Chapitre 3 (2/3): Mission Royale

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Un valet entra dans l’antichambre et annonça le nom de Surcouf. Le corsaire se leva, ainsi qu’Oscar et Cebus.

— Seul, a dit le Roi, trancha le valet.

— Peut-il au moins me suivre dans la galerie des glaces ? demanda Surcouf. Il restera avec les Dames de la Cour pendant l’entretien. C’est la première fois qu’il vient à Versailles, et le petit rêve de voir les murs de cette salle dont les rumeurs de faste, de luxe et de majesté ont navigué jusqu’aux Caraïbes.

— Bien. Dans ce cas, je pense que cela sera possible, répondit le valet, troublé.

Ils entrèrent dans la pièce à la suite de leur guide. Oscar n’avait jamais vu tant d’opulence et de volupté. La richesse et le raffinement de la culture française réunies en une œuvre de toute beauté. Au fond de la pièce, le Roi assis sur son trône regardait sur sa gauche l’esplanade donnant sur les jardins du château. Le corsaire et le garçon traversèrent la grande galerie jusqu’au mur opposé. Les comtes, ducs et seigneurs les plus privilégiés se tenaient debout à la droite du Roi, tandis que leurs femmes, filles et autres Dames de la cour se regroupaient à Jardin, chuchotant et gloussant entre elles, intriguées par la présence du singe.

L’une d’entre elles attira plus particulièrement l’attention de Surcouf : certes, elle ne portait pas les vêtements les plus délicats, elle n’arborait pas la coiffure la plus extravagante de la cour, mais elle avait un visage beau et doux, un regard tendre et délicat, et une stature à faire pâlir de jalousie reines et impératrices. Elle avait des yeux noisette, en amande avec une touche de vert. Son teint légèrement hâlé était rehaussé de fines taches de rousseur qui mouchetaient les ailes de son nez aquilin. Ses longs cheveux châtains ondulaient voluptueusement, tombant sur ses épaules et son dos nus. Elle portait une robe à volants blanche surmontée d’un corset d’opale. Les longues manches de la robe, faites d’une fine dentelle, tombaient sur ses poignets, s’évasant vers les mains. La simplicité de la tenue exaltait la beauté de la femme.

Ils arrivèrent finalement au pied de l’estrade royale où se tenait le trône. Là, ils s’agenouillèrent aux pieds du Roi, qui se leva en s’esclaffant.

— Antioche, mon ami ! Relève-toi, malheureux. Point de courbettes et de marques de soumission pour toi. Allez, suis-moi, j’ai à te parler. Si tu savais comme la mer me manque… Raconte-moi un peu, ça fait combien de temps ? Dix ans ? Quinze, peut-être ? Je t’envie, mon ami. Et qu’on ne nous dérange pas, ajouta-il à son intendant.

— Quatorze, précisa le corsaire.

Surcouf suivit le Roi tandis qu’Oscar se dirigeait vers les Dames de la Cour qui l’appelaient, curieuses.

Ils contournèrent l’estrade et disparurent derrière une porte dérobée qui donnait accès à une pièce située derrière la salle de réception. Le petit cabinet du roi n’avait de petit que le nom. On aurait pu loger dans cette pièce une famille d’artisans avec leurs dix enfants mais elle constituait pour le roi un lieu calme où avaient lieu ses tête à tête les plus privés. C’est là que se jouait le dénouement des guerres, que se planifiaient les intrigues militaires, que se jugeaient les destitutions de bien ou encore que se décidait le montant de l’impôt. Un grand bureau de chêne occupait le centre de la pièce, sur lequel s’amoncelaient parchemins et lettres. Une plume d’oie trempait dans un encrier de verre, et le sceau royal trônait à côté du bâton de cire rouge qui venait sceller les missives de la couronne. Une carte du monde, vierge de toutes annotations, était étalée sur le bureau. Le Roi s’installa dans son fauteuil et invita le corsaire à s’asseoir en face de lui.

— Antioche, mon bon ami, quel plaisir de revoir ta vieille tête de brigand. Le récit de tes expéditions a traversé les mers jusqu’à Versailles : la libération de Miami, la défense de la Nouvelle-Orléans, la légendaire bataille de Batabano… Tous ces noms gravés dans les livres d’histoire sont le fait d’un seul homme : toi ! Et dire que j’aurais pu t’accompagner. J’aurais aimé que tu me racontes en détail ces exploits, mais la nouvelle que j’ai à te confier est d’une autre importance.

— Je suis venu dès que le gouverneur de Port-au-Prince m’a alerté. Le vent n’était pas toujours avec nous ce qui nous a fait perdre quelques jours mais nous avons fait au plus vite.

