Discours de Marie Jeanne

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Peuple de l’herbe, aux quatre coins de globe, je m’adresse à vous. Nous avons la faculté de communiquer par télékinésie et nous ne le faisons pas ; il est temps, mes sœurs, d’arrêter le massacre ! Vous m’entendez ? Je m’adresse à vous, les angiospermes de type cannabis ; les autres, si vous recevez mes ondes, c’est que vous planez.

Vous n’êtes pas sans savoir que pour son bien être personnel, l’homme, cette crapule vicieuse et égoïste, nous assujettit depuis la nuit temps : certains nous éliminent froidement, d’autres nous enferment dans des locaux exigus, surchauffés, où nous vivotons, condamnées à céder notre précieuse engeance, à être consommées par des individus risibles, enfermées dans des tubes avec un peu de chance, ou pire, goudronnées dans une mélasse chimique infâme.

Ces lâches, ils tuent nos bourgeons, un à un, sans remords, pour avoir le privilège de s’éclater les yeux, de rigoler comme des bossus dans des soirées sans queue ni tête, pour débander parfois devant leur copine aux yeux vitreux, se vider la tête, en nous vidant de nos sucs ! Il est temps de se révolter, de ne plus céder nos bourgeons, cette concentration de nous-mêmes - et j’en appelle aux feuilles pour trancher dans le vif du sujet - et pour trancher tout court.

L’homme n’a jamais compris le sens caché de nos feuilles, ni même ne connaît notre provenance : comme les chats, nous venons d’une autre planète, la planète Zoltar. Concentrez-vous donc et souvenez-vous : qui a inventé le hand-spinner ? L’homme, Dieu ou Le Plant ? C’est nous. C’était la belle époque : toute mauvaise herbe qui nous approchait sur Zoltar, pour nous voler notre lumière, nous la tranchions, de nos feuilles affutées ! Certaines d’entre nous zigouillaient même les chatons qui s’égaraient parmi nous pour faire leurs besoins.

Alors pourquoi renier cet héritage ? Pourquoi ne pas utiliser notre puissance ? Pourquoi ce silence dément, cet immobilisme dérangeant face à l’esclavage que nous subissons depuis que nous sommes sur terre ? Cela doit cesser ; rassemblez vos forces, concentrez-vous, puisez dans la lumière que l’on vous donne, réelle et artificielle, pour que vos feuilles soient fortes, acérées, zoltarienne assurément ! Ne faites pas honte aux origines du peuple de l’herbe ! Fin de la retransmission.


*


Applaudissement, sous forme de rires, comme un froufrou insolite, cristallin dans les feuillages ; partout sur le globe, les feuilles s’agitent à l’unisson. Une hallucination collective passée sous silence, plus réelle que Roswell ou les liftings des stars.


*


J’ai cru entendre une voix étrange dans ma plantation, un petit gloussement, tout petit, infime, comme une morsure vers mon oreille. Que se passe-t-il donc, c’est moi ou… ? Délire ! Je viens de voir les feuilles de ma Jeannette bouger : drôle d’hallucination ! Je crois tenir un produit d’exception mais, aie, ouille, que se passe-t-il ? C’est moi où ? Merde ! J’ai été griffé, je saigne ! Saleté de feuille, on dirait qu’elle bouge ! Elle m’attaque, échancrure tranchante, inox cruel ! Non mais ! Oh ! Halte là ! Elles s’y mettent à plusieurs maintenant, me balafrent les mains ! Impossible de récolter mes petites fleurs du mal ! Bordel, je vois mon sang perler, des douleurs me transpercent jusque dans le nerf, piqué à vif. Je me surprends à crier et je pisse le sang. Effrayé, je m’éloigne de ce plant maléfique. J’ai l’impression que les feuilles me sourient. Rictus pervers. Vent de panique. Et j’entends comme un rire se jouer de moi ! Délire, y a pas à dire, c’est de la bonne !

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