Chapitre 25 : Tempête dans l’Indien

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— Mircea, Mircea, c’est moi, Oscar, ne t’inquiète pas, tout va bien, je suis là.

Mircea s’éveilla en sursaut, en sueur. Au dehors, l’orage grondait.

— Que… quoi… qu’est-ce qu’il m’arrive… où suis-je.

— Tout va bien, tu es avec moi. On est sur le Renard, tu te souviens ? Au milieu de l’Océan Indien. La mer est un peu grosse, c’est tout, tu as juste fait un cauchemar.

— La mer… un cauchemar ? demanda Mircea qui ne retrouvait visiblement pas ses esprits.

— Oui, tu as hurlé dans ton sommeil. Quelque chose à propos de ton père. Mais tout va bien, maintenant, je suis là, ne t’inquiète pas.

Il caressa d’un doigt délicat la tignasse brune de son ami, dont la respiration haletante commençait à se calmer, et le garçon finit par s’apaiser.

— Tu as ta clarinette ? demanda-il. Joue-moi un air, s’il te plaît.

Alors qu’Oscar tirait l’instrument de son étui et le portait à ses lèvres, le cotre tangua violemment, projetant Mircea hors de sa couchette. Oscar, surpris, laissa tomber sa clarinette qui roula jusqu’à l’autre côté de la cale. Quelques instants plus tard, le navire tangua sur son autre bord et l’instrument revint aux pieds d’Oscar qui s’en saisit et le replaça dans son étui, qu’il mit en bandoulière.

— Décidément, cela empire, dit-il. Il faudrait peut-être qu’on aille…

Ses derniers mots furent interrompus par un éclair de lumière vive aussitôt suivi d’un grondement de tonnerre effroyable qui résonna dans toute la cale du Renard et en fit trembler la coque. Quelques instants plus tard, la cloche du cotre sonna l’alarme, et la voix de Skytte résonna par-dessus le vacarme de la tempête.

— Au feu ! Tout le monde sur le pont.

Les rares pirates que le tonnerre n’avait pas encore réveillés se levèrent précipitamment à l’annonce du quartier-maître. Ils suivirent Oscar et Mircea et débouchèrent par l’escalier de bois sur le pont principal du cotre. Le chaos le plus total régnait à bord, les pirates hurlaient à corps et à cris, vociférant des ordres contraires d’un bord à l’autre du navire. A l’avant, un éclair avait touché la caisse de la petite ancre qui avait instantanément pris feu. Amund et Phaïstos pompaient activement l’eau stagnant dans la cale pour remplir les seaux d’eau que Victarion déversait sans discontinuer sur le brasier. A l’arrière, la grand-voile battait au vent, déchirée de part en part par une rafale trop brutale. Perchés sur les vergues humides et accrochés aux étais glissants de la voile, Alizée, Juan et Esme bataillaient pour essayer de ramener les deux morceaux de toile qui volaient en tous sens et menaçaient de tout ravager sur le pont. Les poulies de boulines et de pointes d’écoute virevoltaient de droite et de gauche et manquaient de faucher à chaque passage les pirates qui s’activaient sur le pont. Mircea et Singh grimpèrent dans les haubans pour aider leurs camarades et amener avec Nid-de-Pie, Mériadec et Hippolyte, le perroquet et la trinquette. Au bout d’une heure, ils étaient parvenus à mettre le Renard à la cape, tandis que l’équipe de proue était venue à bout de l’incendie.

Naviguant uniquement sous hunier et sous clin-foc, l’équipage affronta pendant trois jours la tempête, tentant tant bien que mal de se maintenir à flot. Le minuscule cotre affrontait des vagues hautes de plusieurs mètres, avant de plonger dans des creux au fond desquels seul le drapeau au sommet du grand mât dépassait de la ligne de l’Océan. Les pirates travaillaient tous ensemble, jour et nuit, sans relâche, au péril de leur vie. Finalement, le soir du troisième jour, la tempête se calma, le ciel s’éclaircit sur une nuit qui révéla le premier quartier de lune. Surcouf ordonna à ses hommes de se reposer, prenant lui-même la barre, et assurant la seule présence vigile du bord.

Le lendemain, lorsque Zélia vint le retrouver pour prendre sa relève, une ombre blanche fit son apparition au Nord-Ouest. Le minuscule point blanc grossit au fur et à mesure pour lui porter le message d’Éléonore, en réponse à sa dernière lettre. Wardin rappela Balaïkhan qui s’élançait vers la colombe et s’apprêtait à interrompre le cours de la vie de l’oiseau de paix dans ses serres acérées. Finalement, l’animal vint se poser sur le gaillard arrière, et Surcouf décrocha le message attaché à sa patte avant de la déposer dans la cage où attendait son partenaire, roucoulant de plaisir. Le capitaine se retrancha dans sa cabine, en chassa Azimut qui émergeait à peine, et décacheta avec avidité la lettre de son aimée.

