À tout de suite.

Gloriam disparaît dans l'ombre d'Aziz, je lui demande :

–Pourquoi tu veux qu'on se regroupe là-bas ? Le sous-sol est-il si dangereux ?

–Comme dit le dicton, prudence est mère de sûreté.

Il se dirige d'un pas assuré vers l'aile gauche du château, je le suis et en y regardant de plus près, l'aile gauche est juste le miroir de l'aile droite, même pièce, même décoration. Mis à part la pièce neutre qui est remplacée par un accès au sous-sol, nous sommes très vite rejoints par Max et Shusendo, je leur demande :

–Vous avez eu des problèmes de votre côté ?

–Non, L'ombre doit être en bas, me répond Shusendo.

L'escalier sombre en colimaçon qui emmène vers le sous-sol me fait froid dans le dos, Aziz part en premier et dit :

–De toute façon, il ne reste plus que cet endroit à visiter.

Nous le suivons, Max ferme la marche, la fin de l'escalier débouche sur une cave naturelle. De chaque côté se trouvent des cellules contenant des ombres de formes humaines, on dirait des enfants. À l'intérieur se trouvent diverses chaînes et cordes. Sur le mur au niveau de la tête des ombres il y a de nombreuses cavités cylindriques où à l'intérieur le morceau de mur manquant fait des mouvements de va-et-vient, une sueur froide glisse le long de mon cou :

–Cet endroit me donne la chair de poule.

Au bout de la cave, tout au fond se trouve un autre terminal, je tourne la tête à la recherche de Gloriam, il n'est pas là :

–(Où es-tu Gloriam ?)

Il apparaît dans mon ombre :

–Je suis là pourquoi ?

–Dis-moi, ceux qui sont emprisonnés, ce sont tes frères et sœur ?

–Hum… Je n'ai aucun lien de parenté avec qui que ce soit.

–Orgueil, méfie-toi des apparences, c'est probablement l'ombre de Ken, m'informe Max.

–Je demandais ça au cas où on aurait à les affronter.

–Ne t'en fais pas pour ça, je combats moi aussi les ombres.

Gloriam essaye de me rassurer, je crois, il passe dans l’ombre de Max, je jette mon regard sur le terminal, il est identique à celui du dessus :

–Dis Aziz, tu penses que c'est le même ou que c'en est un complètement différent ?

Je touche du doigt l'écran, ça affiche un pavé de lecture dans une langue étrangère, je ne comprends absolument rien à ce qui est marqué, Aziz me répond :

–Je ne sais pas…

Je fais défiler les pages en espérant qu'au bout d'un moment se soit marqué en français :

–Je me demande avant tout pourquoi le sous-sol est une prison.

Max ajoute :

–Et surtout pourquoi il retient captif autant d'ombre.

J'atterris sur une grande feuille avec une sorte de boutons en bas à droite, Shusendo a l'air plutôt inquiet :

–Ils ont l'air d'être enfermés à clef.

J'appuie sur le bouton de la page, toutes les pages de lecture se ferment en même temps et l'écran bleu se transforme en écrans rouges. J'entends le bruit de portes métalliques qui s'ouvrent en grinçant, je tourne la tête, toutes les portes des cellules se sont ouvertes, je lâche un :

–Oh merde !

Tout le monde me regarde visiblement contrarier par ce que je viens de faire :

–Je ne touche plus à aucun terminal de ma vie, c'est promis !

Max me répond :

–Prépare-toi à combattre.

Je visualise ma hache qui apparaît dans ma main, je demande :

–Qu'est-ce qu'on fait ?

–Il faut partir d'ici.

–Thank you captain obvious ! Dit ironiquement Aziz

Des gants de plomb apparaissent sur les mains de Max en plus des bottes de la dernière fois, pour Aziz un fusil apparaît dans sa main, Shusendo a un arc et une flèche dans les mains. Gloriam lui a disparu comme par magie, "Je combats moi aussi les ombres" mon œil. Les ombres forment une foule unie qui nous encercle, Aziz demande à Max :

–Tu peux nous ouvrir la voie Paresse ?

–Avec plaisir !

