Chapitre 15 : Partie 3/4

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La bouche entrouverte, Gaël se figea, comme s’il se changeait en statue, pendant que des fourmillements l’envahissaient et le dévoraient de l’intérieur. D’énormes silhouettes fendirent le ciel. Lorsqu'il comprit de quoi il s'agissait, il cessa de respirer.

Trois dragons volaient au-dessus de lui. Il repensa à l'odeur des flammes, aux cris désespérés de ses compagnons… Ses yeux suivirent par automatisme le mouvement des reptiles qui déployaient grand leurs ailes. Ils disparaissaient dans les nuages avant de se laisser retomber, puis repartaient de plus belle. Gaël était terrifié et paradoxalement fasciné. Ils se mouvaient dans l’air avec la même aisance qu’un poisson nageait dans l’eau.

L’un d’eux gronda. Gaël reprit le contrôle de lui-même et, instinctivement, chercha un endroit où se mettre à couvert. Mais il n’y avait rien sur ce champ séché.

- Je pense que tu as compris ce que tu vas devoir faire, annonça Ulreyh.

Toujours sous le choc, le jeune homme ravala sa salive avec difficulté.

Ces bêtes mythiques peuplaient les histoires pour faire peur aux enfants ou vanter la bravoure d’un soldat anonyme. Même les hommes ayant vu de leurs propres yeux celui de l’Entre-Deux n’avaient pas été crus par Sa Majesté Horace Ell’Mar et avaient été forcés de ne pas ébruiter l’information.

Un dragon avait détruit un village côtier de l’Entre-Deux sous ses yeux. Gaël avait tout observé depuis le navire, ce jour-là. Malgré la distance, l’odeur de chair brûlée avait fouetté ses narines. L’un de ces monstres était responsable de ce carnage et maintenant il allait devoir s’occuper d’eux ? Il n’avait pas fait le rapprochement avec les reptiles lorsqu’on lui avait annoncé l’intitulé de son clan. Le terme « draconique » aurait aussi pu faire l’affaire pour un clan spécialisé dans l’armement qui aurait utilisé leur image en guise de symbole.

Ils s’avancèrent en silence jusqu’aux pieds du mur de fer. Gaël se sentait oppressé par cette masse sombre et imposante qui le dominait. Des rugissements tonnèrent de plus belle au moment où Ulreyh fit halte devant la porte.

- Avant quoi que ce soit, deux règles. La première, ne fais aucun mouvement brusque. La seconde, suis scrupuleusement mes instructions. Les dragons qui se trouvent derrière ce mur sont dressés, mais ils restent des bêtes sauvages et sont parfois incontrôlables. Ils sont habitués à notre présence et ils ne t’attaqueront pas grâce au sang injecté dans ton bras. Normalement.

L’irnath actionna la poignée et ils pénétrèrent dans l’enceinte confinée. Le commandant s’attendait à entrer dans une pièce sombre, anxieux à l’idée de se retrouver nez à nez avec un de ces monstres dans l’obscurité. Mais il y découvrit un espace lumineux couvert d'herbe et d'une dense végétation, à tel point que la sensation d’enfermement s’évanouit.

- J’ai vu des dragons voler tout à l’heure, alors pourquoi clôturer un endroit comme celui-là ? s’étonna-t-il, perplexe.

- C’est ici qu’on dresse les jeunes, expliqua Ulreyh. Les murs sont assez hauts pour que les bébés ne puissent pas les survoler et ils sont immunisés contre les flammes grâce au don. Si tu regardes en l’air…

Gaël leva la tête.

- … le filet de cordes les retient s’ils essaient de fuir avant l’heure, mais surtout, tu conçois bien qu’on ne peut pas vraiment enfermer de telles créatures. Un plafond de verre aurait pu faire l’affaire pour la lumière, mais les dragons auraient suffoqué avec la chaleur. Quand ils ont atteint un certain âge, ils sont transférés dans un compartiment où les cordes ont été retirées. Ils peuvent alors voyager comme ils le souhaitent et revenir ici en sachant qu’ils auront à manger.

- Et combien y a-t-il de dragons là-dedans ? se risqua-t-il à demander.

- Un certain nombre. Nous dressons beaucoup dragons, mais tous ne reviennent pas après leur premier envol.

- Et ça, ce sont…

Sur deux mètres longeant le mur, d’énormes œufs reposaient sur des blocs d’herbe sèche à intervalles réguliers. Tous étaient blancs, à l’exception d’un, recouvert de taches noires et difformes. Gaël s’en approcha pour l’examiner.

- Des œufs de dragons, comme tu dois t’en douter. Mais ne te fie pas à leur nombre. Les jeunes viennent en voler pour les manger. Au final, très peu éclosent. Si tu veux un conseil, éloigne-toi de celui-là.

Gaël recula d’un pas, un craquement résonna. L’œuf était entouré de dépôts d’une carcasse noire qu’il avait écrasés sans même y prêter attention.

- Pourquoi ?

- Tu poses trop de questions.

Ulreyh s’éloigna et lui intima de le suivre d’un geste de la main.

- Nous devons les nourrir. Ne traîne pas ou ils seraient tentés de te choisir pour leur repas.

- Je croyais qu’ils ne s’attaquaient pas aux irnaths, s’indigna Gaël.

- C’est vrai, mais tu n’en n’es pas un toi, n’est-ce pas ? ricana-t-il.

Gaël se raidit. Oui, c’était un nergecyen.

Non. Pas seulement. C’était un homme ! Pas un irnath !

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