Cher Amour,

C’est avec grand plaisir et un soulagement certain que j’ai appris que vous étiez venu à bout du message de la carte. J’espère que votre quête avancera d’autant plus rapidement et que je pourrai bientôt vous serrer de nouveau dans mes bras. Ici, l’hiver a jeté son manteau blanc sur la campagne, et j’ai troqué les robes légères dans lesquelles vous m’avez vue cet été contre d’épaisses fourrures de martre et de zibeline. Le renard chassé par Wardin il y a ce me semble une éternité me fournit une écharpe épaisse et chaleureuse qui me tient compagnie en votre absence durant les longues nuits d’hiver. Sachez que notre rencontre m’a inspiré l’intrigue d’un roman que je vous ferai lire, à l’occasion. Du moins, l’écriture cadence le rythme monotone des journées que je vis dans l’attente de votre retour, et je passe mes nuits à écrire et réécrire des lettres et des poèmes que je ne peux vous envoyer, amour, ne sachant où vous trouver. Les sœurs me reprochent, d’ailleurs, ma consommation exorbitante de bougies, mais, que voulez-vous, j’ai du mal à trouver le sommeil, en sachant Oscar loin de moi et si proche du danger, à vos côtés. Ici, l’hiver nous a coupés du monde, et je n’ai plus entendu de nouvelles de Versailles, mais les derniers échos de la cour n’étaient pas rassurants quant à la santé de Louis. J’espère de tout cœur qu’il survivra à l’hiver et à ce maudit mal de Naples. En attendant votre retour, je me réchauffe le cœur en relisant vos lettres magnifiques auprès de la grande cheminée du couvent.

J’espère, mon cher amour, que nous nous reverrons bientôt.

Votre aimée. Éléonore.

Alors que Surcouf terminait de lire la lettre, la voix de Nid-de-Pie se fit entendre.

— Voile à l’horizon.

Encore ! pesta le corsaire. A croire que chaque lettre d’Éléonore est accompagnée d’une mauvaise rencontre.

Il monta sur le pont et rejoignit Zélia à la poupe du navire, qui scrutait l’horizon. En effet, une large voile blanche pointait à l’horizon, et semblait les prendre en chasse. Il tira de sa poche la longue-vue d’Azimut et la pointa dans la direction du navire qui les poursuivait.

— Fichtre, c’est le Trincomalee. La peste soit de ces maudits Hollandais. Qu’est-ce qu’ils peuvent bien nous vouloir ! Azimut, Zélia, Alizée dans ma cabine, maintenant.

Les trois femmes suivirent leur capitaine dans sa cabine, sous le gaillard d’arrière. Surcouf étendit devant eux une carte de la région.

— Azimut, commença-il. Où sommes-nous ? As-tu une idée de notre position.

— C’est-à-dire que… la tempête nous a fait dériver bien au Sud de notre objectif, mais il n’y a autour de nous aucun amer qui me permette de donner avec précision notre position. Nous devons être à environ cinq cent milles à l’Est de Port-Elizabeth.

— Bien. Alizée, où en sont les réparations de la grand-voile ?

— Je m’y affaire jour et nuit, avec l’aide de Victarion et de Singh, mais elle ne sera pas réparée avant deux jours, capitaine, répondit la jeune femme.

— Nous n’avons pas de temps à perdre, il nous faut toute la voilure possible, pour espérer échapper au Trincomalee. Zélia, penses-tu que nous pourrons le tenir à distance ?

— A cette allure, non. Le vent arrière est un trop grand avantage, pour la frégate. Il nous faudrait virer de bord et nous rapprocher du vent, ce qui ralentirait la frégate.

— Parfait, je veux que tu prennes les commandes. Barre à 160°SSE, et Alizée, fait donner toute la voilure de ce cotre, je veux que vous gardiez ce Hollandais à distance.

Les jeunes femmes s’exécutèrent et transmirent les ordres de Surcouf au reste de l’équipage. Le cotre corsaire empanna aisément et fila dans la direction indiquée, toutes voiles dehors. Cependant, le hunier, le perroquet et les trois focs du Renard ne représentaient qu’une maigre surface de voile, comparée à la taille du navire, et il peinait ainsi à atteindre les quatre nœuds de moyenne. Et si le Trincomalee avait perdu beaucoup de temps dans la manœuvre et avait presque perdu de vue le navire français, il avait repris sa chasse, et avançait, malgré une allure qui ne lui était pas favorable, légèrement plus vite que sa cible, si bien que ses voiles grossissaient à l’horizon au fur et à mesure de l’avancée de la journée. Surcouf espéra pouvoir atteindre le couvert de la nuit afin d’échapper à son poursuivant à la faveur de l’obscurité, mais les dieux ne semblaient pas vouloir l’aider, car, après trois jours d’un orage infernal, le ciel dégagé de nuages brillait de millions d’étoiles, qui éclairaient le pont du navire. La lune brillait également, comme si elle voulait montrer aux Hollandais la position du Français dans l’obscurité. La voie lactée illuminait le ciel de ses nébuleuses rouges, ocres, vertes, bleues, qui étaient un véritable délice pour les yeux. Finalement, lorsque l’aube se leva, le Trincomalee était toujours en vue, et n’avait perdu que peu de distance, dans l’obscurité. Au matin du deuxième jour de leur poursuite, les canons de chasse de la frégate tirèrent leurs premiers boulets comme pour jauger la distance avec le cotre français. Ces derniers finirent leur course dans l’eau à bonne distance du Renard, mais c’était un avertissement, et Surcouf avait bien compris les intentions hollandaises. Pendant vingt-quatre heures, la frégate tira sur les fuyards à intervalles réguliers, empêchant quiconque à bord de se reposer. Après la tempête, cette fuite inutile vers le Sud était de trop pour l’équipage, et des tensions commencèrent à éclater au sein des pirates. Rasteau, le premier, vint trouver Surcouf, excédé après un énième coup de canon hollandais pendant son quart de repos.

