Chapitre Premier : Quand les rats quittent le navire… (1/4)

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Profitant des dernières heures d’obscurité, la Recouvrance hissa ses voiles, et s’avança silencieusement dans le dos des navires Anglais. Ces derniers asphyxiaient la Nouvelle-Orléans depuis deux mois. Seule une petite goélette à hunier telle que celle du capitaine Surcouf, et des marins aussi expérimentés que les corsaires français de son équipage pouvaient réaliser la prouesse d’appareiller sans éveiller les soupçons des guetteurs anglais. Ils manœuvrèrent sans un bruit dans les marais qui entouraient la petite cité coloniale.

Le lever du soleil apporta avec lui les premières lueurs de l’aube. Un cri d’alarme retentit depuis les hunes. Au loin, la Recouvrance s’effaçait déjà à l’horizon. Lentement d’abord, puis de plus en plus vite, l’imposant Victory s’ébranla. La chasse était lancée. David contre Goliath. La bataille s’annonçait sanglante.

Conçu pour la bataille en ligne, le navire anglais était plus lourd, et en théorie moins rapide que la goélette française, mais un solide vent arrière ramenait inexorablement les le monstrueux trois-mâts de cent quatre canons sur les français.

Surcouf aboya ses ordres.

— Faites donner toute la voilure !

Grimpant comme des araignées dans les haubans, les matelots s’activèrent sur les vergues pour établir les immenses voiles de la Recouvrance. Mais c’était peine perdue. Depuis le pont où il donnait ses ordres, le capitaine corsaire voyait le galion anglais se rapprocher au fil de la journée. Ce qui n’était le matin même qu’un minuscule point à l’horizon grossissait à vue d’œil. Surcouf pouvait aisément distinguer les trois ponts dont les sabords relevés laissaient apparaître les bouches des canons. La tension à bord de la goélette était palpabre. Tous les hommes étaient sur les nerfs, et quelques querelles éclatèrent même au sein de l’équipage. Les ongles du capitaine, enfoncés dans le bois du bastingage, étaient couverts d’échardes. Si le Victory était encore trop loin pour faire pleuvoir le feu de ses canons de chasse, la menace qu’il représentait grandissait comme l’ombre d’un oiseau d’un augure funeste.

Le soir venu, la force des alizés retomba, et le navire français reprit un peu d’air. Par vent faible, le lourd vaisseau britannique était plus lent, et la petite goélette reprenait son avance. Cet étonnant ballet dura près d’une semaine. Le jour souriait aux Anglais. La nuit rassérénait les espoirs des Français. Les deux navires traversèrent ainsi le Golfe du Mexique, et l’écart ne grandissait ni ne diminuait pas si bien que le capitaine Calloway se demandait si ses hommes supporteraient encore longtemps la pression de la chasse.

Dans leur fuite désespérée, les Français contournèrent l’île de Cuba par l’Ouest, et virèrent de bord. Cap à l’Est ! Les vents leur seraient plus favorables. Elle était là, leur chance d’échapper aux Anglais.

Une nuit, alors qu’ils naviguaient au Sud de l’île, les flibustiers français croisèrent la route du Widow-maker, réputé être le plus rapide de la marine britannique. Dans la tête de Surcouf germa une idée. Audacieuse, mais séduisante. La nuit était sombre, et les Anglais endormis ne virent pas arriver le vaisseau français. Silencieuse comme une ombre, la Recouvrance s’approcha de sa proie. Ne pas aborder trop violement. Ne pas réveiller le lion qui dort. Grimpant à des échelles de cordes, le sabre entre les dents, les corsaires montèrent à bord du vaisseau sans éveiller les soupçons, capturèrent tous les membres d’équipage et prirent possession du bateau.

Le temps pressait. Calloway et le Victory étaient toujours en chasse, quelques milles marins derrière les corsaires. Surcouf demanda conseil à ses hommes sur la conduite à tenir. Bonpied, son second, lui enjoignit de couler le Widow-Maker avec son équipage à bord, par précaution, afin d’éviter que ce dernier n’avertisse Calloway de leur petit nombre, de leur armement insuffisant, et du désordre qui régnait à bord de la Recouvrance. Skytte, le quartier maître de la goélette française, n’était pas de cet avis. Voyant là une solution ingénieuse pour semer les anglais, il proposa d’échanger les bateaux, et de faire embarquer l’équipage corsaire sur le Widow-maker, laissant la Recouvrance suivre le cap qu’ils tenaient depuis le début de leur course poursuite avec, à son bord, les officiers et matelots captifs.

Cette solution astucieuse plût énormément au capitaine. Le transbordement fut aussi rapide que précipité. Laissant leur ancien navire servir de leurre à Calloway, ils virèrent de bord avec le Widow-maker pour se cacher dans la crique la plus proche. Le lendemain matin, ils virent avec joie le Victory les dépasser. Spectateurs de cette course poursuite inutile et futile, les Français jubilèrent de voir les Anglais victimes de leur supercherie. Une fois hors de vue du galion britannique, les corsaires hissèrent le pavillon français sur leur nouveau navire et le vaisseau s’en alla en sens inverse, au son des rires et des éclats de voix.

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