Chapitre 15

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À mon réveil, le soleil était déjà haut dans le ciel, illuminant toute la chambre et j’étais seule dans mon lit. J’attrapais mon téléphone sur ma table de nuit et lu le message d’Emma auquel je répondis aussitôt. À mon retour de la douche, une vingtaine de minutes plus tard, Emma était là.


— Qu’est-ce qu’il s’est passé hier avec Océane ? m’interrogea-t-elle en commençant à me coiffer.

— Absolument rien.

— Comment ça ? Je croyais que…

— J’ai merdé Emma. J’ai fait n’importe quoi.

— Tu veux m’en parler ?

— Je fais toujours tout de travers avec Océane. Elle ne voulait pas, soi-disant parce que je n’étais pas prête et j’ai paniqué. Mais quelle idiote je suis !


Emma posa la brosse et tourna la chaise pour me placer en face d’elle. Elle posa ses mains sur les miennes et planta son regard dans le mien.


— Tu n’es pas idiote, Elena. Peu importe ce que tu as fait. Tu es une débutante en amour, c’est normal que tu fasses des erreurs et Océane le sait. Elle te pardonnera.

— Je n’en suis pas sûr cette fois.

— Qu’est-ce que tu as fait pour être si négative ?


Je replaçais ma chaise en silence et attendis plusieurs minutes avant de répondre. Cette demande, je l’avais faite sans réfléchir et Océane avait raison. Je n’étais pas prête à avoir une vraie relation de couple ni même à fonder une famille. Pas tant que je ne saurais pas qui j’étais vraiment ni pourquoi ma mère avait fait autant de mal autour d’elle. Je devais savoir comment elle en était arrivée là, comment sa maladie avait pu prendre le dessus sans que personne ne l’arrête ? Je devais savoir pour ne pas reproduire la même erreur.


— C’est entre nous, Emma, mais je n’aurais jamais dû dire ça.

— Dans ce cas, il faut que tu parles avec elle. Peu importe ce que tu as pu dire, Océane sait être compréhensive.

— Je ne sais pas.

— Je ne veux pas savoir, tu iras lui parler. De toute façon, le Conseil s’est réuni et ils veulent te parler.

— À propos de ce qu’il s’est passé hier, je suppose.

— Ils ne m’ont rien dit, mais je suppose aussi. Océane essaye de parlementer avec eux pour te laisser du temps. Elle ne voulait pas te réveiller.

— Merci de m’avoir prévenue en tout cas.

— Je me dépêche de finir de te coiffer et tu pourras aller les rejoindre.

— Merci Emma.

— A confiance en toi d’accord ? Profite qu’Océane te pardonne pratiquement toutes tes erreurs.

— Je vais essayer.


Dès qu’elle eut fini, je rejoignis d’un pas rapide mes conseillers dans la Grande Salle. Ils étaient tous engagés dans une discussion mouvementée avec Océane. Comme ils ne m’avaient pas encore vu, je respirais un grand coup avant de me faire remarquer.


— Asseyez-vous ! Nous allons commencer.

— Votre Majesté, vous ne pouvez…

— Puis-je m’asseoir avant que me reprochiez quoi que ce soit ?

— Excusez-moi Votre Majesté.


Rapidement, j’adressais un coup d’œil à Océane, mais baissais les yeux en remarquant qu’elle ne me regardait pas. J’ouvris ma pochette, incluant tout ce qui était à l’ordre du jour. En effet, seule mon intervention pour contrer les gardes hier allait être évoquée aujourd’hui.


— Bon, je vous écoute.

— Votre Majesté, vous ne pouvez menacer un garde de perdre son travail. Si cette loi a été mise en place, c’est qu’il y a une bonne raison.

— Je l’entends et je le comprends, mais dites-moi lequel.

— Je ne peux malheureusement pas vous la donner.

— Et pourquoi donc ?

— Parce que je ne la connais pas.

— Il n’y a donc, aujourd’hui, aucune raison valable.

— Vous ne pouviez quand même pas…

— Sommes-nous d’accord que c’est moi qui dirige l’armée ?