— C’en est assez, hurla-il à son capitaine. Pourquoi allons-nous au Sud ? Il n’y a rien là-bas d’autre qui nous attende que le froid, les glaces, et la mort. Et comment se fait-il que nous ayons réussi, en à peine deux mois, à nous mettre à dos les marines anglaises, hollandaises, et espagnoles ? Pas un pirate, pas un forban n’a jamais été aussi recherché que nous le sommes aujourd’hui. Qu’est-ce que tu nous caches, Surcouf ? Qu’y-a-il de si important et de si secret autour de ce trésor pour que nous soyons ainsi la cible de tant d’ennemis ?

Pour toute réponse, le cuisinier eut le droit de passer sa journée à briquer le pont pour insubordination. A mesure que la tension montait à bord, le capitaine se retranchait un peu plus encore dans sa cabine, griffonnant avec frénésie sur ses cartes et ses parchemins, tentant de trouver une solution à un problème insoluble. Finalement, le soir de son altercation avec Rasteau, Alizée sortit de la cale, le sourire aux lèvres.

— Ça y est ! hurla-elle. La brigantine est réparée. Ce n’est qu’un raccommodage de fortune, et certaines laizes de toile mériteraient d’être changées, mais cela devrait faire l’affaire.

Aidée de la plupart des hommes, ils hissèrent la grand-voile, l’établirent sur sa vergue, et déferlèrent ses rabans pour la laisser tomber. Enfin, ils halèrent les amures et les écoutes, et orientèrent la voile au plus près du vent, qui s’y engouffra avec vigueur. Il était temps, car le boulet lancé par le Trincomalee s’abîma à quelques brasses seulement du gouvernail du cotre, éclaboussant dans une gerbe d’eau Victarion, qui tenait la barre. Petit à petit, le Renard reprit de l’avance sur son poursuivant, et aborda le quatrième jour de leur poursuite avec une bonne avance. Cependant, la frégate hollandaise était toujours en vue, et ne perdait pas autant de terrain que ce qu’elle aurait dû, dans les conditions de vent et de voilure dont disposaient les deux bâtiments. Dans la matinée, alors que Mircea relevait Nid-de-Pie à la vigie du hunier, un grand choc se fit entendre et le navire freina brusquement, comme s’il avait heurté quelque chose. La violence de l’impact avait projeté le garçon en avant, et ce dernier avait failli passer par-dessus-bord, se rattrapant in extremis au marchepied. Cependant, il n’y avait rien à l’horizon. Pas un obstacle, pas un rocher sur lequel le Renard aurait pu s’accrocher.

— Nous avons heurté quelque chose, hurla Zélia. Inspectez la cale de fond en comble à la recherche d’une voie d’eau, ordonna-elle. Mircea. As-tu vu quelque chose ?

— Absolument rien, répondit-il. Ni devant, ni derrière nous. L’Océan est toujours aussi calme et plat, le Trincomalee est à bonne distance et nous sommes toujours hors de portée de ses canons de chasse.

Toute la matinée, les pirates inspectèrent la cale de fond en comble sans trouver aucune voie d’eau dans la coque. Cependant, le navire semblait vraiment ralenti et les hollandais refaisaient leur retard, petit à petit. En fin d’après-midi, c’est finalement Cebus qui trouva la source du problème. Il conduisit Oscar à l’avant du navire, à côté du lieu de l’incendie qui s’était déclenché au début de la tempête. En effet, les évènements s’étaient enchaînés si rapidement, ensuite, que personne n’avait songé à vérifier l’intégrité du cabestan qui permettait d’enrouler la lourde chaîne d’acier dans sa caisse afin de la maintenir en place. Et ce dernier, visiblement endommagé par les flammes, avait cédé dans la tempête et laissé l’ancre se dérouler et entraver le Renard comme un boulet à la jambe d’un bagnard.

— Venez-voir, appela Oscar. C’est l’ancre, l’ancre est déroulée ! c’est elle qui nous ralentit !

Les pirates accoururent pour constater les propos du blondinet, qui félicitait Cebus de sa découverte.

— C’est vrai, affirma Victarion. C’est pour cela que le navire avait une tendant étrange à lofer, bâbord amure.

