Chapitre 15 : Partie 1/4

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Gaël ouvrit un œil, puis se redressa sur les coudes, non sans difficulté. Des courbatures le torturaient de toute part.

Sa vue se faisait plus nette à mesure qu’il émergeait. La porte d’entrée se précisa en face de lui. Elle lui tendait presque les bras et lui, cloué au mur, ne pouvait que la fixer. Il ramena une de ses jambes contre son torse, provoquant le tintement des chaînes. Depuis qu'il avait senti la brise marine en quittant sa tour, il se savait proche de la mer. Il n'aurait pu rêver mieux. Être aussi proche de l'eau constituait un moyen d'évasion idéal compte tenu de ses capacités ! Cependant, il ne devait pas précipiter les choses. Pas comme son escapade de la veille. Il avait entrevu une sortie et s'était jeté dessus sans se préparer à ce qui l'attendrait de l'autre côté.

Aucun soldat sensé ne passait à l’action sans réfléchir au préalable.

L’image des ombres meurtrières lui revint à l’esprit. Gaël frissonna à ce souvenir, sentit à nouveau le contact de leurs corps immatériels... non, ils étaient très matériels à cet instant ! Il était sûr de les avoir sentis physiquement. Il ne devait pas réessayer de s'échapper. Pas encore, du moins. Il lui fallait réunir toutes les informations dont il avait besoin pour réussir : connaître son environnement, les habitudes de chacun, puis attendre le moment opportun. Il pouvait même essayer de gagner leur confiance ! Mais pour y parvenir, il lui fallait du temps et, même si cela le répugnait, coopérer. Il n'avait plus le choix. S'il précipitait à nouveau sa fuite, il finirait soit au cachot, soit dans les bras de la mort.

Des petits ronflements provenant de Menth le tirèrent de sa réflexion. De la vapeur sortait de ses narines au rythme de son souffle et la crête sur son crâne se balançait doucement. Il semblait inoffensif, recroquevillé en boule, loin de l’image du féroce reptile que Gaël craignait tant.

Il posa un genou au sol et grimaça en se relevant. Par le Don, que sa jambe lui faisait mal ! L’esprit encore embrumé, il s’appuya sur le meuble de bois contre sa couche. Dessus, il trouva un morceau de miroir aux bords tranchants et irréguliers, qu'il ramena à hauteur des yeux. Son visage s'imprima sur ses rétines en un fragment de seconde. Il se figea d'effroi. Le miroir lui échappa des mains et s'éclata par terre. Les bris de verres recouvrirent ses pieds.

Il ramena ses doigts tremblants à hauteur des yeux. Son cœur s’affola. Il n’arrivait plus à respirer.

Sa peau normalement marmoréenne tendait vers un gris délavé. Ses pupilles s’étaient affinées comme celles des fauves. Les extrémités de ses oreilles formaient à présent une pointe parfaite. Et son tatouage, auparavant noir, brillait plus que jamais d’un rouge sang. Comment cela pouvait être…

Une porte s’ouvrit en fracas, Erhwa déboula.

- Qu’est-ce que tu m’as fait ! s’écria-t-il.

Elle se stoppa en plein mouvement et l’observa. Il la fixa en retour, le regard empli de détresse. Ses yeux à elle, en revanche, renvoyaient une lueur amusée.

- Oh, je vois. Ne t’en fais pas, c’est une réaction normale. Tu te feras vite à ton nouveau profil.

Choqué, Gaël resta muet. Les mots ne lui venaient pas.

Il ne devait pas s’inquiéter de se transformer en démon ? En monstre ? Il ne pourrait jamais revenir à Nergecye ainsi ! S’il y retournait un jour… L’espoir de retrouver les siens était sa motivation, la seule raison pour laquelle il s’efforçait de ne pas sombrer. Le visage d’Eileen s’imprima dans son esprit… qu’Erhwa déchira instantanément. Elle lui jeta des vêtements sombres qu’il rattrapa de justesse.

- Avant de faire quoi que ce soit, va te décrasser.

Elle lui retira les fers, puis lui indiqua la source, vers laquelle il s’orienta, dans un état second.

