Le poids

de Image de profil de Paige EligiaPaige Eligia

Avec le soutien de  Bakum_babo, Millie M., Ohcean, Camille T., MAZARIA 
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Si je me suis dévoué à certains corps, c'était pour oublier le poids du mien. René Crevel.

Je croque les morts.

La société me voit ainsi. Or je vous assure que je n'ai jamais croqué le moindre petit orteil. Je n'aime pas la viande, encore moins avariée. Je me nomme Aline, vingt-neuf ans, toutes mes dents. Depuis sept ans, je travaille en tant que thanatopractrice. Arrivée par hasard dans le métier, je vois pourtant mon rôle comme le plus important de la chaîne des décès. En effet, je redonne vie aux défunts, endormis dans leur cercueil. Par mes mains, la mort stoppe son office, je suspends le temps. Les joues reprennent des couleurs. Les visages apparence humaine. Les corps parés de leurs plus beaux atours.

J'ai toujours été fascinée par la mort. Dès mon plus jeune âge, je tuais les fourmis pour observer ce moment où le dernier frémissement les quitte. Religieusement, je leur offrai ensuite la plus belle des sépultures.

Les gens m'ont toujours trouvé bizarre. Je ne crois pas l'être. Le fou ne sait pas qu'il est fou. J'effectue ma tâche avec rigueur, et les familles endeuillées m'en remercient.

— Bonjour Mme Doisneau, bien dormi ? ricanè-je en sortant le corps de la cellule réfrigérée.

Je place la dame raidie sur la table d'auscultation et relis le certificat de décès.

— Oh, une petite infection pulmonaire ? Rien de bien méchant, vous en faites pas, tapotè-je sa joue. Quand j'en aurai fini avec vous, vous aurez l'air d'avoir dix ans de moins !

J'effectue les soins nécessaires et appelle ensuite les porteurs pour la mise en bière. Je tente de faire la conversation, mais elle tourne toujours autour du beau temps. Aujourd'hui, il pleut.

La journée se termine doucement. Je rentre chez moi à pied. Plus j'avance, plus mes pas se font pesants. La clef tourne dans ma porte. Hugo est là, fidèle à son poste. Il n'a pas bougé depuis ce matin.

— Salut mon vieux ! plaisantè-je en m'approchant de lui. Tu as passé une bonne journée ?

Je fais la conversation pendant que je réchauffe une assiette de raviolis. Je m'installe à côté de lui pour regarder le feuilleton du soir, une corona à la main. Je n'écoute pas vraiment ce qui sort du petit écran. Des larmes gouttent sur mes joues. Je laisse la moitié du plat abandonné sur la table basse avant de me prostrer dans mon lit.

La nuit est longue. Je ne trouve pas le sommeil. J'essaye de me raisonner.

— Tu as un toit, de la nourriture, un travail. De quoi te plains-tu ?

Cependant, le désespoir me tient à la gorge. Et je n'ai qu'Hugo pour en parler. Hugo, mon cactus en plastique.

Dix jours plus tard, je serai délivrée grâce au cadeau viral de Mme Doisneau. Je serai partagée entre l'envie de la remercier de m'avoir ôté à cette vie de solitude et celle de la haïr pour me retrouver à mon tour dans un des mes chers frigos. Risible n'est-ce pas ?

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Le poids d'un corpsChapitre18 messages | 3 ans

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