La hurleuse noire

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Devant la Porte de la Reine, un peu en retrait sous un cyprès, se tenait le nouveau maître d'Æriban, Ar-waën Elaig Silivren. Il nous regardait en silence, appuyé contre l'arbre. Ma fille lui jeta une oeillade rapide, mais je pris mon temps pour le contempler longuement. Sa longue queue blanche, d'une épaisseur indécente, était enroulée autour de son corps, soulignant les lignes toniques de ses hanches et de son ventre. Caché par la capuche de son piwafwi noir, son visage n'était pas entièrement visible : seuls se révélaient à notre regard un bout de tresse blanche descendant sur son cou, une bouche virile et sensuelle et la lueur intense de ses yeux à l'éclat vert. À côté de lui, accroupie, se tenait la wyrm qu'il avait ramenée d'Æriban : une hurleuse noire juvénile, dont les yeux, de la même couleur que ceux de son maître, nous fixaient de la même façon.

— Bien le bonsoir, as sidhe, fis-je avec un signe de tête dans ma direction. Vous n'entrez pas ?

Silivren, qui m'avait répondu d'un simple signe de tête, respectueux cela dit, garda le silence. Je remarquai que la petite wyrm – Elbereth – avait les oreilles couchées. Quelle insolence que cette créature !

— Vous savez bien que je ne le peux pas, me répondit enfin Silivren. Tout le monde le sait, sur Ælda.

Il avait une voix profonde et musicale. Je laissai passer un silence appréciateur : ce Silivren, non content d'être l'un des plus beaux mâles actuellement disponibles dans les Vingt-et-un royaumes, avait une voix des plus agréables.

— C'est important, la voix, chuchotai-je à ma fille, assez fort toutefois pour que Silivren entende. Lorsque le mâle est au lit avec toi, qu'il te déclame de la poésie ou vocalise son plaisir, si sa voix n'est pas belle, tu auras envie de le renvoyer.

Sous le piwafwi, les joues pâles d'Innanaliel rosirent. Elle avait l'âge pour choisir un premier partenaire, mais ne parvenait pas à se décider.

Je regardai encore Silivren. Ce dernier avait encaissé l'allusion sans broncher. On le disait dur au mal, et réfractaire à toute forme d'autorité. Et insolent, comme sa wyrm. Je tentai de l'imaginer avec une elleth de l'âge de ma fille, sans succès. Il était peut-être beau – et puissant – mais comme premier amant d'une jeune fille, il ne convenait pas. Il lui fallait une femelle expérimentée.

— Bien le bonsoir, Alfirin, lui dis-je alors en passant devant lui. Profitez agréablement de la nuit. Elle sera magnifique ce soir : les lunes sont pleines.

— Vous de même, Dame de la bise et de la mer, répondit-il assez joliment en faisant allusion à mon royaume d'origine, Uaithnaban.

Je le frôlai en passant. Nul parfum n'émanait de lui : il n'était pas réceptif. Qu'importe : j'allais profiter de la soirée pour le demander à Tintannya. Une fête pour la nomination de l'as sidhe, sans l'as sidhe ! Malgré son caractère rétif, c'était assez incompréhensible que ce jeune ait encore sa queue, et qu'elle soit devenue si conséquente. Je la lui laisserai pendant l'acte, me résolus-je, un peu honteuse à cette idée subversive, en songeant que cet appendice devait être d'une douceur inégalée. Je la lui couperai après.

Résolue à faire comprendre à ce Silivren mes intentions – qu'il s'y prépare, qu'il s'y attende et s'impatiente – je laissai négligemment ma main tendre sur le côté pour le toucher au passage, ayant dans l'idée d'effleurer cette queue, si épaisse et si longue. Mais la wyrm choisit précisément ce moment pour venir se couler contre les jambes de son maître, repoussant ma main au passage de son mufle noir. Un claquement de ses mâchoires puissantes résonna sèchement dans le vide, à deux doigts seulement des miens : il s'en était fallu de très peu pour que je perde ma main. Puis, après m'avoir jeté un dernier regard torve et dédaigneux, la vicieuse créature revint s'asseoir de l'autre côté, boitillant et trainant son membre mutilé de façon pathétique. La main noire de Silivren sortit des plis du piwafwi pour venir glisser une caresse réconfortante – qui avait valeur d'approbation – sur l'animal : onyx contre onyx, les deux côte à côte ressemblaient aux deux statues de marbre noir qui gardent les Tours de l'Initiation sur Æriban.

— Viens, Innanaliel, fis-je à ma fille, sans quitter des yeux ceux de l'insolent. Ne faisons pas attendre la reine. Laissons ce treowann avec son dragon handicapé.

Là encore, Silivren ne réagit pas. Tout as sidhe qu'il fut, il ne le pouvait tout simplement pas. Mais je sentis le poids de cette paire de regards verts dans mon dos bien après avoir franchi les portes sculptées qui menaient au castel de Tintannya.

Dame Alastriel, Lettre à mes filles et petites-filles.

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