— En effet, il faut la remonter, statua Dents-Longues. Mais avec le cabestan en miettes, il va nous falloir de gros bras pour hisser les deux-cents brasses d’acier hors d’eau.

Il alla cherche Amund, Tormund, Andy, Phaïstos et Rasteau, qui commencèrent à hisser l’ancre à la seule force de leurs bras. Maille après maille, mètre après mètre, ils remontaient la lourde chaine que Tag et Heuer prenaient bien soin d’enrouler autour d’une roue de fortune qu’ils avaient inventée afin d’éviter que le travail des cinq mastodontes ne soit réduit à néant à la moindre défaillance de leur part. Au bout de deux heures d’un travail harassant, ils finirent par comprendre la véritable raison des difficultés de leur effort, et du choc qu’avait subi le Renard le matin même. En effet, un jeune cachalot s’était fait hameçonner par l’une des branches incurvées de l’ancre, et était accroché, incapable de se libérer. Le malheureux était mort noyé, incapable de remonter à la surface, entraîné ainsi vers le fond par le poids de l’acier.

— Il doit peser au moins cinq tonnes ! s’exclama Mériadec.

— Nous n’arriverons jamais à le hâler à mains nues, constata Andy.

— Il faudrait le palanquer, répondit Tag, mais cela nous prendrait une bonne heure, au minimum.

Comme pour lui répondre, une détonation provint du Trincomalee. La frégate hollandaise avait repris sa marche en avant et s’était rapprochée au plus près du cotre, et le menaçait de nouveau de ses canons de chasse.

— Tiens, je l’avais oublié, celui-là, grommela Heuer. Non, nous n’avons pas le temps de palanquer la bête. Il nous faut trouver une autre solution, et vite !

— Poussez-vous, aboya Dents-Longues en écartant l’ingénieur de sa route ; Laissez-moi faire.

Il enjamba le bastingage, agrippa la chaîne de l’ancre, et descendit les derniers maillons qui surnageaient de la surface écumeuse de l’océan pour rejoindre le bébé cachalot. Il sortit de l’une de ses manches une dague au manche ouvragé et entreprit de découper le morceau de mâchoire qui maintenait l’animal accroché à l’ancre. Le cotre avançait à bonne allure, et la mer commençait à grossir de nouveau, si bien que chaque vague manquait de désarçonner le Longs-Couteaux, qui travaillait sans relâche. Au bout de quelques minutes, les derniers lambeaux de peau du malheureux cétacé cédèrent, et sa carcasse s’éloigna en flottant du Renard, déjà assaillie par des hordes de goélands, de sternes et de fous de Bassan affamées. Dents-Longues remonta sur le pont, trempé et épuisé, et les cinq gaillards purent haler les dernières brasses de chaîne qui maintenaient encore l’ancre sous l’eau.

— L’ancre est haute et claire, annonça finalement Andy.

— L’ancre est haute et claire, répéta Zélia à la barre, signifiant qu’elle avait entendu le message du rameur.

— Et l’écrivain a fait son flambeau de l’encre, qui l’éclaire, chantonna Azimut, du même ton éthéré qu’elle aimait employer.

Finalement, le Renard, libéré de toute entrave, reprit sa marche en avant et recommença à distancer son poursuivant, bien plus rapidement, désormais. La nuit suivante, alors que la lune était désormais grosse dans le ciel, Alizée, postée dans les haubans, fut le premier témoin de la raison qui avait poussé Surcouf à mener son équipage aussi loin vers le Sud.

— Iceberg droit devant, hurla-elle en faisant résonner la cloche d’alarme.

Les pirates montèrent sur le pont avec précipitation, et se répartirent à leurs différents postes, pour assurer la manœuvre. Mériadec, Hippolyte, Mircea, Singh et Nid de Pie rejoignirent Alizée, Juan et Esme dans les voiles pour orienter les vergues à la force des bras. Près de dix mètres plus bas, le reste de l’équipage s’affairaient sur les écoutes, des focs, de la brigantine et du hunier, tournant ici une bosse, libérant là une manœuvre, afin de faire pivoter le navire à temps pour éviter l’obstacle. Skytte, à la proue du navire, annonçait à intervalles de temps réguliers la distance du Renard avec l’iceberg, et l’information était relayée d’un bout à l’autre du cotre jusqu’à Victarion, à la barre. La réactivité et l’efficacité de l’équipage permit aux pirates de manœuvrer à bonne distance du monstre de glace, et de le contourner ainsi sans grande difficultés. Derrière eux, si l’équipage du Trincomalee avait entendu l’alerte donnée par Alizée et avait pu se préparer à réagir avec plus de temps, la frégate était autrement plus difficile à manœuvrer, et ils manquèrent de peu de s’abîmer contre le mastodonte.

— Ils sont passés, annonça la belle jeune femme blonde lorsqu’elle vit la figure de proue du navire hollandais refaire son apparition dans le sillage du Renard. La chasse continue.

— Regardez, lança Mircea à ses camarades, penchés sur la vergue, en pointant du doigt la ligne d’horizon devant lui. Il y en a d’autres.