— Oui, Votre Majesté.

— Donc j’en avais le droit. Il faut que vous compreniez que ce n’est plus ma mère qui dirige, mais moi. Et il hors de question que j’autorise des discriminations, quelles qu’elle soit. Je ne veux plus qu’aucun couple de même sexe ne soit victime et jugé comme des criminels. Je veux que cette loi soit supprimée.

— Vous n’en avez pas le pouvoir, Votre Majesté, intervint enfin Océane, sans me regarder.

— Je le sais et c’est pour ça que c’est à vous que je fais cette demande. N’importe quel Eryennien doit pouvoir être libre d’aimer qui ils veulent, comme ils sont aujourd’hui libres de circuler, de se cultiver ou de parler librement.

— Ses gens devraient être internés plutôt que de rester libre ! s’écria l’un des conseillers en frappant sur la table.

— Vous croyez que c’est une maladie ?

— S’en est une ! Elle est inscrite dans le registre des maladies psychiatriques !

— Mais vous vous entendez parler ? Les avez-vous seulement déjà croisés ? Les avez-vous vivre heureux avec ceux qu’ils aiment ?

— Oui, j’en ai croisé et oui ils sont malades. Et vous ?

— Si vous pensez ça, c’est que vous les avez mal observés.

— Vous n’avez pas répondu à ma question, Votre Majesté.

— J’en ai croisé oui. Et je les connais plus que vous visiblement.

— Sommes-nous vraiment obligés d’élever la voix pour ça ? ajouta Océane calmement. Pourquoi ne pas procéder à un vote pour la suppression de la loi anti-homosexuelle ?

— Pourquoi voter quand on sait tous ici que la réponse sera négative ?

— Votons quand même. Qui est pour la suppression ? interrogea Océane.


Parmi la vingtaine de personnes présentes à ce conseil, seules trois personnes levèrent la main, dont moi. C’était sûr, ces hommes et femmes de tout âge étaient encore trop embobinés par les lois, les contraintes de ma mère pour ne seraient-ce qu’envisager de faire évoluer la solution en termes de tolérance.


— Qui est contre ? demanda ensuite Océane.


Cette fois-ci, tous ceux qui n’avaient pas encore voté levèrent la main.


— La séance est close, terminais-je.


Je me levais et tournais le dos à tout le monde pour qu’aucun ne me voie pleurer. Ce vote n’aurait jamais dû avoir lieu, c’était trop tôt. Dans mon dos, j’entendis les chuchotements s’estomper petit à petit.


— Elena ? m’interrogea Océane, sa main posée sur mon épaule.

— Pourquoi as-tu insisté pour que ce vote ait lieu ? Je ne vais pas pouvoir reprogrammer un vote pour supprimer cette loi avant des mois. Tu savais comme moi qu’ils allaient tous dire nous et tu as quand même voulu qu’on vote.

— Excuse-moi, je ne savais pas pour le délai. Si j’ai insisté c’était pour te montrer que d’un, l’Empire n’était pas prêt à accueillir un couple de femmes sur son trône, mais que toi non plus. Si tu étais vraiment prête à m’épouser, si tu n’avais pas fait cette demande sur un coup de tête, tu aurais trouvé les arguments pour convaincre les conseillers sans aucun problème. Est-ce que tu comprends pourquoi j’ai fait ça, mon amour ?

— Tu n’aurais jamais dû insister !

— Je voulais seulement t’aider, Elena !

— Bah c’est raté !

— Alors on n’a plus rien à se dire.


Elle ramassa ses affaires et sortit de la grande salle sans m’adresser un regard. Pendant une longue minute, je ne vis que ses longs cheveux blonds onduler dans son dos. En forçant se vote, elle venait de me mettre encore plus de bâtons dans les roues. À moins d’un cas de force majeure, je n’allais pas pouvoir reprogrammer un vote sur ce sujet avant minimum trois mois. Si seulement elle avait accepté ma demande en mariage, même spontanée, j’aurais pu faire changer les choses une bonne fois pour toutes. Mais là encore, elle ne m’aidait pas et j’allais devoir rattraper ses bêtises.

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