— Je sais bien, mon ami. C’est donc ce cher gouverneur qui t’a informé en premier ? Bien. Ne sachant pas où tu pouvais être, j’ai envoyé des messages dans tous les comptoirs français du Nouveau Monde dès que j’ai reçu cette étrange lettre de Londres.

Il lui tendit un morceau de parchemin rédigé d’une écriture fine et inclinée. Le sceau lui était inconnu. Il interrogea :

— Qui en est l’émetteur ?

— Je n’en sais rien, je ne connais ni le sceau ni la signature, mais j’ai des amis à Londres, des amis haut-placés. Et, connaissant la crainte qu’inspire ma femme outre-manche, je te garantis que ce n’est pas chose aisée. Mais peu importe la manière dont j’ai été informé, c’est surtout le contenu de la lettre qui m’a intrigué au plus haut point. Lis donc.

Surcouf parcourut le parchemin des yeux.

Pour que la Lumière soit faite sur Éléonore et que votre lignée règne après votre mort, suivez la piste des Bénédictines et alors, vous trouverez le lieu qui cache leur trésor.

Surcouf resta circonspect de longues minutes devant ce message énigmatique qu’il ne comprenait pas. Qui était cette Éléonore, quelle piste et quel trésor ? Il interrogea le roi Louis qui semblait avoir plus de clefs pour comprendre ce mystérieux message.

— J’étais aussi troublé que toi à la première lecture, mais voilà ce que j’ai compris : tu dois sûrement savoir que la couronne est endettée au plus haut point, et que mon mariage avec Elizabeth et la paix qu’il a apporté n’ont pas suffi à renflouer nos caisses. Bien qu’officielle, la paix n’a de valeur qu’ici, en Europe, et nos deux nations se livrent toujours une lutte fratricide pour le pouvoir aux Caraïbes comme sur toutes les autres mers du globe. Quoi qu’il en soit, tu as dû avoir eu vent de ce mythe populaire racontant que les Bénédictines, après le sac de Jérusalem, auraient sauvé une grande partie des reliques et trésors de la ville, et les auraient cachés en un lieu tenu secret. Pendant longtemps, rois, princes et aventuriers de toutes espèces ont tenté de retrouver ce trésor, mais la carte qui permettait d’y accéder avait disparu. Certes Elizabeth n’a toujours pas pu me donner d’héritier, mais je doute que n’importe lequel de mes fils, si le seigneur veut bien me faire l’honneur de m’en donner un, ne puisse un jour régner sur quoi que ce soit. Les guerres de mes pères et grands-pères, et leur folie des grandeurs, que rien n’illustre mieux que ce palais dans lequel je règne, ont coûté des fortunes à la couronne. Il me faut trouver ce trésor et renflouer les caisses de l’État.

— D’accord, reprit Surcouf, mais concernant la première partie… qui est cette Éléonore ? quelle lumière doit-on faire sur elle ?

Le Roi alla jusqu’à la porte, inquiet, et vérifia que celle-ci était bien fermée, il revint vers Surcouf et reprit à voix basse.

— Justement, c’est la partie du message que je ne comprends pas. Peu avant la guerre que les historiens ont plaisir à appeler la Guerre du Lys et de la Reine des épines, et qui aura coûté la vie de mon frère, j’avais été envoyé en Italie par mon père pour discuter des termes de la reddition des ducs de Savoie. A Venise, lors du bal masqué des Doges, j’ai fait la connaissance d’Éléonore, fille de riches marchands Vénitiens. Je l’ai enlevée et nous avons vécu ensemble une romance cachée entre Florence et Nice. Nous nous sommes mêmes mariés en secret. Mais, alors que j’étais en Autriche en visite à Vienne, j’ai reçu une lettre de mon père m’annonçant la mort de mon frère aîné. Je suis rentré à Paris et lui ai tout raconté : Éléonore, le mariage, notre idylle secrète. J’étais prêt à venger mon frère et à lever la plus grande armée que le royaume ait connu pour marcher contre l’Angleterre. Or, mon père ne l’entendait pas de cette manière, il m’a fait part de son projet de signer un traité de paix avec les Britanniques, et m’a ordonné d’épouser Elizabeth, la fille du Roi d’Angleterre, afin de sceller l’alliance de nos deux pays et permettre de résoudre cette guerre qui lui avait déjà coûté un fils. Encore jeune et fougueux, et n’écoutant que mon amour, j’ai malgré tout fait venir Éléonore à la cour et lui ai permis de vivre décemment. Au début, nous nous voyions constamment, entretenant cet amour puissant qui nous liait encore, puis, à mesure que le temps nous éloignait, notre relation a perdu de sa saveur d’antan. Elle a eu un fils d’un marchand de soie peu de temps après et est devenue courtisane. Évidemment, j’ai tenu parole et ai toujours veillé à ce qu’elle ne manque de rien, je l’aperçois à la cour de temps en temps, éblouissant l’assistance de sa. Mais je ne veux surtout pas que la vérité éclate sur elle car je sais que la Reine ne supporterait pas sa présence à Versailles. D’ailleurs, je pense que cette partie du message est plus un avertissement à son encontre.