En effet, l’océan était parsemé de dizaines de formes noires, toutes plus imposantes les unes que les autres et qui se dirigeaient droit sur eux.

— Capitaine, il y a trop d’icebergs, lança Alizée. Il faut faire demi-tour.

— Non, répondit Surcouf avec fermeté. Que tout le monde reste éveillé. Nous allons continuer vers le Sud. C’est ce que j’attendais depuis des jours. Dans ce champ de mine, le Trincomalee ne pourra pas nous suivre, et il devra soit abandonner la poursuite, soit risquer le naufrage. Nid de Pie, prends ton poste d’observation. Je veux deux hommes à la proue, et je veux être informé de la position du moindre petit bloc de glace de ce secteur. C’est clair ?

Les prédictions de Surcouf se révélèrent exactes, et, après avoir frôlé de justesse un second iceberg et perdu énormément de temps dans la manœuvre, Vertongen se résigna à abandonner la chasse et fit demi-tour. Lorsque l’aube se leva finalement, le Renard était entouré de dizaines d’icebergs, mais les voiles du Trincomalee avaient disparu de l’horizon.

— Terre ! Terre en vue, à bâbord, annonça Nid-de-Pie.

— Cap sur ces îles, ordonna Surcouf. Les cales se vident horriblement vite. Il nous faut profiter de cet heureux présage pour faire le plein de nourriture et d’eau douce. Azimut, sais-tu où nous sommes ?

— Si mes calculs sont exacts, ces îles forment l’archipel des Crozet, répondit la navigatrice. Nous devons nous trouver à mille deux cent cinquante milles au Sud de Madagascar.

Ils mouillèrent dans le bassin des damiers, protégés du vent d’Ouest par la haute silhouette de la première île, et installèrent leur campement sur la petite grève à l’Est de l’île. Alizée demanda à ce que la brigantine soit mise à terre, afin de reprendre avec moins de hâte le long travail de couture qu’elle avait entrepris pendant la tempête, tandis qu’Oscar et Wardin escaladaient les pentes verdoyantes de l’île pour aller étudier les albatros qui nichaient par centaines au sommet du volcan à l’origine de la formation des Crozet.

Le Nautilus et le l’Argonaute furent mis à l’eau, et Azimut partit avec Zélia à la découverte des autres îles de l’archipel. Pendant la traversée de l’Atlantique, Tag avec planché avec Tuba pendant de longues heures sur les plans du sous-marin, et ils étaient parvenus à améliorer la flottaison de ce dernier par un système de poids, de contrepoids et de sas d’entrée d’eau qui permettait de gérer avec une plus grande précision la flottabilité de l’embarcation. Accompagné de Natu, le sous-marinier embarqua dans le Nautilus afin de tester les améliorations apportées à son invention. A l’avant, un hublot de verre permettait de regarder où le navire avançait, et il était propulsé au moyen d’une hélice entraînée par un pédalier que les deux passagers actionnaient de leurs bras. Lorsqu’il était en surface, une petite voile rétractable permettait à l’engin d’utiliser la force du vent et d’économiser celles de ses passagers. Cependant, l’étanchéité du submersible était à revoir, et les fuites d’eau menaçaient la sécurité de ses occupants. Natu proposa de recouvrir la surface de l’engin de peau de phoque, afin d’en assurer l’imperméabilité. Et justement, en cette saison, les phoques étaient nombreux à se prélasser sur les plages ensoleillées de l’île. Ne se doutant pas du danger que représentaient les humains, en ces terres reculées et presque inexplorées, les animaux furent aisément abattus par dizaines par Rasteau et les autres chasseurs. Les bêtes furent dépecées, salées, et remisées dans les cales. La graisse de leurs peaux fut mise en tonneau afin d’alimenter les lampes et autres lanternes pour le reste de leur traversée. Une fois le Nautilus entièrement recouvert de son camouflage gris-moucheté, le reste des peaux de phoques fut mis à sécher sur le pont du Renard, et Natu entreprit d’en faire des gants, des manteaux et des bottes de fourrure qui serviraient à tout l’équipage durant l’hiver. Deux jours après leur arrivée dans l’archipel, Zélia et Azimut revinrent de leur expédition. Si la première des îles leur avait fourni un abri appréciable contre le vent continuel de la région et de quoi se ravitailler en nourriture, son exploration n’avait révélé aucune source d’eau potable, et les réserves de la cale commençaient à diminuer sérieusement, au point que Surcouf songea à répéter l’expérience de l’Atlantique. Mais les deux pirates le rassurèrent en lui annonçant qu’une rivière coulait sur les flancs de l’île de la Possession, à l’autre bout de l’archipel. L’équipage releva l’ancre et fit voile vers cette petite île, avec dans son sillage la forme sombre et affleurant à peine la surface du Nautilus, occupé par Tuba et Natu. Les peaux de phoques avaient réalisé le travail d’étanchéité attendu, et conféraient au submersible un surplus d’aérodynamisme. Continuant sur la lancée prometteuse de ses expériences, Tuba réalisa la première immersion complète du système, à quelques mètres au-dessous de la surface de l’eau, provoquant un vent de panique dans l’équipage du Renard, vite rassuré par la remontée du sous-marin. Une orque curieuse vint même nager à quelques brasses de l’embarcation, étonnée par cet étrange animal qui sentait le phoque tout en mesurant la taille d’un baleineau. Heureusement pour ses deux passagers, elle se détourna rapidement de l’engin, choisissant finalement la prudence face à cet inconnu qui était pourtant vulnérable et désarmé.

