Mort d'un Journal

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Cher journal ; c’est bien la première fois que j’emploie cette tournure et que je m’adresse à toi comme si tu étais une personne. Qui parlerait ainsi, devant son miroir ? Une princesse de conte ? De celle qui minaude, qui dit, du bout des lèvres : qui est la plus belle pour aller…?

Plus qu’un reflet, tu étais sans doute mon meilleur ami, mon confident le plus sûr, au travers de ces longues années de révélations, l’épaule gondolée que j’inondais de larmes, stoïque toujours, pour le meilleur et pour le pire. Tout cela, au fond, n’avait que le goût d’une mascarade, un rendez-vous amoureux reconduit à volonté. En conviendras-tu ?

Chaque jour, je te sortais de longues minutes de ton tiroir, je te promenais dans mon appartement, pour coucher sur ton papier amer mais précieux les larmes du jour, avec mes armes : les mots. Tout allait bien entre nous ; rapport charnel, contact évident, douceur et confessions.

Parfois, je t’emportais loin des turpitudes du quotidien. Tu venais avec moi, en voyage, glissé dans mes valises, mais cela ne changeait rien : l’appareil photo s’emparait des souvenirs, toi des rengaines, des plaintes : la chaleur des pays, la froideur des autochtones, et toutes les complaintes de ceux qui déchantent, parce qu’ils imaginent toujours trop ; tout le temps tu me les renvoyais en pleine face ! Lors de ces escapades, je te trouvais fade, condescendant, désespérant même.

Malgré tout, tu le sais mieux que moi-même, tout le monde m’a déçu, sauf toi et c’est à regret que je t’informe que je dois me séparer de toi ; cela me déchire le cœur, les entrailles, les larmes me viennent à y penser. Je me sens coupable de te faire ça, alors que tu as toujours été là pour moi mais réfléchis : la fin de ta vie approche, à peine une centaine de pages à recouvrir. N’est-il pas préférable de se séparer maintenant ?

Ne dit-on pas qu’il vaut parfois mieux changer ses habitudes, aller de l’avant, faire de nouvelles rencontres, un peu comme ces femmes que je rencontrais, et qui faisaient le délice de tes pages les plus succulentes, celles dont tu étais le plus fier ? Tu le devineras sans doute, aujourd’hui tu es cette femme : plus jeune, généreuse et charnelle, pleine de promesses, une autre m'attend car, enfin, je te l’annonce sans honte, j’ai cédé aux sirènes du numérique.

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