Le roi marqua une pause, pensif, avant de reprendre en souriant.

— Mais toi, mon bon ami félicitations ! J’ai vu ton fils à tes côtés. Quelle prestance, quelle beauté ! Le brave Surcouf a enfin daigné poursuivre sa lignée !

— Oscar n’est pas mon fils, répondit Surcouf. C’est un orphelin de Port-au-Prince que j’ai rencontré à Saint-Domingue. Il était recherché par Calloway, et je l’ai ramené en France pour l’aider à retrouver sa famille.

— Il vaut mieux qu’ici il soit ton fils, reprit le roi en baissant la voix. La reine a beau être retournée à Londres, elle a des yeux et des oreilles partout dans ce palais et je doute qu’elle ne soit derrière toutes les manigances de ce diable de Calloway.

— Donc, reprit Surcouf, tu me charges de retrouver le trésor des Bénédictines. Soit. Mais comment mettre la main dessus, et surtout, par où commencer mes recherches ? Tu me dis que la carte a disparu et ton mystérieux messager ne donne pas plus d’indices.

Le Roi parut interloqué devant le tutoiement si familier de Surcouf. En effet, même la Reine le vouvoyait, lui servant d’ailleurs des « vôtre Majesté » à tout va, ce qui l’agaçait profondément, mais après tout, il avait passé avec Surcouf ses années d’études, et avait noué une vraie relation avec lui, d’égal à égal, sans tenir compte des titres et des lettres de noblesse de l’un ou de l’autre. Finalement, il apprécia beaucoup que, par sa manière de s’exprimer, Surcouf représentait encore l’ami d’il y a plus d’une dizaine d’années, et cela renforçait la confiance que Louis avait dans le corsaire. Il invita ce dernier à contourner le bureau et à contempler la carte qui s’y étendait.

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— Le message était accompagné de cette carte, mais impossible pour moi d’en comprendre le sens.

— A en juger par la précision des mesures, je dirais que la carte date de 1770, 1775 tout au plus, répondit Surcouf. Ce ne peut pas être la carte éditée lors de la prise de Jérusalem, c’est impossible. Elle est vierge, et n’indique l’emplacement d’aucun trésor. Je suis confus.

— Pourtant, elle doit être la clef qui mène à cette fortune, sinon, pourquoi me la faire parvenir.

— Attends, repris Surcouf, regarde, là !

Il pointa du doigt des mots écrits dans une langue incompréhensible, au-dessus et au-dessous de la carte. Reportés sur le papier, ces mots disaient ceci :

« Utpex am untdgx agsg gzoxaq qg kmtb eazxddk wt ojviz vtgfj. Wcz yhxe qgh nxii bngrzl wt x’jpxbfx gqzpxzl ktzigo qhnh mz pdhukxx iw bjgwt »

— Ces mots n’ont pas de sens, reprit le Roi, et j’ai demandé dans le plus grand secret à un spécialiste de les décoder, mais il m’a affirmé ne reconnaître aucune séquence compatible. Cependant, j’ai une piste pour toi. Rends-toi à Chalais, c’est le plus vieux monastère Bénédictin de France. J’y ai moi-même séjourné quelque temps avec Éléonore au début de mon mariage avec la Reine. Je pense que… Mais oui ! Et si la mention d’Éléonore dans le message était un indice pour me rendre dans ce lieu. Je ne sais ni comment ni pourquoi ce mystérieux informateur sait que j’y suis passé, mais j’ai l’intuition que la première étape de l’énigme y sera résolue.

— Chalais ? demanda Surcouf. Où est-ce ? Je n’ai jamais entendu parler de ce nom.

— C’est un monastère dans le massif des Chartreux, près de Grenoble. J’ai fait préparer une diligence, tu partiras cette nuit, pour plus de discrétion.

A ces mots, le roi roula la carte et la tendit à Surcouf. Il garda le parchemin pour lui, et fit une copie du message pour son ami, au cas où il aurait mal interprété certaines de ses informations capitales, puis se dirigea vers la porte.

— Évidemment, pas un mot à la Reine. Va donc à Chalais, et si tu trouves des informations importantes, reviens à Paris me les donner de vive voix. Tout autre moyen de communication pourrait tomber entre de mauvaises mains. J’ai beau diriger ce pays, j’ai l’impression d’être une marionnette entre les mains de ce cher Georges III d’Angleterre. Va te reposer, à présent. La route est longue et semée d’embûches.

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