La seconde île était le point de rencontre d’une colonie de lions de mer, et ces colosses aux défenses mortelles occupaient la totalité de la plage, entassés les uns sur les autres, se battant pour la conquête des femelles qui attendaient d’être fécondées. Diverses espèces de manchots avaient élu domicile sur les hauteurs de l’île, et Wardin se lia d’amitié avec un Gorfou sauteur. Le petit manchot, haut d’une cinquantaine de centimètres avait un plumage noir sur le dos, et blanc sur le ventre, comme la plupart de oiseaux de son espèce, mais ce qui différencie principalement le gorfou des autres espèces de manchots, ce sont ses deux petites aigrettes jaune vif situées de part et d’autre des yeux, qui lui donnent l’impression d’avoir des cils immenses et colorés. Ainsi, pendant deux jours, l’ornithologue Danois se promena sur l’île, en compagnie d’Oscar, suivi par ses trois bernaches et le petit gorfou, qui se dandinait de sa démarche malhabile.

Le soir de leur cinquième nuit dans l’archipel, Surcouf fut soulagé de contempler un ciel clair, à peine troublé par quelques cirrus épars. Azimut à ses côtés, scrutait elle-aussi la voute céleste, observant les constellations de l’hémisphère Sud. Vers minuit, au Nord Est de leur position, la pleine lune se leva finalement, large et brillante. Le corsaire et la navigatrice descendirent aussitôt dans la cabine du capitaine, et étalèrent la carte des Bénédictines sur la table de travail. Bientôt, les rayons argentés de l’astre nocturne vinrent envahir la pièce, faisant scintiller les lettres du message de la carte.

Seule la pleine Lune révèle le vrai pouvoir de cette carte. Une fois les sept pièces de l’énigme réunies, rendez-vous au nombril du monde.

Puis, l’un après l’autre, des points lumineux se mirent à scintiller sur le papier jauni de la carte.

— Là ! Regarde ! dit Azimut. Les points sur la carte ! C’est ceux que j’avais vu, l’autre jour, lors de la pleine lune ! Vite, il faut noter ces lieux quelque part.

Elle prit un morceau de parchemin et commença à griffonner les noms des lieux marqués sur la carte.

— Alors, les plus proches d’ici sont là, Sur l’île Bourbon… ou l’île de France, c’est difficile de les distinguer, avec l’échelle du planisphère, dit-elle.

— Là, regarde, c’est Pondichéry, fit remarquer Surcouf en pointant du doigt le comptoir Indien. Et ici, probablement Canton, en Chine.

— C’est juste, répondit-elle en notant les lieux sur son morceau de parchemin. Et ici, probablement le monastère de Constantine, en Algérie, ajouta-elle. Tiens, regarde, il y a un point brillant quelque part dans l’Est de la France.

— Ce doit être le monastère de Chalais, répondit Surcouf, où nous avons réussi à nous procurer la boussole. A ce propos, en parlant de boussole, je ne vois pas de point lumineux autour de Djibouti.

— C’est exact, confirma Azimut. Peut-être qu’il n’y a finalement là aucune raison de penser à un quelconque rôle de l’autel des navigateurs dans notre quête. Avons-nous noté tous les lieux indiqués par la carte ?

— Non, regarde, il y a un autre point, là, en Louisiane, et un autre encore, ici, sur le Saint-Laurent, désigna Surcouf.

— En effet, c’est le monastère de Trois-Rivières, affirma Azimut. Reprenons : Chalais, Trois-Rivières, La Louisiane, Pondichéry, Canton, Constantine, et quelque part sur l’île Bourbon ou l’île de France. Sept. Sept monastères. Comme les sept pièces du Trésor des bénédictines.

— Merveilleux, s’exclama Surcouf ! Il ne nous reste plus qu’à récupérer dans ces lieux les pièces qui nous conduiront au trésor, mais encore faudra-il résoudre le mystère de ce qu’est le nombril du monde.

— Et si c’était Djibouti ? Proposa Azimut. Après tout, les grands sages de ce monde tendent à penser que l’Afrique est le berceau de l’humanité, une sorte de nombril du monde, en quelque sorte.

— Pourquoi pas, répondit le corsaire. Mais que faisons-nous ? Faut-il rester sur notre idée première de faire réparer la boussole à Djibouti, tout en sachant pertinemment que Calloway nous attendra au Nord de Madagascar, ou bien commençons-nous dès maintenant à tenter de réunir les pièces du trésor ?

— De notre position, L’île Bourbon est la plus proche, et Saint-Denis est un lieu de passage obligé pour ravitailler avant de rejoindre Djibouti, alors, nous aurions tout intérêt à aller voir de ce côté si quelque monastère de l’île ne renfermerait pas l’une des pièces de sept.