Il se met devant nous et lève lentement son pied et le dépose, des fissures apparaissent et font tomber les ombres, Shusendo nous crie :

–On fonce !

Ils courent en direction de l'escalier, en se débarrassant des ombres qui se jettent sur eux, ils se battent en parfaite harmonie. Shusendo déstabilise une ombre avec une flèche, Max l'envoie valser avec ses gants et Aziz finit l'ombre en tirant dessus en plein vol. Je les suis difficilement, j'arrive à peine a repoussé les ombres qui me sautent dessus. Il y en a une qui m'agrippe le pied, je coupe son bras d'un coup sec ; il n'y a aucune effusion de sang, juste une faible brume noire et rouge qui sort des extrémités, L’ombre et le bras qui me tient disparaissent. Une autre ombre essaye de m'agripper, j'entends un coup de feu, l'ombre est déstabilisée, je tourne la tête vers Aziz qui recharge son arme et me hurle :

–Dépêche-toi !

Je fonce vers eux, ils m'attendent devant l'escalier et repoussent les ombres, je découpe les ombres sur mon passage et me fraye un chemin jusqu'à l'escalier, Aziz nous dit :

–Montez ! Je les retiens !

Max et Shusendo montent, je fais de même. J'entends un verre se briser et le bruit de flamme qui crépite. Je tourne la tête, Aziz jette des bouteilles enflammées à l'entrée, je monte les marches le plus vite possible ; Aziz est sur mes talons. Nous fermons l'accès, une fois sortie de cet escalier, je souffle un grand coup :

–Bordel de merde !

Je regarde les autres en dit en faisant un ton sarcastique :

–C'était trop cool ! On recommence quand !?

–T'as oublié qu'on pouvait crever dans le Somnium ! Me crie Aziz, il suffit d'une fois et c'est fini, il n'y a pas de continue, tu ne recommences pas !

Il m'énerve à me crier dessus, je lui fais remarquer son incohérence :

–Venant de personnes qui veulent voir le monde à feu et à sang, ça me laisse songeuse !

–Tu as pensé à ta famille et tes amis ? Me demande Max.

–Je suis sûre que Gula et Zavist’ vous ont déjà parlé de la façon dont on s'est rencontré, tu crois vraiment que je m'en soucie encore ?

–Sache que nous, on n'est pas suicidaire comparé à toi, me lance Shusendo.

Ils m'énervent tous, je leurs demande :

–Alors pourquoi à chaque fois, vous risquez votre vie à effacer des personnes qui ont leur espace dans le Somnium !? Pour vous amuser ?

Shusendo me demande :

–Tu ne comprends pas ?

–Non, je ne te comprends pas Don’yoku, ça pourrait être celui qui la soignera et tu veux l'effacer quand même !?

Il me hurle :

–Tais-toi ! Tu ne sais rien !

Il est énervé et est à cran, je lui réponds sur le même ton :

–Quoi ?! Que c'est un meurtrier, un violeur et en plus un voleur, bien sûr que je le sais ! Je sais aussi qu'elle se sent seule, tu devrais tout faire pour qu'elle puisse être heureuse…

Il se rapproche de moi, furieux :

–Tais-toi !

–Tu t'en fiches de son cas ! C'est ça !

Il s'apprête à me donner un coup de poing :

–J'ai dit tais-toi !

Aziz arrête son coup à quelques centimètres de mon visage :

–Qu'est-ce que tu fais Toorn ?

–Gardez votre bagarre pour dehors ! On est toujours dans son espace.

Shusendo se calme et détend son bras, il me tourne le dos et me dit :

–Tu ne nous connais pas ! De quel droit ose tu dire que je m'en fiche de son sort !? ばか やろ !

Je ne lui réponds pas, Shusendo part suivie par Max qui nous dit :

–Prévenez nous si vous partez.

Il s'éloigne de plus en plus jusqu'à ce qu'on ne les voie plus, je m'adosse à un mur et m'assied par terre, Aziz se met à côté de moi, je lui demande légerement agacée :

–Quoi ? Tu veux me faire la morale ?

