Chapitre 16 : Partie 3/4

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Cela devait faire au moins deux heures qu’ils avançaient dans la pénombre. À vrai dire, Aera avait perdu toute notion du temps. Elle avait le sentiment de tourner en rond et le fait de ne pas voir son environnement, ni même de pouvoir évaluer une distance, l’énervait considérablement. Elle avait besoin de concret, d’une preuve de son avancée.

Le couloir se rétrécit, ses bras frôlèrent la roche gelée. Par chance, les araignées avaient passé leur chemin.

Une douce lueur naquît au bout du corridor. Était-ce déjà la sortie ? Non, impossible. La traversée de la montagne demanderait presque une journée de marche.

Gwenähil marqua une pause et tous s’arrêtèrent pour étudier les lieux.

La pièce qui s’offrait à eux faisait une trentaine de mètres carrés tout au plus. À en juger les dalles au sol, ainsi que les tuyaux encore encastrés dans les murs droits taillés dans le roc, elle avait autrefois dû servir de salle d’Extraction pour les Nains. Aera visualisait de nouveau les croquis les représentant dans ses livres et ceux de toutes les machines qui servaient à récupérer le minerai. Plus aucune d’entre elles ne fonctionnait depuis l’abandon de la Galerie Oubliée, suite à la Conquête du Bronze.

Une douce lumière émanait des torches disposées à intervalles réguliers. Aera sourcilla. Pourquoi brillaient-elles encore dans un tunnel désaffecté ? Observant les alentours avec attention, elle remarqua des vestiges d’anciens mécanismes dans les coins ombreux. Ils étaient composés d’engrenages et de câbles, la plupart morcelés, ternis et rouillés par les cycles. De vieux seaux usés et divers outils métalliques traînaient par ci, par là. Un puits en pierre sombre se dressait au centre de la pièce, tandis qu’au fond, un corridor s’ouvrait sur une pénombre inquiétante. Quant au plafond, il était curieusement poinçonné de trous, de la largeur d’un poing fermé.

Un craquement sonore résonna sous le pas d’Aera. Elle baissa les yeux. Des os humains jonchaient le sol, entassés au milieu de la poussière accumulée et des toiles d’araignées épaisses.

- C’est ça qu’on écrasait tout à l’heure ? demanda Eileen d’une voix frémissante.

- Oui, c’est ça, mentit Aera.

Ce n’était pas nécessaire qu’elle sût la vérité. Illian lui jeta un bref regard interrogateur, avant de comprendre et d’approuver sa réponse.

- Soyez prudents, les avertit Gwenähil. Les nains sont réputés pour leurs pièges. Même si ces salles ne sont plus utilisées depuis des cycles, ils peuvent toujours s’activer.

Elle parcourut la pièce à pas feutrés et vint s’immobiliser devant l’embouchure du couloir. Aera ne la quittait pas du regard. La métamorphe tâta à plusieurs reprises la paroi rocheuse, avant de porter ses doigts à hauteur du visage.

- Du sang de glük-rog, finit-elle par murmurer.

Elle recula d’un pas, puis analysa encore la salle, d’un air soucieux cette fois.

- Les glük-rog ne sont pas loin, reprit-elle avec plus d’assurance.

- De quoi s’agit-il ? s’enquit Illian.

- Vous n’en avez jamais entendu parler dans la garde ? s’étonna Gwenähil.

- J’ai quelques fois arpenté cette galerie, mais ça remonte à mes jeunes années, se défendit-il. Je n’ai jamais fait aucune rencontre. Pas même un Nain. Et ce nom n’a jamais été évoqué.

- C’est l’espèce dont je parlais tout à l’heure, reprit-elle. C’est comme ça que nous, les Nephelïns, les appelons. « Glük-rog » signifie « se transformer en monstre » dans votre langue. C’est ce que sont devenus les Nains qui se sont perdus dans les tréfonds de la terre pour fuir la Conquête du Bronze.

- On est pourtant proches de la surface, rebondit Aera. Les déserteurs se sont terrés des dizaines de kilomètres en-dessous !

- Ils retrouvent peu à peu le chemin et progressent un peu plus chaque cycle.

- Et les Nains, dans tout ça ? demanda naïvement Eileen.

- Ce peuple s’isole un peu plus chaque jour, regretta Gwenähil. Nos tribus ont souvent été en lien avec les Nains par le passé, mais plus les cycles défilent, plus ils se ferment au monde de la surface. Ils haïssent tous les « êtres du soleil », comme ils disaient. Aujourd’hui, personne ne peut plus les atteindre.

- Nergecye n’a jamais traité avec les Nains, alors que nous sommes peuples voisins, confirma illian. Tout ce que nous savons sur eux nous vient des écrits de nos ancêtres.

Des cris lointains et inhumains mirent fin à leurs échanges.

- Il faut partir, souffla Gwenähil.

À peine eut-elle de prononcer ces mots, que des grilles jaillirent de la roche au-dessus des entrées des couloirs, condamnant toutes les sorties de la pièce. Les voyageurs se regardèrent, méfiants et surpris. Eileen recula, l’air coupable.

- Une dalle s’est enfoncée sous mon pied ! s’affola-t-elle.

Quelle gourde, celle-là ! Aera ne lui fit pas remarquer, mais elle ne chercha pas à cacher son exaspération. L’heure n’était ni aux justifications ni aux réprimandes. Un cliquetis résonna au-dessus de leurs têtes et de la poussière commença à les recouvrir, comme la neige tomberait un soir de tempête. Désormais, une grille, aux pointes corrodées et de la taille de la pièce, descendait du plafond. Leurs corps viendraient agrandir la pile d’ossements de cette salle s’ils ne trouvaient pas vite une issue de secours.

- Le puits ! suggéra Illian en s’y précipitant.

- On ne va quand même pas sauter ! s’alarma Eileen. J’ai une corde dans…

Elle stoppa net son flot de paroles et fouilla son sac avec maladresse.

- On n’a pas le temps pour ça, la rabroua-t-il.

Aera se pencha sur le rebord en pierre. On ne pouvait apercevoir le fond de la cavité. Prise de vertiges, elle s’éloigna d’un pas. Couraient-ils droit vers la mort ?

- Il y a de l’eau dans les niveaux en bas, leur apprit Gwenähil. Suivez-moi !

Sans attendre un instant de plus, la métamorphe s’y jeta. Aera ne put entendre si sa chute avait bien été amortie par un liquide à cause des hurlements tourmentés résonnant de plus belle. L’ancien commandant devait à présent se courber pour échapper aux dents acérées de la grille qui s’abaissait de plus en plus vite. Le temps leur était compté.

- Eileen et Erik, dépêchez-vous, intima-t-il.

Malgré la peur et l’hésitation qui se lisaient dans leurs regards, ils s’exécutèrent, l’un après l’autre.

- Aera, à toi.

Un soubresaut d’effroi parcourut son échine. L’adrénaline annihilant tout autre sentiment, elle ferma les yeux avant de sauter à pieds joints. Rien ne se produisit d’abord, puis un cocon glacé l’enveloppa soudain toute entière. Il lui sembla chaud et réconfortant, mais il ne tarda pas à devenir lancinant et Aera sentit des milliers de frissons mordre sa peau. Elle mit plusieurs secondes à comprendre que son corps se trouvait plongé dans l’eau froide. Ses bottes frappèrent un sol bosselé, sur lequel elle prit aussitôt appui pour remonter à la surface.

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