— C’est juste, approuva Surcouf. Dans ce cas, Cap sur l’île Bourbon. Préviens l’équipage, nous appareillerons à l’aube.

La navigatrice quitta le corsaire pour rejoindre l’équipage. Surcouf se pencha sur son bureau, en sortit son carnet de papier à lettres, trempa sa plume d’oie dans son encrier et entreprit de répondre à la lettre d’Éléonore.

Éléonore,

Mon cœur débordant d’amour s’est serré un peu plus à la lecture de votre lettre. Si le froid a gagné la France et ses campagnes, sachez que l’été, dans ces contrées proches du pôle Sud, ne réchauffe pas davantage les hommes, et que mes nuits sont aussi fraîches que les vôtres. Les nouvelles que je vous apporte sont bonnes, mon aimée, car la pleine lune nous a enfin révélé les derniers secrets de la carte des Bénédictines. Et nous n’avons pas de temps à perdre, car Calloway a retrouvé notre trace. Je suis inquiet pour Oscar. Si mes hommes venaient à apprendre ce qu’il représente, pour l’Anglais, je crains que la fidélité que j’ai acquise des pirates qui forment mon équipage ne soit encore assez solide, et je soupçonne des trahisons qui se fomentent dans mon dos. Mais je ne veux pas, par ces propos alarmants, vous inquiéter outre mesure. Dès demain, nous mettrons le cap sur les monastères qui renferment des pièces du trésor des bénédictines, et j’espère vous retrouver avant l’été prochain. J’ai découvert des contrées sauvages, des natures merveilleuses que je voudrais partager avec vous. Lorsque toute cette histoire sera derrière nous, j’aimerais vous faire découvrir ces splendeurs. Oh, comme j’aimerais passer le restant de mes jours à vos côtés, amour. Passer les longues nuits d’hiver dans vos bras, serrés l’un contre l’autre dans notre grand lit, sortir flâner main dans la main et entendre la neige crisser sous nos pas. Comme j’aimerais, le printemps venu, courir dans les champs de fleurs avec vous, entendre votre rire qui réchauffe le cœur des malheureux et répare les plus profondes fêlures des hommes. L’été, nous pourrions naviguer, entre les îles du Morbihan, déjeuner sur une île déserte, et nous unir sous un soleil brûlant. Comme j’aimerais vous couvrir de cadeaux, vous regarder arborer les plus belles robes de la cour, comme les plus simples, celles que vous faites vous-même, avec patience et application, et qui vous vont si bien. Comme j’aimerais regarder Oscar grandir à vos côtés, regarder sa tignasse blonde s’éloigner en riant dans les champs de blés à la veille de la moisson. Enfin, comme j’aimerais, en automne, que nous nous asseyons à la terrasse d’un salon de thé, et vous raconter des histoires de marins, tandis que vous, armée de votre plus belle plume, retracerez mes récits de voyage. Oh mon amour, si vous saviez avec quelle hâte j’attends ce jour béni, et c’est avec l’impatience d’un adolescent amoureux que j’attendrai votre réponse, affrontant vents et marées dans l’espoir de vous revoir.

Surcouf cacheta sa lettre et remonta sur le pont pour l’envoyer au moyen de la colombe de Wardin. Au vu de l’agitation qui animait l’équipage, il comprit que la nouvelle du changement de destination n’avait pas été du goût de tous. Dès qu’ils le virent faire surface, Rasteau, Singh et Törmund se jetèrent presque sur lui.

— Capitaine, savez-vous réellement où nous devons aller ? demanda Singh

— Voilà trois mois que nous naviguons, sans but, et Azimut nous annonce ce matin que nous avons changé de destination. Nous voulons des explications, exigea Rasteau.

— Ce n’est pas possible. Nous perdons notre temps, ajouta Törmund.

— Du calme, mes amis, du calme. Les coupa Dents-Longues. Laissez notre cher capitaine s’expliquer, enfin… je dis capitaine… mais… vous faites toujours confiance à Surcouf, n’est-ce pas ? Vous ne voulez tout de même pas d’un changement de commandement, je me trompe ?

La remarque paraissait innocente et bien intentionnée, mais Surcouf savait que dans l’esprit pervers du Longs-Couteaux, elle voulait dire le contraire. Et il avait réussi, de la manière la plus insidieuse possible, à mettre le doute dans la tête de l’équipage quant aux capacités de Surcouf de mener à bien cette mission. Le corsaire le savait, il lui faudrait se montrer diplomate au risque de perdre le soutien de ses hommes, et plus que tout, il lui faudrait des résultats, et vite.

— Camarades. Écoutez-moi. Je vais être franc avec vous. Lors de notre départ de Tortuga, je n’avais aucune idée de notre destination.

Un murmure de désapprobation circula dans l’assistance.

— Écoutez-moi. Je savais qu’à Djibouti, nous pourrions faire réparer la boussole brisée des sœurs de Chalais, et j’espérais secrètement qu’elle nous guiderait au trésor. Cependant, ce n’est pas le cas.