Comme la veille, la pièce plongée dans la pénombre se révéla progressivement. Contrairement au reste de l’habitation, cette partie était constituée d’un mur graveleux et irrégulier. Il s’avança de quelques pas. Une faible lumière provenant du plafond éclairait les lieux. De l’eau se mit à ruisseler sur une partie du mur en face et deux jets s’activèrent.

L’eau ruisselait le long de ses bras, qu’il ramena contre son torse. Il tâta son tatouage rougi par son propre sang du bout des doigts, puis tourna ses paumes vers son visage. Il se mordit les lèvres d’un coup sec. Sa peau mutait. Il le voyait et le ressentait à présent. Pas juste sur ses mains, mais tout son corps. Son visage brûlait. Ses jambes, ses bras, son dos brûlaient. Il s’accouda contre la roche et la frappa de son poing serré. Ses veines se gonflèrent précipitamment. Il se changeait en monstre. En monstre !

Fou de rage, il attrapa le tissu rugueux mis à sa disposition et frotta ses avant-bras de toutes ses forces, comme s’il pouvait gommer ce gris qui l’enveloppait. Sa peau se mit à rougir. Quand Gaël comprit que cela ne servait à rien, il jeta la serviette, s'adossa au mur et porta une main à son visage crispé. Que lui arrivait-il ? Que lui avaient-ils fait ? Pourquoi est-ce que son corps mutait-il de la sorte ? Impossible de trouver la moindre réponse. Le vide se fit dans son esprit. Incapable de penser, il n’arrivait même plus à ressentir quoi que ce fût. Ni rage ni peine. Ni peur.

Gaël se mit à fixer les jets desquels jaillissait l’eau. Il n’y avait aucun mécanisme apparent, seul ce mur irrégulier s’étendait devant lui. Cela ne pouvait qu’être le résultat du Don, ce qui l’étonnait fort. On l’avait persuadé depuis toujours que les Irnaths étaient des êtres primitifs, tels qu’ils étaient décrits dans les manuels de Nergecye. Jamais il n’aurait imaginé que le don faisait partie intégrante de leurs habitudes de vie, à l’instar de son royaume.

L’eau coula sur son corps un temps infini.

Le commandant finit par sortir de sa torpeur et tâcha de mettre de l’ordre dans son esprit, prenant conscience que s’apitoyer ainsi sur son sort ne servait à rien. Aussi écœurante qu’était cette réalité, il devait lui faire face s'il souhaitait faire bouger les choses. À cette pensée, il trouva enfin la force de se relever. Il revêtit une chemise, ainsi qu’un pantalon en toile et rejoignit l’irnathesse. Un petit déjeuner l’attendait sur la table : des fruits à l’aspect duveteux dans des tons violacés remplissaient une coupelle, accompagnés d’une galette noircie.

- Mange. Aujourd’hui tu vas intégrer un clan. La journée va être longue et mouvementée. Ulreyh nous attend.

- Non, la défia-t-il avec aplomb. Que m’as-tu fait ?

Erhwa haussa un sourcil.

- Ce n’est que le cours naturel des choses. Me croirais-tu vraiment si je te disais que je n’y suis pour rien ?

- Bien sûr que non.

- Alors cesse de me faire perdre mon temps. Mange. Nous devons partir.

Le commandant comprit qu’il ne servait à rien d’insister. De toute façon, il n’obtiendrait pas de réponse. Une chose était sûre : il ferait le nécessaire pour retrouver son apparence originelle. Pour l’heure, il n’avait d’autre choix que prendre son mal en patience.

S’il devait rentrer dans un clan pour progresser, alors il le ferait. Peu importe ce qu’on lui demanderait de faire, il ne se poserait pas de questions. Il gagnerait leur confiance et rejoindrait les côtes de Nergecye à la première occasion.

Gaël eut à peine le temps d’avaler sa dernière bouchée qu’il fut tiré hors de la maison.

- Évite de fixer les irnaths dans les yeux, le prévint-elle.

Son avertissement eut l’effet contraire escompté et lui donna une irrésistible envie d’aller à son encontre. Il constata des regards appuyés, parfois emplis de haine ou de surprise.

- Pourquoi me fixent-ils ainsi ?

Elle soupira d’un air accablé.

- Parce que tu n’es pas un irnath. Les étrangers ne sont pas les bienvenus ici, crois-moi.

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