Chapitre 16 : Partie 2/4

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Une dernière heure de marche suffit à ce que le groupe atteignît les pieds de la montagne Saphir.

Le pan anthracite et irrégulier dominait les voyageurs. Aera leva la tête vers le sommet à peine visible, ce qui lui procura une sensation de vertige. Certaines parois renvoyaient les rayons du soleil avec une telle intensité qu’elles étaient trop éblouissantes pour qu’on les regardât. Des lierres tapissaient les flancs du géant rocheux, où elles agrippaient le minéral avec des lianes semblables à des suçoirs, quand d’autres s’insinuaient dans les fentes et flottaient comme de grands drapeaux de verdure. Certaines même, fuyaient jusque dans l’ouverture qui se présentait juste en face des voyageurs. Une fraicheur provenant des profondeurs de la Galerie Oubliée emplissait l’air environnant. Nombre de buissons épineux longeaient les pourtours du roc. Quelques-uns s’offraient le luxe de s’étendre sur la pierre, plus en hauteur.

- Nous y sommes, déclara Gwenähil. Avant d’y aller, prenez quelques muphists avec vous.

- J’en ai souvent entendu parler, se manifesta Erik, mais je n’ai jamais eu l’occasion d’en voir.

La métamorphe s’activait déjà à fouiller les fourrés proches.

- Ils foisonnent autour de la montagne Saphir à cause des vents du nord, expliqua-t-elle. Une lumière bleue émane d’eux dans l’obscurité. Mon peuple s’en sert beaucoup pour voyager.

- On raconte que ce sont des végétaux nomades qui viendraient du troisième continent, ajouta Aera. Est-ce bien vrai ?

- Il faudrait demander aux muphists pour ça, eux seuls ont la réponse.

La jeune femme dut prendre sur elle pour ravaler la remarque cinglante qui s’apprêtait à franchir ses lèvres. La façon hautaine qu’avait Gwenähil de s’exprimer l’agaçait. Aera s’approcha à son tour des plantes sèches et écarta leurs branches couvertes de dents. Des petites pelotes duveteuses d’un blanc immaculé, semblables à des pissenlits, étaient accrochées ici et là. Elle referma ses doigts autour de deux d’entre elles, avant de les ramener à hauteur du visage. Les muphists étaient constitués d’un noyau couleur sable, duquel partaient des milliers de fines vibrisses qui ondoyaient avec lenteur. Aera pouvait à peine sentir leur poids sur la paume de sa main.

- Prenez garde à ne pas les écraser, avertit Gwenähil. Ils ont besoin de respirer pour générer leur lumière.

Une fois que chacun fût muni d’une poignée de végétaux luminescents, l’ancien commandant se posta devant l’entrée du tunnel, pas plus large que deux hommes.

- Allons-y. Gwenähil, on te suit.

- Je compte sur vous pour récupérer mes affaires si je devais avoir à me transformer.

Les voyageurs pénétrèrent la Galerie Oubliée. Si celle-ci était éclairée sur les premiers mètres, un noir total ne tarda pas à les envelopper. Avec les muphists comme seule source d’éclairage, ils pouvaient tout juste distinguer ce qui les entourait. N’ayant d’autre choix que de progresser les uns derrière les autres par manque de place, ils réitérèrent la même formation qu’un peu plus tôt dans la journée : la métamorphe se trouvait en tête et Aera refermait la marche.


Ils longèrent le couloir durant ce qui lui parut être une éternité, avant de se retrouver confrontés à un embranchement.

- Par ici, annonça Gwenähil en empruntant la voie de gauche.

Aera serrait avec force la fusée de son épée. Elle s’efforçait d’expirer lentement par la bouche pour réguler sa respiration. En temps normal, elle ne craignait pas l’inconnu et se moquait des risques, parce qu’elle savait s’y adapter et calculait toujours un coup d’avance. Mais privée de sa vue dans cet espace étroit, elle ne pourrait rien anticiper.

La galerie se sépara encore.

La Montagne Saphir était réputée pour être la plus grande des Terres de Lumière. De nombreuses histoires circulaient à son sujet, tantôt dans les livres de Nergecye, tantôt de la bouche des habitants, à tel point qu’il en devenait difficile de démêler le vrai du faux. La plupart contaient les aventures de voyageurs qui jamais ne retrouvaient la sortie. Certaines s’attardaient sur la complexité du réseau souterrain, quand d’autres évoquaient de mystérieuses créatures des profondeurs. Chaque récit leur donnait une description différente : dans une, il s’agissait d’un reptile géant, dans une autre, un ours mutant. Aera repensa aux paroles de Gwenähil à propos de la nouvelle espèce qui habiterait la Galerie Oubliée. Elle avait beau fouiller ses souvenirs, aucun texte qu’elle avait lu ou histoire qu’elle avait écoutée n’avaient mentionné une telle chose.

- Ce n’est qu’un mythe de plus, marmonna-t-elle pour se rassurer.

Nouvelle bifurcation, à droite cette fois.

Ils progressaient avec une discrétion étonnante. Même les tintements de l’armure d’Illian se taisaient, comme désireux de ne pas briser le silence qui les entourait. De plus en plus insoutenable, ce dernier participait à l’atmosphère malsaine que dégageait cet endroit. Aera tenait toujours le pommeau de son épée, autant que sa main moite le lui permettait.

Un craquement résonna sous son pied.

C’était comme si elle marchait sur des os qui éclataient sous ses pas. Bientôt, les crépitations se multiplièrent et des cliquetis très distincts se mirent à parsemer les parois.

Aera osa approcher ses muphists de la roche pour l’éclairer : ce n’était pas des os, mais de gros insectes ! Elle retint son souffle. Ces choses devaient également courir au-dessus de leurs têtes, compte tenu du bruit qui s’amplifiait. Elles pouvaient tomber à tout moment. D’une voix basse et tremblante, Eileen s’avisa de poser la question :

- Qu’est-ce que… c’est ?

- Tu préfères ne pas le savoir, murmura Illian. Contente-toi d’avancer.

L’atmosphère, déjà tendue, devint si dense qu’elle en était presque palpable.

Une masse atterrit soudain sur l’épaule d’Aera. Avant même qu’elle ne pût faire quoi que ce fût, des pattes crochues et poilues dévalèrent son bras. Elle frémit de dégoût et l’éjecta d’un revers de la main. Un frisson la secoua. Quelques détails de ses lectures lui revinrent : cette montagne regorgeait de bêtes, et plus particulièrement de ces araignées au corps gonflé et large comme deux pouces, d’un bleu profond comme le saphir. La montagne tenait son nom de leur abondance.

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