— Comment ? hurla un pirate

— Menteur ! cria un autre.

— Attendez ! Je vous ai trompés, je le sais, et je ne m’en cache pas. Cependant, Azimut et moi, avons travaillé sans relâche, jour et nuit, pour venir à bout de l’énigme de la carte. Et nous y sommes parvenus. Sept pièces, dans sept monastères répartis autour du globe, nous fourniront la clef du Trésor des Bénédictines. Et nous savons que l’une de ces pièces se trouve sur l’île Bourbon.

— Vous nous avez trahis ! dit un homme.

— Et abusé de notre confiance, ajouta un second.

— Mes amis. Écoutez-moi, et ne laissez pas votre colère dominer vos émotions. Nous sommes tous gouvernés par une chose en ce monde. Cette chose n‘est pas humaine, cette chose n’est pas palpable. Cette chose est née avec la vie sur Terre, et tous les êtres vivants qui s’y sont succédés ont cherché à l’acquérir… en vain, car dès lors que l’on possède cette chose, les autres cherchent à vous la ravir.

Elle a pris plusieurs visages au cours des siècles, certains l’assimilent à la force, d’autres à la foi, la peur, ou encore l’argent. Cette chose, que nous désirons tous, c’est le pouvoir !

Oui, nous voulons prendre le pouvoir, et, nous allons le prendre, ici, sur cette Terre. Lorsque le Trésor des Bénédictines sera en notre possession, vous aurez tout le loisir de devenir l’homme que vous avez rêvé d’être. Musicien, marchand, bourgeois, et même baron, vous n’aurez qu’à le souhaiter pour qu’il se réalise. Car, lorsque nous aurons acquis l’objet de notre quête, nous aurons le pouvoir et l’argent. Mais cette mission nous demande d’être unis, soudés, et de nous faire confiance les uns les autres. Êtes-vous prêts à faire ces sacrifices, dans l’espoir d’une vie de faste, de luxe et de bonheur ? C’est à vous que je m’adresse, pirates issus de toutes les confréries, que le hasard a réunis ici, sur ce navire, perdu au milieu de l’Océan Indien. Qui d’entre vous est prêt à accomplir son destin ? Qui d’entre vous risquera sa vie pour accéder au graal ? Qui veut inscrire son nom dans les livres d’Histoire ? Pour le crâne et les os, qui est avec moi ?

— Pour le crâne et les os, hurlèrent les pirates à l’unisson.

Une fois la fièvre du discours de Surcouf retombée, Dents-Longues s’avança de nouveau vers son capitaine.

— Nous voulons tous la gloire et la richesse, et c’est pour cela que nous t’avons suivi, dit-il. Mais aurais-tu fait toi-même confiance à ton capitaine, s’il t’avait menti pendant des mois, alors que tu as risqué ta vie plus d’une fois à ses côtés, en lui vouant une confiance aveugle ? Réponds-moi honnêtement, comment pouvons-nous être sûrs que l’île Bourbon est réellement une étape de notre quête, et pas un nouveau mensonge destiné à calmer notre impatience.

— Je vous dis la vérité, et je comprends que votre confiance en moi ait pu être offensée. Aussi, je m’engage à me retirer de mes fonctions si l’île Bourbon venait à décevoir vos espoirs et les miens. Je m’y engage, sur mon honneur.

Au sourire satisfait qu’il ne pouvait réprimer, Surcouf comprit que Dents-Longues avait eu ce qu’il voulait. Le capitaine venait de se placer lui-même sur un siège éjectable, et le succès de sa mission se voyait désormais déterminé par l’interprétation approximative d’un point lumineux sur une carte centenaire au clair de lune. Sitôt la foule dispersée, Zélia et Azimut se jetèrent sur lui.

— Capitaine, voyons, vous n’y pensez pas, dit la première.

— Et puis, vous savez bien que nous ne savons pas si la carte indiquait l’île de France où l’île Bourbon, ajouta la seconde.

— Je sais, répondit Surcouf. Mais l’équipage ne pouvait pas accepter de nouvelles imprécisions de la part de leur capitaine. Nous n’avons qu’à espérer que l’île Bourbon sera bien le sanctuaire de l’une des sept pièces du trésor. Si cela s’avérait véritable, et que l’équipage me confirme à sa tête, il faudra que nous discutions du cas de Dents-Longues et de Rasteau. Ces deux-là passent leurs journées à converser à voix basse en me regardant de travers et je suis persuadé qu’ils complotent dans notre dos. Ils ne doivent certainement pas encore avoir la majorité de l’équipage de leur côté, car ils auraient agi et déjà demandé un vote, dans ces conditions, mais la prochaine mauvaise nouvelle risquerait de faire basculer l’équilibre des forces. Zélia, je vais devoir te demander d’enquêter à ce sujet. Je n’ai aucun doute envers ta loyauté et tu as ma confiance aveugle et absolue. Mais sois discrète, je t’en prie, nous n’avons pas besoin d’un nouveau scandale.

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