Chapitre 11 : Partie 2/3

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La porte grinça encore.

- Depuis combien de temps suis-je ici ? articula Gaël avec peine.

- Un mois.

- Un mois ! répéta-t-il, plus fort.

- Memris khtit ? résonna soudain une voix grave.

L’irnathi. Ce dialecte rude à la consonance irritante. Voilà ce qu’était la langue de Naleth.

Un des démons qui l’avaient enlevé sur l’Entre-Deux pénétra la salle et l’irnathesse se courba à son approche. Un autre flash frappa l’esprit du commandant : c’était Shin.

L’irnath avança à pas comptés. Il se démarquait dans l’obscurité : ses cheveux blancs et pupilles rouges brillaient, à l’inverse de ses vêtements sombres qui se fondaient dans le décor.

- Iennen, répondit-elle.

Quelle horrible langue. Gaël n’en comprenait pas un traître mot, mais il remarqua une certaine irritation dans la voix de sa geôlière. Il se raidit quand son regard croisa celui de Shin.

Il ne saisissait toujours pas pour quelle raison ils l’avaient fait prisonnier. Jamais, dans l’Histoire, le peuple de Naleth n’avait procédé à des captures. Les Irnaths étaient bien connus pour éliminer chaque ennemi sur leur chemin. Voulaient-ils pousser son monarque à envoyer une armée sur l’Entre-Deux ? À contrer le dôme des Irnaths ? Ou bien, se pouvait-il qu’il fût une monnaie d’échange ? Mais contre quoi ? Quand bien même, jamais les nergecyens ne penseraient à une prise d’otage. Le croyaient-ils tombé au combat ? Avaient-ils déjà choisi un nouveau commandant ? Gaël soupira. Peut-être pourrait-il bien ne jamais retrouver ses terres. Dans tous les cas, les irnaths attendaient quelque chose de sa part.

Perdu dans ses pensées, le commandant n’avait pas prêté attention à la suite de leurs échanges. Le démon lui jeta un dernier coup d’œil empli de dégoût, puis s’éloigna. L’irnathesse sortit de la cellule avec la tringle, puis fit pivoter la clé dans la serrure.

- Je reviendrai ce soir pour t’apporter ton repas. Tu resteras tant que Shin…

Elle se racla la gorge et reprit :

- Tant que Sa Majesté le souhaitera.


Gaël perdait toute notion de temps à force de croupir dans sa cage.

Chaque jour, l’irnathesse lui apportait une bouillie infâme et un verre d’eau sale au goût de terre ; Shin lui rendait régulièrement visite pour lui demander s’il se souvenait. Mais se souvenir de quoi ? Son esprit ressassait toutes ses missions sur l’Entre-Deux, à la recherche du moindre indice qui l’aiderait à comprendre, en vain.

Aussi, s’efforçait-il de marcher. La douleur dans sa jambe s’était estompée. Ses mouvements se résumaient surtout à traîner son membre endommagé, mais Gaël ne perdait pas espoir. Il y arriverait ! Il le devait pour continuer à exercer ses fonctions. Un soldat infirme n’avait aucune utilité. Pire encore, un commandant handicapé perdait tout : incapable de combattre, il serait jeté de la garde, et connaissant des secrets royaux, il ne pourrait quitter la capitale. Gaël comprenait enfin ce que pouvait ressentir Illian. Cette frustration de devenir un déchet dont plus personne ne voulait. Il n’avait jamais songé un instant à ce point noir de Nergecye.


L’irnathesse posa le plateau en métal qui tinta contre la pierre. Comme d’habitude, la purée l’attendait dans le bol de bois difforme et l’eau brunie stagnait dans le gobelet. Nauséeux, le commandant s’en détourna et se concentra sur les armes qui pendaient à la ceinture de sa ravisseuse : des dagues et fléchettes de tailles variées. En dépit de l’obscurité, il réussit à distinguer une poche en cuir bombée. Il écarquilla les yeux. Voir cette gourde lui rappela à quel point il avait soif, une soif que le liquide boueux ne désaltérait en aucun cas.

- Donne-moi à boire, ordonna-t-il.

Sa voix sonnait toujours fatiguée, mais il commençait à retrouver son timbre normal. L’irnathesse le toisa et ricana.

- Tu en as sur ton plateau.

- Ta merde va finir par me tuer.

Elle le fixa un moment, puis après un geste d’hésitation, dévissa le goulot de sa gourde et lui tendit la boisson. Gaël la lui arracha des mains. Il but sans même prendre le temps d’apprécier le contenu. Il avait soif, c’était tout. Il la vida avant de la poser au sol, exténué par cet effort.

- Tu n’en n’auras pas davantage, déclara-t-elle.

Il s’essuya la bouche d’un geste imprécis et s’appuya contre le mur pour se mettre debout.

- Pourquoi me garder en vie ?

Malgré la fatigue, une once de rage brillait dans ses yeux. Il soutint le regard de l’irnathesse et tâcha de rester stoïque. Elle le fixait, un sourire en coin, dévoilant une canine pointue.

- Il semblerait que tu puisses nous être utile.

- Si vous me retenez en espérant que la garde de Nergecye vienne, c’est peine perdue.

Elle se contenta de le fixer avec mépris.

Quel était leur problème à la fin ?

- Il est trop tôt pour en dire plus, poursuivit-elle.

Tout en parlant, elle tira de sa ceinture un couteau fin et aiguisé, et extirpa de sa mallette une large bande de tissu. Le commandant se plaqua contre le mur, méfiant.

- Je m’occupe de toi depuis plusieurs jours et c’est comme ça que tu me remercies ? râla-t-elle. Je vais examiner ta jambe.

Il se rassit. D’un geste rapide, mais précis, elle défit le bandage et étudia son tibia. Bien que peu rassuré, Gaël y risqua un coup d’œil. Des centaines de peaux mortes gisaient par-dessus, d’autres étaient encore incrustées dans sa chair. Sa blessure semblait s’être refermée, bien qu’une épaisse couche de pus luisît toujours. Il retint une grimace. L’irnathesse s’équipa de son arme et gratta les peaux mortes…

- Ça, ce sont les carcasses des vers qui ont reconstitué ta chair.

Les carcasses des vers.

Il réprima un frisson de dégoût. Rien que d’entendre parler d’asticots lui donna l’impression qu’ils grouillaient derechef dans sa jambe et l’écœura. Cependant, même si leur technique était douteuse, il devait bien avouer son efficacité : la douleur s’était envolée et des picotements chatouillaient ses orteils. Ses sensations revenaient !

- Ce soir, Shin décidera de ton sort, l’informa-t-elle.

Sa ravisseuse tourna les talons, verrouilla la cellule et disparut de son champ de vision. De nouveau seul, Gaël fit quelques pas et s’efforça d’utiliser sa jambe meurtrie. Après-tout, lui seul pouvait faire sa rééducation.

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