Chapitre 2

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Toutefois, je ne suis pas si mal loti. Je suis côté fenêtre et plutôt en bonne compagnie. Une jeune fille est assise à ma gauche, elle n’est pas d’ici, ça c’est sûr ! Blonde, la vingtaine et maigre comme un clou. Elle paraît tellement absorbée dans son bouquin que ni la chaleur ni la conduite nerveuse du chauffeur ne semblent la déranger.

En revanche, ce qui a réussi à l’importuner est mon regard envahissant. Elle ferme son livre et le pose sur ses genoux. Carlos Castaneda, tiens donc ! Voilà un sujet de conversation. Je n’ai pas le temps de dire quoi que ce soit que deux yeux bleus, froids et durs me lancent un message explicite : « Dégage ! »

Et moi qui comptais sur elle pour rendre le trajet moins pénible. Que faire pour rendre ce voyage moins pénible ? Je profite de la fenêtre et contemple le paysage désertique. Tellement monotone que j’ai envie de me pendre !

Midi vingt-cinq… midi vingt-six… Je fixe le cadran de ma montre, puis l’horizon. J’ai l’impression qu’un phénomène rallonge les secondes en minutes et les minutes en heures. Je préfère enlever ce fichu bracelet et l’enfourner dans la poche de ma chemisette. Elle est si humide que j’espère qu’elle est vraiment waterproof.

Discrètement, je jette un coup d’œil vers ma voisine. Elle poursuit sa lecture, puis s’arrête. Elle corne la page (sacrilège !) et referme le livre. Elle m’ignore toujours. Je me demande pourquoi elle ne veut pas engager la conversation ? D’ailleurs, moi non plus, je n’ose pas. Faut dire qu’elle m’a l’air pas commode. Il me faut trouver une autre astuce, quelque chose en commun pour faciliter le contact. Mais quoi à part le livre ?

Je n’ai pas à attendre longtemps qu’elle m’offre la bonne excuse. Elle vient de tirer de sa sacoche une bouteille d’Evian. Tout comme la mienne ! Nous sommes les seuls snobs par ici à avoir acheté ça dans ce trou perdu ! Sacré point en commun ! Je prends mon sac à dos et je cherche frénétiquement la mienne. Zut ! Je ne la trouve pas. Dépité, je jette mon sac à mes pieds, contrarié.

Ce n’est pas le fait de ne pas afficher ma bouteille d’Evian qui me tracasse, mais plutôt la crainte d’avoir oublié cette satanée bouteille ! Comment survivre au voyage ?

Ma voisine boit une nouvelle gorgée. Je vois le liquide descendre lentement jusqu’au goulot, comme dans les publicités où des jeunes beaux et sportifs se désaltèrent avec des boissons rafraîchissantes. Soudain, j’ai soif. J’ai vraiment soif et je ne sais même pas si j’ai de l’eau avec moi ! Que vais-je faire ? Je vais mourir ! Je n’arrive pas à réfléchir. Mon désespoir accentue la chaleur qui m’étouffe. Je me mets à cogner ma tête contre le siège d’en face, et pour une fois, je me fiche de savoir ce que ma voisine va penser.

Un regain d’espoir me frappe. J’ai bien fait de me cogner la tête. Mais quel idiot je suis ! J’ai oublié l’autre sac laissé dans le compartiment supérieur. Ouf ! Je peux respirer, enfin !

Je m’adresse enfin à la jeune fille, mais pas pour discuter, plutôt pour la déranger pour qu’elle me laisse passer. Elle me lance un regard circonspect. Cette fois-ci, c’est moi qui l’ignore et je me lève pour chercher de quoi survivre.

Dès que je me lève, la route devient tortueuse. Ça secoue fort et je sursaute involontairement dans l’étroit couloir. Je regrette d’avoir malmené mon crâne, car il vient de cogner à deux reprises le plafond. Entre temps, je cherche mon sac. Je voudrais faire vite, mais je dois fouiller dans le compartiment. Nous ne sommes pas nombreux, mais les autres passagers ont entassé mille et une choses, rendant ma tâche encore plus difficile. Il ne manque plus que les poules !

Lorsque je parviens à mon sac, un petit objet de forme cylindrique roule jusqu’à ma main. Mince ! Je me sens fautif, en fouillant j’ai dû ouvrir un autre sac. L’espace d’un instant, je me demande que faire. Déranger les passagers pour retrouver son propriétaire ou le laisser là, ni vu ni connu ? Pendant que je réfléchis, objet en main, le camion s’arrête brusquement. Le coup de frein me projette au sol et les autres passagers hurlent et insultent le chauffeur. Un sifflet assourdit leurs invectives. Le sifflet d’un train… Un train ?!

Je tente de me relever, mais un type m’arrache l’objet des mains et se met à rouspéter.

— Hé toi, rends-moi ça ! Non, mais ça ne va pas la tête ? Tu vois, Martha ? Je te l’avais dit ! On ne peut pas laisser ses affaires en toute confiance dans ce genre de car.

Il m’aura fallu quelques secondes pour comprendre que le type s’adressait à moi. J’ai honte de m’être étalé par terre, mais surtout parce que je me fais traiter de voleur. En fait, ce qui m’affecte le plus est le sourire moqueur faiblement dissimulé de ma blonde voisine.

— Mais laisse-le tranquille, Jorge ! intervient une petite dame d’un certain âge, assise à droite du névrosé. Regarde-le, le pauvre vient de tomber.

Je me confonds en excuses, tandis que je remarque que nous sommes toujours à l’arrêt. Je regarde vers l’avant et découvre un passage à niveau qui barre notre route. Derrière, les wagons d’un immense convoi s’enchaînent les uns derrière les autres.

— Oh, vous êtes vous blessé ? poursuit la dame, d’un ton doucereux.

Elle m’a l’air avenante. Je décide d’en profiter pour combler ma curiosité. C’est quoi cet objet ?

— Ah ! C’est pour regarder l’espace, chuchote-t-elle mystérieusement, en ouvrant grand les yeux, en signe de confidence.

— C’est un télescope de poche, Martha ! Un té-les-co-pe ! tonne le dénommé Jorge, en décomposant chaque syllabe pour bien se faire comprendre.

Ça m’a l’air d’une longue vue, plutôt, mais je préfère ne rien dire.

— Jorge est fanatique de l’espace, intervient la dame. Il croit avoir vu des comètes, des planètes, ces machins-là. Mais pas que !

— Martha, arrête ! grogne Jorge. Tu ne vas pas encore prétendre que je raconte des salades, non ?

Le type se met à taper sa poitrine avec le tube pendant qu’il parle, comme si son honneur en dépendait. Devant pareille scène, je ne peux me retenir. Je veux en savoir plus.

La dame cherche à me parler. Elle fait mine de lever, mais le ventre saillant du dénommé Jorge, probablement son mari, devient un obstacle de taille. Alors, sans fard, elle lâche :

— C’est un truc pour voir des ovnis !

L’autocar redémarre enfin et j’ai du mal à contenir mon rire. Le pire est qu’elle m’a l’air d’y croire. Elle paraît sérieuse et tellement fière, comme si elle venait de confier un secret millénaire. Jorge éructe d’une voix coléreuse pour nier tout en bloc. J’avoue que ces deux-là m’amusent.

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