Aziz garde son sang froid et me répond de manière neutre :

–Si c'est ce que tu veux, je peux te passer un savon.

–J'm'en passerais bien.

Aziz laisse planer un silence pendant quelque seconde et il finit par me demander :

–Tu crois qu'on risque vraiment notre vie, juste pour s'amuser ?

–C'est l'impression que vous me donnez.

Nous laissons le silence s'installer et je finis par demander :

–J’ai l’impression de ne plus être moi-même, j’ai l’impression que le Somnium m’influence, est-ce le cas ?

–Non, le Somnium ne peut pas t’influencer, c’est uniquement à cause de ce que tu as à l’intérieur de toi, dans ton cœur, la haine qui est en toi, tu ne peux pas la rejeter sur des causes extérieures.

–Tu as effectivement raison, cela fait bien longtemps que je n’ai plus l’impression d’être moi-même. Shawha m'a dit qu'elle voulait créer un monde épuré, c'est quoi toi ta motivation ?

–Ma vengeance, je n'ai que ça qui m'anime, l'espoir qu'un jour celle qui m'a causé tous mes tourments périra de mes mains. Et toi, tu avais une motivation avant de vouloir te suicider ?

Je respire profondément et me calme, je me recroqueville sur moi-même avant de lui répondre :

–J’avais quelque chose sur le cœur depuis des années, j'ai fini par abandonner l'idée il y a quelque mois et depuis je me sens vide.

Il tourne la tête vers le plafond et me demande ;

–Ça te torturait tant que ça ? Pour passer à l'acte ?

J’essaie de fuir la question en répondant :

–Il y a des tonnes de facteurs à prendre en compte, déjà tout le monde se moque de mon prénom sans oublier la pression incessante que je reçois de mes parents.

–Ah bon ? Pourquoi ?

Pourquoi j’ai dit ça ? Je ne dis rien et laisse un silence pesant s’installer, Aziz finit par me dire d’une voix douce sans aucune colère :

–Tu sais, je suis un bliksem, chez moi les superstitions faisait loi, pour eux, je devais mourir, ma mère m’a abandonné chez ma grand-mère en Centrafrique. Elle était considérée comme une sorcière par les locaux, elle vivait dans une maison hors du village, les enfants eux me tabassaient quand ils en avaient l’occasion, finalement la guerre est arrivée et j’ai participé à la révolte des enfants… Quand on est finalement arrivé ici avec Cynthia, j’ai entendu tellement de fois “va crever sale nègre” que j’ai arrêté de compter… C’est à peu près tout ce qu’il y a à savoir sur moi, le truc que je voulais te dire, c’est de pas t’apitoyer sur mon sort ; je n’en ai pas besoin, ni que ce que tu as vécu ne vaut rien face à ce que j’ai enduré. Je voulais te dire ce qu’un jour Max m’a dit “Ils peuvent détruire ton monde, ils peuvent détruire ton corps, te séparer de tous ceux à qui tu tiens, mais si tu en as le courage et que tu te dresses contre cela, tu arriveras peu importe la distance à rentrer chez toi.”

Je lâche à demi-mot :

–Tu me promets de ne pas te moquer.

–Y'a aucune raison que je rigole de tes malheurs.

Je me recroqueville encore plus, espérant disparaître et fini par lui avouer :

–Je suis vierge. Depuis que j'ai 18 ans, mes parents me harcèle pour que je sorte avec quelqu'un, qu'ils aient des petits enfants, mais je n'ai aucune envie d'avoir des gosses, déjà que je n'ai le droit à rien en tant que femme, rien que l'idée d'avoir un enfant me donne envie de vomir, l'État, enfin "ils" en ont rien à foutre de nous. Pas le droit à l’avortement, la contraception est illégale, le fait qu’on peut nous marier dès nos quinze ans. Pourquoi voudrais-je continuer à vivre dans un monde que je déteste.

Je sens son immense main froide se déposer sur le dessus de mon crâne et bouge doucement de droite à gauche :

–Tu n'as pas à avoir honte, tu as fait ton choix et c'est ça qui compte.

Nous restons figés comme cela plusieurs minutes, le temps de me calmer.

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